Voilà une semaine, il a fallu se résoudre à dire adieu à l’une des plus belles séries de ces dernières années. Pendant l’été, Breaking Bad fut sur toutes les lèvres et elle restera durablement dans le coeur de tous les amateurs de séries. La création géniale de Vince Gilligan a su intelligemment tirer sa révérence comme peu de ses comparses l’ont fait : au sommet de son art et de sa popularité. Ultimes moments d’un western moderne.
La lente implosion de la vie de Walter White et de son entourage
Une famille détruite. C’est ce que laisse Walter White derrière lui. Le fruit sanglant de sa plongée dans l’univers de la violence et de la drogue. Nous quittons ainsi Junior dans la haine et la colère. Skyler aura quant à elle la satisfaction d’entendre enfin des paroles tant désirées : “I did it for me. I liked it”. Confession de l’homme acculé, lâchée entre des dents serrées. C’est la fin de l’hypocrisie pour Walt et cela permettra sans doute à Skyler de se dégager enfin de l’empire de son mari. Je n’ai jamais pu comprendre Walter. L’empathie, je la ressentais pour les autres. Skyler, cette femme au caractère d’acier et qui aura su s’imposer face à la brutalité de son mari, m’aura fasciné et émue jusqu’à la fin. Chapeau Anna Gunn.
La tristesse, je la ressens pour Hank. Il a été très douloureux pour moi de dire adieu à un des personnages que j’aimais le plus dans la série. Alors qu’il nous apparaît comme un homme rustre et pénible dans la première saison, on découvre progressivement un homme vulnérable, en proie au doute mais, malgré cela, incorruptible. Il était profondément sensible aux traumatismes vécus à cause de son métier et sa remise en question m’avait touché. A la manière d’un western, on s’imaginait bien qu’il n’existait pas d’autre solution : c’était soit Walt, soit Hank. Ce dernier, trop bon pour être compromis, pliera le premier.
Un personnage restait à explorer, celui de Jesse. C’est lui pendant la saison 1 m’a fait continuer la série. Sa relation filiale avec Walt, très ambiguë, fut intelligemment construite pendant cinq saisons. Une relation qui n’a jamais rien eu d’équitable, Walt exerçant toujours un ascendant pesant sur Jesse. J’avais aimé l’exploration parallèle des caractères des deux hommes : Jesse, la petite frappe et dealer de bas étage du premier épisode, dévoilant un être sensible rongé par la culpabilité tandis que le professeur de chimie, père de famille estimé de tous, se révélait dénué d’humanité.
Dans l’ultime épisode, ces deux extrêmes, Jesse et Walt, se retrouvent face à face chez l’Oncle Jack. Tous deux chevelus et salement amochés, ils ressemblent enfin à un père et son fils. Dès le début, Walt avait scellé le destin de Jesse en le contraignant à une inexorable vie de crime. C’est un véritable soulagement de le voir s’échapper, enfin à la place du conducteur, maître des évènements…
Comme un coup de feu dans la nuit
Le reste n’est que détail: le sort des autres personnages est tout de même traité avec classe. Et on voit avec satisfaction Lydia succomber à cause des tisanes camomille/lait de soja. C’est tout de même la fusillade chez l’Oncle Jack qui retient mon attention. La vengeance explosive de cette dernière scène est intensément satisfaisante pour le spectateur sous tension depuis tant d’épisodes. Une scène tellement extravagante qu’on aurait pu croire à du Tarantino. Oncle Jack est tué de la même façon qu’il avait assassiné Hank, Walt sauve Jesse, Jesse tue Todd.
Cette seconde partie de saison aura exploré de manière inédite ce qu’en 1 voire 2 épisodes les autres séries se proposent de faire. Que se passe-t-il une fois que la couverture de Walt est révélée, une fois que son empire s’écroule ? Que les morts sont trop nombreux pour échapper à la justice ? Détestant par dessus tout les fins que je trouve souvent bâclées et frustrantes, je préfère parfois celles qui sont complètement ouvertes, qui laissent mon imagination galoper. Mais ici tout est brillant.
