Dans les années 90, avoir les cheveux longs, porter la redingote et le pantalon de cuir n’était pas un privilège réservé aux fanatiques de Francis Lalanne. Ce look de sauvage biker ou de poète de la nuit était beaucoup plus répandu qu’on ne le pense, surtout chez les justiciers de tous poils. Eh oui messieurs dames, les cuissardes de cuir ont été badass fut un temps, qu’on se le dise ! Pour rendre hommage à cette glorieuse époque, je vous propose aujourd’hui l’affrontement entre deux fanas du catogan, deux esthètes du coup de pied retourné, bref deux vengeurs des nineties. Entre Eric Draven et Duncan Mac Leod, qui sera le plus classe des justiciers ?
Round 1 : Badass mais fidèle ?
Je vous vois venir bande de petits malicieux, non je ne vous parlerais pas ici de galipettes et autres fornications. Bien que Draven et MacLeod soient des héros sexués et même diablement amoureux, la fidélité qui va nous occuper aujourd’hui est plutôt affaire de loyauté par rapport à leurs univers filmiques. On ne déflorera guère de mystère en rappelant que ces deux séries ne sont pas tout à fait des créations purement originales. Toutes deux sont avant tout des dérivés de films à succès. Une question se pose alors : ces rejetons sont-ils dignes de leurs modèles ou bien n’a-t-on affaire qu’à de pâles copies défraîchies ?
Adapter en série The Crow, c’est déjà se heurter à un mythe. Non pas d’ailleurs pour la seule qualité du film mais pour le statut d’œuvre maudite de la création originale. Marqué par la mort de son interprète principal, Brandon Lee (le fils de Bruce), The Crow et le rôle d’Eric Draven en particulier sentent légèrement le souffre. Malgré tout, cette aura dramatique ne semble pas avoir freiné les créateurs de la série puisque The Crow Stairway to Heaven est tout simplement un remake de l’œuvre originale. A charge pour Mark Dacascos de se glisser dans la peau de feu Brandon. Nul doute que toutes les armes à feu présentes dans la série ont dû être très minutieusement surveillées.
Que retrouve-t-on de The Crow dans The Crow ? Eh bien tout ou presque. Même histoire de justicier revenu d’entre les morts pour venger sa bien-aimée. Mêmes méchants patibulaires aux noms ridicules (être un gangster et s’appeler Tin Tin, y a pas à dire, faut oser), et mêmes pouvoirs surnaturels permettant à Draven de courir le 100 m après une décharge de plombs. Tout y est sauf une chose : l’aspect jubilatoire de la violence. Alors que dans le film le corbeau punit ses ennemis de manière définitive, dans la série il corrige, il redresse mais jamais il ne tue. Le rédempteur s’est substitué au vengeur. Les amateurs du Punisher et d’un Justicier dans la Ville seront sans doute déçus mais le héros perd en noirceur ce qu’il gagne en dimension héroïque. Pourquoi pas ? Ceux qui préfèrent les super héros gentils tout plein s’y retrouveront sans doute un peu plus. L’essentiel est en tout cas conservé : The Crow reste un être brisé, toujours épris de son amour perdu, paumé au milieu d’un monde abîmé et corrompu. Bref, relecture certes mais point de trahison à déplorer.
Qu’en est-il de la série Highlander ? Grande différence avec The Crow, cette série s’émancipe de son modèle en étant conçue comme une sorte de spin-off voire même de suite parallèle des aventures de notre Christophe Lambert national. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si Connor MacLeod, le héros de la franchise filmique, est présent dans le pilote de la série pour une sorte de passage de témoin à son cousin Duncan. Eh oui, on a le sens de la famille chez les immortels. A première vue guère de souci en ce qui concerne la fidélité à l’univers, mais cet univers était-il déjà cohérent ?
Immortels d’origine extraterrestre ou non, personnages ressuscités par l’opération du saint esprit, modification des règles de l’univers sans explication, la saga Highlander ne nous épargne rien, quitte au passage à perdre toute crédibilité voire même toute logique. Comment la série peut-elle alors se sortir d’un tel passif ? Eh bien tout simplement en traçant sa propre route.
La série ne tente à aucun moment de rattraper les incohérences posées par les films du passé, en particulier d’ailleurs le 2ème volet et ses élucubrations spatio-temporelles. La série Highlander construit son propre mythe en partant des bases du premier film et en construisant ensuite, au fil des saisons, son propre univers avec ses propres codes. Les personnages des Guetteurs par exemple, société secrète chargée de surveiller les immortels, sont une création originale, jamais apparue auparavant dans les films. Après la fin de la série, les deux films Highlander sortis au cinéma ou en vidéo en 2000 et 2007 reprendront d’ailleurs ces nouveaux codes et ces personnages pour en faire la nouvelle ligne officielle. Comme quoi, le rejeton peut aussi tuer le père.
