Sans crier gare, Netflix nous a encore une fois surpris en proposant une nouvelle série sans même en avoir évoqué auparavant l’existence. Il y a moins d’un mois, est sortie de nulle part une œuvre inconnue et énigmatique sur leur célèbre plateforme : The OA.
Son apparition, même inattendue, n’a pourtant pas immédiatement créé un énorme tollé. Mais quelques semaines après, voilà que The OA est partout. Est-ce un nouveau coup de cœur sériel unanime, comme Stranger Things ? Je n’en suis pas certaine. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette série intrigue, et questionne énormément ses spectateurs. Que peut-il donc bien se cacher derrière ce titre étrange ?
Un pitch énigmatique
Avant même d’être profondément plongé dans l’univers de The OA, cette série nous propose un point de départ énigmatique. Créée par Brit Marling (l’interprète de l’héroïne) et Zal Batmanglij, ces figures du cinéma américain indépendant ont décidé de nous offrir une œuvre emplie de mystères.
Prairie Johnson, une jeune fille aveugle, réapparaît brusquement après sept ans d’absence. En plus d’avoir mystérieusement recouvré la vue, cette dernière ne se reconnait plus en tant que « Prairie » mais souhaite désormais être appelée « The OA ». Que lui est-il arrivé ? Les circonstances et les raisons entourant sa disparition restent inconnues, et provoquent chez ses parents adoptifs et le FBI bien des questionnements. Mais elle ne semble pas décidée à raconter ce qui lui est arrivé. Ou plutôt, pas à eux…
Ce premier pitch était donc plutôt prometteur, puisqu’il ne dévoile aucunement dans quel registre évoluera cette série. Fantastique ? Science-Fiction ? Ou au contraire drame réaliste empli de mysticisme ?
Mysticisme ou Science Fiction ?
Définir le genre de The OA est chose complexe. Véritable récit dans le récit sériel, Prairie qui se terre dans un mutisme total auprès de ses parents et du FBI, décide pourtant de révéler son expérience à un petit groupe de marginaux de sa ville. En effet, entourée de quatre adolescents paumés dans des quêtes identitaires propres et d’une professeure ayant perdu la foi dans la vie et le bonheur, Prairie se livre, petit à petit, au fil du récit de sa disparition. On s’attend alors à obtenir des réponses à travers son histoire : des extraterrestres ? De la science-fiction ? Et bien non. Une épopée mystique ? Bingo.
The OA s’intéresse en fait de très près au phénomène étrange du « Near Death Experience » ; autrement dit l’expérience de mort imminente. En effet Prairie, durant son enfance, a été confrontée à un retour à la vie après avoir connu la mort durant quelques minutes. Ce miracle dont on entend souvent parler, qui donne du fil à retordre aux scientifiques et agace les sceptiques, est ici tout aussi intrigant que dans la réalité. Car la question que tout le monde se pose, c’est que se passe-t-il durant ces secondes ou minutes où le corps est déclaré mort ? Où va notre esprit quand le cœur s’arrête de battre ? Quitte-t-il notre enveloppe charnelle pour un au-delà, une autre dimension ? Le fameux « tunnel de lumière » ?
Après d’autres séries comme Grey’s Anatomy, c’est au tour de The OA de nous proposer sa version personnelle de l’expérience de la mort imminente. Au-delà de créer une nouvelle façon d’illustrer cet instant si rare et mystérieux, et loin de le faire advenir à un moment de l’histoire tel un événement isolé, c’est ici le cœur même de la série. En effet, c’est parce qu’elle a vécu une expérience de mort imminente qu’un scientifique s’est intéressé à elle et que Prairie s’est retrouvée séquestrée dans le sous-sol de la maison du (faussement) bienveillant docteur, avec d’autres individus ayant vécu la même chose.
On est donc bien loin de nos premières pistes nous emmenant vers la science-fiction ou le fantastique. En revanche le mysticisme est totalement invoqué dans The OA, qui plus que jamais questionne les limites de l’esprit, la foi et l’existence d’autres dimensions invisibles (comme Stranger Things a pu le faire, mais dans un registre fantastique, avec son monde parallèle de « l’upside-down »).