Cet ultime épisode avait de profonds accents de western : la mise en place lente de la vengeance ultime et implacable, couplée au thème musical habituel de Breaking Bad et au désert qui ressurgit après un brève interlude surréaliste dans la neige du New Hampshire, l’acte de repentance de Walt qui sauve Jesse au dernier moment et bien sûr la mort solitaire d’un anti-héros plus noir que jamais, qu’on peut au choix interpréter comme une punition du destin ou comme un pied de nez à la police qui ne pourra jamais lui mettre les menottes. “Everybody got what they deserved”, c’est la chanson de fin de ce dernier acte, mais aussi le cadeau des scénaristes aux fans dont les nerfs ont été profondément éprouvés.
Que faire après Breaking Bad ?
Comment mesurer l’impact qu’aura eu Breaking Bad sur le monde de la fiction ? Ses cendres sont encore fraîches, mais tout le monde en redemande déjà. Je ne suis pas enthousiasmée par le projet spin-off envisagé autour du personnage de Saul Goodman mais je suivrai certainement avec attention les prochains projets de Vince Gilligan. Si on m’avait prédit lors de la fin de la première partie de la saison 5, l’engouement religieux qui a suivi les derniers épisodes je ne l’aurais pas cru. Toujours évoquée avec respect par les sériephiles, Breaking Bad, que je suivais avec plaisir, ne m’avait pas semblé au niveau de Game of Thrones. Je ne parle pas ici de qualité de la série mais plutôt de potentiel à créer une hystérie collective ou du moins un tel engouement au sein d’une large communauté de fans.
Alors qu’est-ce qui fait la recette d’une série qui aura su provoquer tant d’émoi? C’est peut-être cette montée en puissance d’une tension insoutenable orchestrée brillamment par AMC : un an d’attente après les huit premiers épisodes et un relai dans les médias et les réseaux sociaux à la hauteur de chaque épisode, culte semaine après semaine. C’est un scénario, peut-être un des rares cas pour une série, qui ne perd pas en qualité mais au contraire s’améliore de saisons en saison. Breaking Bad s’achève ainsi à son paroxysme. C’est peut-être aussi grâce à ses acteurs qui ont donné corps à des personnages complexes mais aussi à Vince Gilligan et son équipe, brillants, qui nous ont offert une série dont la rigueur dans la mise en scène et l’écriture n’a d’égal que le respect accordé aux spectateurs.
Pour moi ce final, n’a pas atteint l’intensité que j’ai trouvé à « Ozymandias » mon épisode favori de la saison 5, celui où tout éclate au grand jour, où Hank meurt, où l’innocence du fils de Walt s’évapore devant les révélations faites sur son père et où la violence du père explose enfin. Ozymandias m’a fait sangloter. « Felina » était un adieu préparé de longue date, mélancolique mais profondément satisfaisant. C’est ainsi que nous nous disons au revoir, Mr. White, en nous demandant dorénavant de quoi seront faits nos dimanches soirs.
Vous n’arrivez pas à faire le deuil ? Quelques articles vous intéresserons:
Interview de Vince Gilligan à propos de la fin de Breaking Bad (en anglais) http://insidetv.ew.com/2013/09/30/breaking-bad-finale-vince-gilligan/
Quand Soderbergh voulait diffuser Breaking Bad au cinéma
http://www.vodkaster.com/actu-cine/Breaking-Bad-fin-cinema-Soderbergh-3374
La tribune d’Anna Gunn “I have a character issue” dans le NY Times sur le déferlement des fans contre son personnage
http://www.nytimes.com/2013/08/24/opinion/i-have-a-character-issue.html?_r=2&
Je viens de finir les 5 saisons et j’ai aussi globalement aimé cette fin. J’ai aimé notamment que Walter ne soit pas tué par son cancer, ni par quelqu’un, mais par lui-même indirectement. J’ai trouvé l’attaque à la mitraillette de la bande à Jack jouissive.
Mes petits bémols :
– dommage que son fils reste sur un sentiment de haine pour Walt, et, par exemple, ne sache même pas que ce n’est pas lui qui a tué Hank mais a voulu le sauver…
– j’aurais aimé savoir ce que deviennent certains personnages (Jesse, les amis de Jesse, Brock, Walter Junior, etc.). J’aime bien les fins ouvertes mais j’aurais aimé une petite touche d’optimisme pour conclure cette série noire et tragique.
– j’aurais aimé que Jesse ait plus de reconnaissance envers Walt qui l’a quand même à maintes reprises sauvé, et encore dans cette fin.
Quoi qu’il en soit, une série marquante à tous points de vue !