Quelle conclusion tirer de tout ça ? Fidèle jusqu’à la relecture de l’œuvre principale chez The Crow, fidèle mais rebelle chez Highlander : aucune des deux séries ne constitue une trahison par rapport à son modèle filmique. Par contre, si dans le cas du corbeau on assiste à l’affadissement d’une licence, pour les aventures de Duncan au contraire on assiste presque à la renaissance de la franchise.
Vainqueur : Fidèle et plus si affinités, le Highlander parvient à dépasser son modèle. Émancipation réussie pour Duncan qui décroche la première manche.
The Crow 0 – Highlander 1
Round 2 : Ils mettent leurs pieds où ils veulent et c’est souvent dans la gueule
Toutes fantastiques qu’elles soient, ces deux séries n’en demeurent pas moins des séries d’actions. Adeptes de bourre-pif, de manchettes et autres uppercuts, Highlander comme The Crow n’ont sans doute pas manqué de ravir vos jeunes années en prouvant que Jean Claude Van Damme n’avait pas le monopole du coup de pied retourné. Eh oui, ce n’est parce que l’on revient d’entre les morts ou que l’on a vécu plus de 400 ans que l’on ne peut pas soulever la patte ou donner des coups de griffes tel un jouvenceau. Une chose est sûre : ni Duncan MacLeod ni Eric Draven ne comptent s’en laisser conter par les méchants de tous poils et de toutes carrures. Mais qui des deux justiciers mérite le plus sa ceinture noire de combat rapproché ?
Deux écoles s’affrontent en matière d’affrontements avec ces deux séries. D’un côté, l’art du sabre et de l’escrime avec le Highlander et de l’autre, l’art du kung fu et du self defense avec The Crow. Deux philosophies, deux pratiques qui se rejoignent pourtant souvent dans le déroulé des combats. Systématique dans la série de l’immortel, un peu moins dans The Crow, on retrouve une construction des affrontements proche de celle d’un jeu vidéo. Comprenez par-là que le justicier doit d’abord se farcir le menu fretin, les hommes de mains, avant d’affronter le grand boss, vil immortel, vicieux mafieux ou personnage maléfique surnaturel. Les petites échauffourées en cours d’épisode ne sont ainsi que des mises en bouche pour mieux nous faire attendre l’affrontement final avec toute la charge dramatique qui convient. Autant dire que ce dernier affrontement a vivement intérêt à dépoter sec !
Dans The Highlander, les heurts entre immortels prennent souvent une allure de cérémonial. Il y a quelque chose relevant du combat de samouraï ou du duel de mousquetaires dans ces affrontements. On se bat en général en un contre un avec son arme de prédilection, sabre, épée ou fleuret en fonction de la personnalité du porteur. Comme dans un Star Wars, l’aspect et la forme de l’arme blanche possède un côté symbolique qui donne autant d’informations sur l’adversaire que son look vestimentaire. Chaque lutte entre immortels possède tous les aspects du combat rituel traditionnel, nous faisant attendre chacun de ces combats comme autant d’enjeux centraux au cours des épisodes. Après tout, l’essence de la série est là : il ne peut en rester qu’un. Quant à la réalisation des combats en eux-mêmes, tout dépend bien souvent de la capacité des acteurs en la matière. Si Adrian Paul, l’interprète de Duncan, virevolte et bondit en tous sens, c’est avant tout parce que l’acteur pratiquait assidûment le katana bien avant la série. Difficile de demander à Georges Corraface ou à Roddy Piper d’en faire de même. Et pourtant, comme dans un Star Wars à nouveau, la chorégraphie reflète aussi des types de personnages, du lâche au dominateur tout puissant. Virevoltants ou neurasthéniques, de toute façon une seule chose importe, comment Duncan va-t-il à nouveau triompher.
Chez le corbeau, le challenge à relever pour Mark Dacascos s’annonce plutôt relevé. Succéder au fils de Bruce Lee dans l’art de distribuer les beignes il faut oser. Pourtant, Dacascos n’est pas un perdreau du nouvel an. L’acteur maîtrise pas moins de huit arts martiaux différents dont le Wun Hop Kuen Do, art du combat fondé par son père, excusez du peu. A l’écran, la maîtrise de l’acteur se voit indéniablement. Un seul terme pourrait résumer la façon de se battre du corbeau : efficacité. En un geste le gredin est désarmé et le gangster maîtrisé. Même lors des combats contre les fameux boss, un peu plus résistants, les coups de pieds et de poing fusent, les affrontements ne durent jamais bien longtemps. En même temps, pour une sorte de super justicier à la force décuplée, le contraire serait surprenant. On est bien loin des luttes très théâtrales du Highlander. Si l’on perd en cérémonial, on gagne aussi en spectacle avec des combats plus réalistes ou en tout cas souvent plus impressionnants.
