Sur Séries Chéries nous continuons notre exploration du monde des séries en allant à la rencontre de ceux qui les font et qui les défendent en France, pour mieux comprendre leurs métiers et leurs rôles. Manuel Raynaud est un journaliste français, passionné de séries depuis 2007. Il est l’auteur du blog d’Arte, Dimension Séries, et co-créateur du site Spin-Off, réseau social spécialisé dans les séries TV. Il a très gentiment accepté de répondre à nos questions.
Doit-on dire Manuel Raynaud, « blogueur », « journaliste » ou « critique » spécialisé dans les séries ? Quel est votre parcours ?
En principe, pas un terme plus qu’un autre. Je préfère même celui de passionné parce que la simple idée de m’encarter dans un statut m’effraie. Après, plus prosaïquement, dans ma pratique professionnelle de tous les jours, je me présente aux différents interlocuteurs en tant que journaliste – parce que si je me contente du « passionné », je ne suis pas sûr qu’ils me prennent au sérieux… Cette façon d’envisager mon métier est d’ailleurs plus ou moins liée à mon parcours assez hétéroclite, dans le sens où j’ai suivi une formation professionnalisante (DUT, Licence pro puis Master pro) où c’est le travail qui prime avant le diplôme.
Si ce n’est pas trop indiscret, est-ce votre source principale de revenus aujourd’hui ?
C’est ma principale source de revenu, effectivement. Et comme je ne vis pas à Paris, je vis bien avec peu.
Avez-vous constaté un changement dans votre métier par rapport à un nouvel engouement du public et à la multiplication des publications, festivals… ?
En vérité, je suis moi-même issu de cet engouement plus ou moins récent, déclenché pour ma part en 2007 lorsque j’ai découvert illégalement grâce à Internet Six Feet Under. Je n’ai donc pas le recul d’un Alain Carrazé qui vit dans ce milieu depuis des dizaines d’années. Du coup, le seul changement que je peux constater, ce n’est pas à l’échelle des séries mais de la consommation des produits culturels de manière générale – vous imaginez bien qu’entre l’époque où on consommait la musique sur un walkman, c’est bien différent d’aujourd’hui où il ne suffit plus que d’un clic sur son smartphone. Dans le milieu des séries, la force d’Internet est selon moi de pouvoir nous faire voyager au-delà des frontières fréquentées habituellement par la télévision française. Par exemple, sans Internet, le mouvement des séries nordiques n’aurait jamais eu l’impact qu’il a eu ces dernières années en France et dans le monde. Nos institutions audiovisuelles ont accumulé beaucoup de retard à cause de leurs incuriosités artistiques ; Internet est en train de leur forcer la main. Broadchurch vient une nouvelle fois de le prouver. Dommage qu’on soit dans le dernier wagon et qu’on ne trouve aucun intérêt à être à la place de la locomotive.
Vous avez lancé Spin-Off, comment ça marche ? Misez-vous beaucoup sur le participatif, l’esprit de communauté de la sériesphère ?
