Point de vue : les séries françaises peuvent-elles rivaliser avec les séries américaines ?

Marion a attiré notre attention récemment sur un article du New York Times consacré aux séries françaises. On pensait que la cause des séries françaises aux Etats-Unis était définitivement perdue. Apparemment non, mais soyons lucides, le jour où nous verrons les Américains se ruer sur les plateformes de VoD* françaises pour suivre nos créations gauloises au fil des diffusions nationales n’est pas encore arrivé. Que nous manque-t-il pour rivaliser ?

Question de talent ?

Est-ce que Mad Men, Breaking Bad ou Game of Thrones auraient pu sortir du cerveau génial de scénaristes français ? Pourquoi pas. Mais peut-on imaginer que des succès critiques et populaires du niveau de ces trois séries puissent émerger en France ? Là, on en doute. Essayons de comprendre pourquoi.

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Parmi les observateurs qui se sont penchés sur le sujet, il y a ceux qui défendent la théorie du « creuset de talents ». Que dit cette théorie ? Le marché du broadcast* US est grand. La demande y est forte. Les moyens déployés pour répondre à cette demande sont considérables. Le nombre d’auteurs et de techniciens formés par les écoles de cinéma américaines, conjugué à la qualité de ces formations, explique que les talents ont plus de chance de s’épanouir aux Etats-Unis qu’ailleurs. Ça se tient mais ça n’explique pas tout de l’immense suprématie américaine. Pour faire des séries, il faut beaucoup de monde : scénaristes, réalisateurs, photographes, monteurs, chefs opérateurs, acteurs, etc. Les grands chefs-d’œuvre sont le fruit d’une combinaison rare et complexe de talents. C’est un travail collectif qui permet un parallèle éclairant. En football, tout le monde sait que les brésiliens produisent plus de joueurs talentueux que n’importe quel autre pays dans le monde. Ce faisant, ils remportent plus de coupes du monde que les autres. Mais pas toujours, car la somme des talents ne suffit pas tout le temps à atteindre l’excellence collective. Souvent, il arrive que de plus petits pays comme l’Italie, l’Allemagne ou la France parviennent aussi à remporter des succès planétaires. Or, en matière de séries, ces succès planétaires ne naissent jamais ailleurs qu’aux Etats-Unis.

L’équation artistique et financière

Les Etats-Unis n’ont pas le monopole des bonnes idées, loin s’en faut. Modern Family est inspiré d’une création française : Fais pas ci, Fais pas ça. Homeland est l’adaptation d’une série Israélienne : Hatufim. On pourrait multiplier les exemples. Récemment le succès de Falco sur TF1 a attiré l’attention de producteurs outre-Atlantique. Il n’en fallait pas moins pour que Sylvester Stalone déclare vouloir produire une adaptation de la série allemande qui avait inspiré Falco. Falco est un succès national, ce ne sera jamais un succès mondial. Il n’est pas impossible cependant que l’adaptation américaine devienne un succès international. On touche là à un point crucial de la réflexion qui nécessite d’en passer par quelques considérations économiques.

FALCO

Les grandes séries demandent d’importants moyens. Par exemple, un épisode de Breaking Bad coûte pas loin de 3,5 millions de $. C’est environ 3 fois plus que le coût des plus grosses productions françaises. Breaking Bad réunit une audience de plus de 5 millions de personnes sur une chaîne payante aux US. Seuls les Etats-Unis sont capables de réunir autant de téléspectateurs sur une chaîne câblée avec un public suffisamment qualifié pour tolérer une liberté de ton aussi radicale. Les chaines françaises capables de faire des audiences comparables pour une série sont rares : en gros, TF1 et France 2. Certes, les populations françaises et américaines ne sont pas comparables, mais le raisonnement reste en partie valide. En fait, le vrai problème c’est que jamais l’histoire d’un prof qui devient un héros du quotidien en s’épanouissant dans le trafic de drogue ne pourrait passer l’épreuve de la programmation de ces chaines. Est-ce que les téléspectateurs de TF1 et France 2 répondraient positivement à une initiative de ce type ? C’est une autre question et c’en est une bonne. Il est à craindre que nous ne le sachions jamais. Autre point important, les producteurs américains ont la quasi-certitude que leurs succès domestiques se transformeront en succès internationaux. De tels horizons de diffusion permettent des paris financiers et artistiques audacieux. Ces équations sont très difficiles à résoudre en partant de France.

Excuse my French…

Les producteurs français ont bien saisi l’opportunité. Ils tentent de s’y engouffrer en passant à l’anglais : Borgia (Canal+), Jo (TF1). Les téléspectateurs de TF1 ont été tellement surpris de voir Jean Reno se doubler lui-même de l’anglais au français que l’incompréhension a quelque peu plombé les résultats attendus. Attendons de voir s’ils compenseront cette perte relative sur le marché national en vendant plus facilement la série à l’étranger.

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Avec Borgen et Real Humans, les séries scandinaves montrent la voie. Un succès critique et populaire international est possible… à l’échelle européenne. Étendre ce succès jusqu’au marché US relève d’un tour de force supplémentaire :
1) passer la barrière culturelle qui se cristallise dans la langue…
2) …tout en restant original.
La tolérance du marché US aux contenus non anglophones est nulle. C’est ce qui rend la filière du remake aussi puissante. Rester original: pas si facile. Pourquoi les américains s’intéresseraient-ils à The Borgias qui ressemble de si près à une version dégradée des Tudor ? Le succès de Downton Abbey aux Etats-Unis offre un contrepoint intéressant. L’originalité de l’histoire de la famille Crawley pour le public américain repose en partie sur l’exotisme culturel du vieux continent. C’est un point que les deux séries partagent. Cependant, Julian Fellowes (créateur de Downton Abbey) n’a pas eu besoin, à la différence Tom Fontana (créateur de Borgia), de compenser des lacunes d’écriture en tirant sans cesse sur les cordes du sensationnel : alterner régulièrement séquences de sexe et séquences de violence. Enfin, les séries anglaises ont cette chance de ne pas trop avoir à se soucier des barrières culturelles pour enjamber l’Atlantique.

The Making of Downton Abbey book-1502757

Dans la fiction cinématographique, un film français a réussi ce tour de force incroyable d’être à la fois un succès critique et populaire dans le monde entier, États-Unis compris : The Artist. Comme par hasard, il s’agit d’un film muet. Conclusion, ne partons pas vaincus d’avance mais la voie est rude. En attendant, Messieurs les producteurs de séries, essayez les séries muettes…

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