Un univers étrange porté par un esthétisme symbolique
L’odyssée mystique de The OA ne serait pas aussi forte si elle n’avait pas été portée par un tel esthétisme symbolique. En effet, la représentation de la dimension à laquelle Prairie a accès lors de ses expériences de mort imminente est à couper le souffle. Cet espace infini plongé dans l’obscurité, faiblement éclairé par ces petits points de lumière semblables à des étoiles et des constellations est totalement enchanteur. Quoi de plus symbolique que d’évoquer l’univers cosmique qui reste encore si mystérieux pour nous ?
Grâce à cette expérience de mort imminente, Prairie et ses congénères séquestrés semblent avoir réussi à accéder à un autre niveau de leur esprit, leur donnant accès à des facultés, des dons uniques. Se prenant eux-mêmes pour des anges, ils sont mis en scène à travers des attitudes hautement connotées. Ainsi, lorsque l’un d’eux, après une expérimentation de trop par le scientifique qui les étudie, est ramené dans sa cellule et que la vie quitte peu à peu son corps, c’est dans une posture christique qu’il est allongé sur le sol. Tel Jésus sur sa croix, il gît au sol, les bras écartés, les jambes unies et repliées, avec un simple linge clair pour cacher sa nudité.
Enfin, pour pouvoir accéder à leurs dons (tels que la guérison), les rats de laboratoire devenus des anges doivent réaliser une gestuelle précise, une sorte de danse avec différents mouvements à répéter encore et encore. Cette danse, les rendant presque en transe, n’est pas sans évoquer les nombreux autres rites spirituels qui ont pu exister durant l’histoire de l’humanité.
Miracle ou mensonge ? La spiritualité face au traumatisme
Si nous n’avions pas encore été perdus au cours du récit de Prairie, c’est là que notre esprit se brouille. Car oui, lorsque nous évoluons dans un monde fantastique la question du réalisme ne se pose pas. Dans True Blood, nous ne réfutons pas l’existence des vampires ou des loups-garou. Plus récemment dans Strangers Things, nous ne nous interrogions pas sur l’existence de l’uspide down et du monstre qui y réside. Pour The OA, c’est bien différent car dans ce drame réaliste, certes empli de mysticisme, la frontière entre réalité et imagination est difficile à percevoir.
Alors que nous entrons dans l’histoire contée par Prairie à ses amis, on veut y croire, on y plonge tout entier en se disant que nous aussi allons découvrir un nouvel univers certes réaliste, mais aussi surnaturel, où la spiritualité ouvre de nouvelles portes vers des facultés inconnues. Mais au-delà de notre questionnement sur son récit des événements, les personnages de The OA eux-mêmes viennent nous faire douter de toute cette histoire.
Entre Prairie qui ne semble pas avoir la même version des faits pour ses parents que pour le club des cinq, des éléments de son récit auxquels il lui est impossible d’avoir assisté ou la découverte sous son lit d’ouvrages tels que L’Odyssée d’Homère (nom d’un de ses camarades séquestrés) ou traitant des anges, de l’au-delà et de l’oligarchie russe dont elle est censée être issue, on en vient à mettre en doute son histoire. A-t-elle vraiment vécu toutes ces choses ou est-ce le fruit de son imagination, inspirée par ses lectures ?
A défaut de la version d’Homère, on se demande ici si nous venons pas tout simplement d’assister à L’Odyssée de Pi, film de Ang Lee, où le récit d’un drame est enjolivé et transfiguré pour mieux accepter l’horreur de la situation. Prairie aurait-elle donc menti sur les événements, apporté une dimension mystique à son emprisonnement pour mieux accepter son traumatisme ? Car finalement, le thème de The OA ne serait-il pas plus la séquestration et son processus de guérison que le mysticisme et la foi ?
Bilan de saison
Cette série mystérieuse le reste donc jusqu’au bout, et au lieu de répondre à nos questions, elle les multiplie dans son final. Trop de questions ne tueraient pas la question ? Le risque en effet est qu’à force de vouloir nous faire douter de tout, de dérouler des questions à l’infini, le spectateur perde tout intérêt… au point qu’il ne revienne pas forcément pour la seconde saison. Cependant, même si je ne sais toujours pas à quel point j’ai aimé cette série, The OA a le mérite de fasciner, de nous faire voyager jusque dans une nouvelle dimension sérielle. Une belle expérience.