Spin-Off est un site participatif qui a pris le contre-pied de nombreux sites participatifs culturels actuels : au lieu d’être un site bibliothèque où seule la taille de la base de données compterait, nous avons essayé de développer une communauté culturellement pro-active. La fonctionnalité de Spin-Off qui fonde ce pacte est celle de la note. Chaque membre peut noter un épisode de 0 à 20, mais des règles s’imposent à chacun, si bien que les membres qui créent un compte pour mettre 20 à leurs séries préférées s’apercevront très vite qu’ils perdent leur temps, parce que ce n’est pas l’objet de Spin-Off. J’invite d’ailleurs tous ceux qui ne veulent pas se prêter à ce jeu de la critique intelligente et de bonne foi à s’orienter vers les sites bibliothèques : depuis que nous sommes arrivés sur le « marché », bizarrement, des tas de petits ont émergé dans notre sillage. Les vertus de Spin-Off convertissent chaque jour un ou deux membres supplémentaires actifs – lesquels peuvent participer à l’enrichissement du site de nombreuses manières (résumés d’épisodes, images d’acteurs, etc) – et c’est largement suffisant pour contribuer à notre bonheur. Et puis nous savons de source sûre que Spin-Off est particulièrement épié par les professionnels, y compris de l’étranger, pour découvrir les séries qui plaisent vraiment aux early adopters*, à ces consommateurs qui découvrent les séries danoises, suédoises, anglaises et même françaises en même temps que leurs diffusions. C’était notamment le cas pour Real Humans qui a fini par faire un carton sur Arte. Les membres du site l’avaient classé 2ème meilleure nouveauté de 2012… juste derrière Les Revenants, deux des plus gros succès critiques de ces dernières années. Pour parler en terme de chiffres si vous voulez avoir un repère, on tourne quotidiennement entre 7000 et 9000 visites pour environ 20000 pages vues.
Vous êtes passé des jeux vidéo aux séries TV. Dans le milieu du jeu vidéo, on s’interroge pas mal en ce moment sur les liens entre éditeurs et critiques, sur l’éthique. Quels sont vos rapports avec les attachés de presse et les distributeurs de séries TV ?
C’est certainement la question centrale de tout journaliste culturel, savoir comment se placer vis-à-vis des publicitaires (un attaché de presse est un publicitaire), des producteurs, des créateurs et des diffuseurs. Peu de temps après avoir créé Spin-Off, j’ai fait pas mal d’erreurs sur le sujet. En l’occurrence, il s’agissait des liens qui m’unissaient à Canal+, machine marketing s’il en est dans le monde de l’audiovisuel français. Ces rapprochements n’ont pas, à mon sens, mené à de la désinformation pure mais, sur du moyen terme, on aurait très bien pu nous reprocher de faire le jeu de la chaîne de manière injustifiée parce qu’on avait des contacts privilégiés. Ça ne s’est peut-être pas trop vu parce que Canal était quasiment à l’époque la seule chaîne à faire des efforts dans le monde des séries, mais ce lien commençait à me peser. Qu’ils cherchent de leur côté à développer ce genre de liens pour pouvoir se vendre me semble normal mais c’est à nous de le refuser. Mine de rien, cette expérience m’a beaucoup servi aujourd’hui puisque je suis lié contractuellement à Arte. Paradoxalement, et c’est aussi l’avantage d’habiter en province, j’entretiens certainement moins de liens avec la chaîne franco-allemande (et, par incidence, avec l’ensemble des attachés de presse des chaînes) qu’à l’époque Canal+… D’ailleurs, c’est ce qui a été convenu avec l’équipe d’Arte : le blog Dimension Séries n’a pas à être un outil de promotion de la chaîne. De ce fait, j’ai une liberté absolument totale dans le choix de mes sujets, tant que je reste professionnel évidemment ! C’est d’ailleurs la raison qui m’a poussé à tenter l’aventure et quitter Ouest-France. Moins d’argent, certes, mais plus de liberté. Quand on est passionné, c’est quand même un luxe rare…
J’ai suivi les différentes affaires qui ont émaillé les jeux vidéo ces derniers mois, y compris le consternant Doritos Gate1. En France, j’ai tout de même l’impression que l’industrie promotionnelle du jeu vidéo est bien plus huilée que celle des séries télé. Du coup, on peut être amené à connaître des situations un peu embarrassantes mais dans des proportions vraiment moins fondamentales. A longueur de temps, je râle sur le fait que les chaînes françaises produisent et diffusent de la série télé par défaut, et non comme un choix éditorial ; paradoxalement, c’est cette absence de motivation qui me permet d’être plus ou moins tranquille. Et c’est aussi pour cette raison que les seuls qui se sont emparés du sujet il y a quelques années sur Internet, Canal+, ont vu s’ouvrir devant eux un boulevard ! Cela dit, je ne me fais aucune illusion sur les relations entretenues entre les chaînes et les gros magazines télé, mais je n’ai pas eu d’expériences assez significatives chez eux pour en rendre compte.