Vainqueur : Victoire par KO sur cette manche pour The Crow. Le kick brise l’épée grâce à son efficacité.
The Crow 1 – Highlander 1
Round 3 : Le charisme de l’action hero
Un héros de film d’action a beau maîtriser le combat, les armes ou même l’art du saut périlleux arrière, s’il possède autant de charisme qu’une moule de bouchot, il risque fort de se retrouver cantonné au rayon nanar d’un vidéoclub de Melun. Comment s’en sortent nos Eric Draven et Duncan Mac Leod ? Parviennent-ils à échapper à la tentation du kitsch ou s’y complaisent-ils totalement ? Voilà un critère qui pourrait bien sauver ou condamner leurs séries respectives.
The Crow a pour particularité de posséder un héros double. D’un côté Eric Draven, le musicien mélancolique se remémorant sans cesse son amour disparu, et de l’autre le corbeau, vengeur peinturluré méchamment énervé. Comment tout ça se traduit-il à l’écran ? Étonnamment par une transformation de Mark Dacascos en Joker de The Dark Knight. Difficile de ne pas penser à un Heath Ledger avant l’heure lorsque l’on voit Draven fanfaronner devant un ennemi avant de l’éliminer. Surtout que son maquillage fait furieusement penser à une version proprette de celui du Joker. Ne nous emballons pas non plus, la violence du corbeau est loin d’égaler celle du clown, on reste dans quelque chose de très soft. Quant au charisme, mieux vaut arrêter là la comparaison…
Ce qui est étonnant avec ce The Crow version Dacascos c’est que son incarnation d’Eric Draven est souvent plus convaincante que celle du vengeur lui-même. Là où Draven incarne la figure romantico rock que l’on avait pris plaisir à connaitre dans le film, le corbeau apparaît bien plus comme une sorte de cosplayer emo un peu trop énervant. Jamais le personnage n’arrive à dégager l’aura d’étrangeté et de force qu’il est pourtant censé projeter sur ses ennemis. S’il parvient tout de même à ses fins et à faire peur à ses adversaires, on aura bien du mal à le prendre au sérieux même avec la meilleure volonté. Il faut reconnaître aussi qu’autant le déguisement fonctionne bien de nuit, autant le jour le malheureux a plus l’air d’un catcheur en vadrouille qu’autre chose.
Du côté du Highlander le constat est un peu différent. Si avec son catogan et son katana l’immortel aurait pu être relégué au rang de fausse doublure de Steven Seagal dans sa prime jeunesse, Adrian Paul parvient à dépasser les caricatures pour apporter une sorte de noblesse à son personnage. Toujours très digne, souvent élégant, Duncan Mac Leod apparait comme une sorte de chevalier du temps, un seigneur ayant vécu mille vies en ayant au passage acquis la sagesse d’un maître zen. Nous parlions de samouraï plus haut en ce qui concerne les combats, on retrouve cette même dynamique dans la stature du personnage. Une distinction aristocratique qui loin de faire sombrer le personnage dans la singerie lui permet au contraire de gagner une sorte de classe naturelle. Seule ombre au tableau, cette distinction peut parfois le rendre un brin monolithique, quitte à ne plus faire passer beaucoup d’émotions. Dommage mais la sensibilité ce n’est pas son truc à l’ami Duncan.
Autre point fort : la diversité. L’avantage lorsqu’un personnage a vécu 400 ans c’est qu’il devient multiple surtout lorsque l’on use et abuse du flash-back. Duncan Mac Leod n’est pas qu’un vengeur, il est aussi un soldat de la première guerre mondiale, un chevalier du moyen âge, un amérindien du siècle dernier ou un noblaillon du siècle des Lumières. S’il faut reconnaître que tous ses rôles sont joués de manière assez similaires par Adrian Paul, ils apportent énormément de profondeur à un personnage qui devient peu à peu à nos yeux un véritable immortel.
Vainqueur : Aristocrate du temps vs vengeur masqué qui n’effraie guère, le Highlander emporte le prix du charisme. Désolé corbeau mais l’immortel est bien le plus classe des justiciers.
The Crow 1 – Highlander 2
Et le vainqueur par deux manches à une, « The Immortal » Duncan Mac Leod ! Victoire sans partage pour Highlander, une série qui malgré les années restera définitivement immortelle dans nos souvenirs de jeunes sériephiles. Un brin kitsch, mais totalement culte.