Etes-vous en contact avec d’autres acteurs de la profession (auteurs, acheteurs…) ?
Jamais avec les acheteurs parce que l’acquisition n’est pas un terrain qui m’intéresse du point de vue de l’engagement que je souhaite porter, c’est-à-dire celui de la création française ; très rarement avec les diffuseurs (c’est-à-dire les départements fiction des chaînes) sauf lors d’interviews éventuellement ; de manière irrégulière avec les producteurs ; et à une fréquence déjà bien plus soutenue avec les auteurs, c’est-à-dire les scénaristes. D’ailleurs, il suffit de s’intéresser au sujet environ 5 minutes pour se rendre compte que l’état de la fiction française actuelle n’est pas causé par les scénaristes français mais par les institutions qui peuvent l’encadrer – les diffuseurs appartenant à cette catégorie. Et personne ne croira un seul instant à l’idée que les auteurs télévisuels en France ont un poids immense dans l’évolution du marché : leurs réflexions ne sont entendues qu’à la marge, si bien qu’ils ont tendance eux-même à se marginaliser. Mais quand je lis certains commentaires qui, devant Joséphine ange gardien, insultent les scénaristes de la série, c’est réducteur. Parce que les seuls qui devraient être remis en cause, c’est TF1 qui valide le bon de commande de la série, pas les auteurs. Mais l’hypocrisie va plus loin concernant une bonne partie des chaînes françaises. J’entends un certain nombre de directeurs de programme, voire de directeurs de fiction, demander aux scénaristes de leur proposer des sujets originaux, créatifs, inédits ; mais dès lors qu’ils font face à l’un de ces projets, ils disent « dégage, je veux du familial, du consensuel, du Mimie Mathy ». Quelle hypocrisie !!!
Comment se porte la fiction française selon vous ?
Bon, du coup, j’ai déjà un peu abordé la question – je vous l’avais dit, c’est une obsession… Il y a certains indicateurs qui semblent être au vert mais il ne faut pas que la série Les Revenants cache la forêt. Une forêt dépeuplée où l’on produit, grand maximum, 10-15 nouvelles séries par an quand ce chiffre grimpe à 50 au Royaume-Uni et 80-100 aux Etats-Unis. On pourrait croire que c’est une question d’argent mais ce n’est pas le cas : le coût de la grille de BBC1 + BBC2 est inférieur au coût de grille de France 2 + France 3. Ce n’est donc pas une excuse. Il y a à la fois un problème culturel, plus difficile à définir et, en même temps, un vrai problème structurel – en l’occurrence réglementaire – que j’ai essayé de démontrer dans une enquête sur Dimension Séries. Pour faire simple, malheureusement notre réglementation est ultra laxiste en comparaison du système britannique… qui n’est pourtant pas un pays communiste. Comme quoi.
Comment vous procurez-vous les dernières séries ? Combien en regardez-vous par jour/semaine ?
Officiellement, je ne suis pas censé divulguer mes sources ; officieusement, comme la plupart de ceux qui liront cette interview j’imagine, grâce au formidable outil technologique qui a abattu les frontières : Internet. Quand je me suis lancé dans cette passion, je regardais à peu près toutes les séries de la saison US. Certains jours, il m’arrivait de regarder 6 ou 7 épisodes. J’ai fait quelques saisons US comme ça, et puis je me suis rendu compte que c’était du temps perdu puisque 95% de la production US n’a absolument aucun intérêt. Du coup, le temps que j’ai libéré, je l’ai employé pour découvrir un autre univers, les séries britanniques, dont le ratio bonnes/mauvaises séries est bien supérieur au ratio américain. On y trouve toujours une idée originale, un trait de personnage original, une situation originale, y compris dans les plus mauvaises séries anglaises. Bon, peut-être à l’exception des sitcoms de BBC1. Et petit à petit, je me suis ouvert à d’autres frontières : Australie, Suède, Danemark, Canada, tout en gardant un œil très avisé sur mon terrain de jeu favori, la France. Pas parce que j’aime particulièrement les séries qu’on y fait, mais parce que je cherche à comprendre pourquoi la production française est à ce point en retard. C’est presque devenu une passion subsidiaire, pour ne pas dire une obsession.
Question bonus : vos séries préférées en ce moment ?
En ce moment, comme je n’ai pas Internet (merci Free…), je dois me contenter de ce que j’ai déjà sur mon disque dur ou en DVD. Bon, c’est déjà dépassé mais Breaking Bad est clairement ma série préférée de tous les temps, très très très loin devant The Wire qui se classerait chez moi plutôt dans un top 20. Plus récemment, on a vu en France, sur Canal+ Séries, In the Flesh, série britannique sur des zombies ô combien émouvante et prenante. Je ne peux pas m’empêcher de parler de Rectify, série produite par Sundance Channel aux USA, et dont on vient d’apprendre qu’elle sera diffusée sur Arte. Et puis en France, j’attends avec impatience les suites des Revenants et d’Ainsi soient-ils qui se font attendre… Et j’ai terminé il y a peu de temps la saison 2 de Real Humans et c’est encore mieux que la saison 1. Et ça, c’est cool.
1. Le « Doritos Gate » a éclaté lorsque des journalistes spécialisés ont re-twitté un message publicitaire pour un éditeur de jeux vidéo en échange d’une PS3. Pour en savoir plus c’est ici.
j’ai été ravie d’en savoir plus sur Manu.
Merci à Séries Chéries et Marion & Sophie. J’assure le SAV pour toute demande supplémentaire au cas ou !
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Lu ses coms dans dimension série sur True detective et Typique et c’est vraiment grave tellement c’est pauvre. Comment c’est torché avec un gros Whodunit tout orangé. Melon et mauvais gout, c bad alors l’interview…comment dire
Et breaking bad / The wire hahaha mais la posture et l’imposture
J’aurais aimé en savoir plus sur les raisons de votre haine, je suis sûr qu’elle repose sur des arguments depuis lesquels nous pourrons développer une discussion censée et constructive.
Si vous êtes d’accord, je vous invite même à découvrir mes enquêtes sur la fiction française (ici : http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2013/11/08/television-francaise-creativite-cadre-reglementaire-itv-tf1-france-2-bbc-one/ et là : http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2013/03/29/qualite-serie-diversite-comparaison-angleterre-tf1-france-2-itv-bbc-one/) où je place mon « melon » au centre de tout naturellement ; sur la TNT, royaume de l’anti-création (http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2012/12/21/la-tnt-le-succes-de-lanti-creation/) ainsi que différents décryptages comparatifs dont l’un est plutôt d’actualité (House of Cards US vs UK par ici : http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2014/02/14/house-of-cards-royaume-uni-vs-etats-unis-bbc-netflix-kevin-spacey-ian-richardson/ et Homeland vs Hatufim par là : http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2013/06/15/hatufim-homeland-comparaison-plans-rapproches/).
Il est normal que vous ne soyez pas d’accord avec moi sur True Detective et Typique mais je crois que réduire mon travail à la rubrique Replay est réducteur ; d’autant que le travail de critique n’est pas celui que j’affectionne en premier lieu. J’espère – en tout cas c’est ce que je cherche à faire – fournir un avis nuancé au maximum de façon à valoriser ce que je perçois comme des qualités et comme des défauts.
J’ai beau pas être d’accord sur tout, notamment sur The Wire / Breaking Bad, mais dans tous les cas les avis de Manuel Raynaud sont très intéressants et argumentés. Enfin quelqu’un qui prend parti pour la fiction française !