Dire que la chaîne FX nous déçoit rarement en ce moment fait figure d’euphémisme. Entre American Horror Story, The Americans, Fargo ou encore Archer, tous les types de fiction, du polar à la comédie parodique, se voient offrir un traitement plus que qualitatif. Autant dire que lorsque les premières rumeurs ont fait état de l’ambition de la chaîne de s’attaquer à l’adaptation de comic books, les attentes ont atteint des sommets. D’autant plus qu’aux commandes, nous retrouvons nul autre que Noah Hawley, responsable de l’adaptation de l’univers des frères Coen en série avec les deux très réussies saisons de Fargo, excusez du peu. Bref, tout semble réuni pour crier au chef d’œuvre, mais après un premier épisode diffusé, est-on face au renouveau annoncé ou bien le soufflé est-il déjà retombé ?
S’affranchir d’un héritage
Premier défi pour Legion : que faire du tentaculaire univers Marvel actuellement à l’œuvre au cinéma comme sur petit écran (Daredevil, Jessica Jones, etc…) ? Pour ne rien arranger, la série doit en plus assumer l’héritage de la franchise X-Men produite par la Fox tout au long des années 2000. Que faire de Wolverine, Tornade et tutti quanti ? Et si la meilleure réponse était tout simplement l’esquive ? Bonne nouvelle pour tous les non familiers de l’univers des super héros, Legion n’est pour l’instant pas le genre de série à jouer le jeu du fan service et des clins d’œil à foison, préférant mener son chemin en totale indépendance et en toute liberté.
Un choix bienvenu qui permet d’aborder la question de l’apparition d’un super pouvoir de manière plutôt novatrice. Le premier tiers de l’épisode joue ainsi le jeu de l’inquiétante étrangeté plutôt que celui du bourre-pif spectaculaire très (trop ?) souvent attendu dans les productions du genre. David Haller (Dan Stevens), le personnage principal du récit, nous est avant tout montré comme un marginal. Après l’avoir vu grandir en quelques fragments de vie accompagnés de l’ironique Happy Jack des Who, nous le retrouvons au moment où il est enfermé dans un hôpital psychiatrique après avoir tenté de mettre fin à ses jours. La série va alors se jouer des codes de la folie tant à travers sa mise en scène que dans son esthétique pour montrer un personnage en perte de repères, confronté à des phénomènes qu’il ne maîtrise pas. Une bonne idée qui permet de s’attacher à un héros que l’on découvre d’abord dans ses fragilités plutôt que dans une toute puissance qui lui ferait perdre d’emblée son humanité.
La promesse est alléchante et correspond alors à ce que l’on pouvait percevoir jusqu’à présent dans les trailers. Ne pas aborder l’univers des X-Men par l’angle du racisme ou de la discrimination mais par celui de l’identification du pouvoir à un délire schizophrénique voire à une forme de paranoïa. Rester donc sur une incertitude avant de basculer sur l’inévitable affrontement. Le seul problème c’est que ce postulat suppose un certain doute chez le spectateur ou tout du moins chez les personnages. Une incertitude dont nous ne sommes jamais dupe mais qui surtout se retrouve vite balayée dès la deuxième partie du pilote. Très vite, la présence d’une mystérieuse organisation interrogeant Haller sur les événements s’étant déroulés dans l’hôpital nous replonge dans les classiques des X-Men. La métaphore sur la folie reste derrière nous et le combat face à l’humanité semble se profiler. Difficile de savoir à quel point ce pilote peut donc être représentatif de l’intégralité de la série.
On ressort de cet épisode empli de questions mais avec encore bien peu de réponses. Le risque de tomber dans l’archétype de la série de héros classique, avec son groupe de héros face aux méchantes organisations secrètes, reste plus que jamais présent. Restons optimistes malgré tout, si la série affronte les poncifs du genre, gageons qu’elle le fera au moins avec un style à nul autre pareil. Difficile d’imaginer aussi que la question de la maladie mentale soit totalement évacuée à l’avenir lorsque l’on connait le background du personnage de Légion dans la bande dessinée, premier mutant présentant le rare phénomène de la dissociation de personnalités. Croisons les doigts, il serait bien dommage que la série ne nous offre qu’une énième croisade des mutants.
Le décalage comme mode d’existence
La patte de Noah Hawley dans Fargo, c’était d’abord celle d’un créateur d’ambiance, d’une atmosphère tout en décalage qui contribuait à l’identité de la série au moins autant que l’une ou l’autre des thématiques abordées dans les deux premières saisons. Si l’on pouvait penser que cette signature était un hommage revendiqué au style des frères Coen, on la retrouve pourtant d’une certaine manière ici, avec des personnages paraissant toujours étrangers au monde qu’ils habitent.
Le cœur de ce premier épisode est consacré à l’histoire d’amour impossible entre David et Syd Barrett (Rachel Keller), une jeune femme mystérieuse et lunaire ne supportant aucun contact physique. Cette rencontre entre deux personnages instables apporte quelques moments de poésie bienvenue au premier épisode. Leur lien symbolisé par un bandeau, seul moyen pour eux de se tenir la main, les fait ressembler à un couple d’enfants jouant une histoire d’amour toute en maladresse. Ce qui est intéressant avec ce personnage, c’est le rôle de mentor non conventionnel qu’il est appelé à jouer. Elle permet à David Haller de rompre la boucle d’ennui, voire de renoncement, dans laquelle il semble s’enfoncer au tout début de la série, pour avancer à nouveau avec une confiance retrouvée. Leur relation donne une profondeur et une sensibilité à David, qui ne se définit plus ainsi par sa seule folie apparente.
Plus tard, son rôle de mentor prend une autre dimension lorsqu’elle lui permet de comprendre que des pouvoirs surnaturels peuvent exister hors de ses propres hallucinations. Syd se fait à la fois perturbatrice et révélatrice, pour resituer David par rapport au monde qui l’entoure. Son décalage questionne en tout cas et continue d’intriguer jusqu’aux ultimes moments de ce pilote.
Autre OVNI dans ce petit monde de fous : Lenny, incarnée par une Aubrey Plaza totalement possédée. Sorte de croisement improbable entre le Johnny Depp de Pirates des Caraïbes et le Brad Pitt de Fight Club, le tout agrémenté d’une bonne dose de nonchalance, Lenny est un personnage que l’on voit assez peu mais qui n’en demeure pas moins marquant. Faisant figure de conscience de notre héros, elle apparaît comme une extériorisation de toutes ses pensées, un personnage sans filtre qui lui dit ce qu’il se refuse à formuler, à la limite de la projection mentale. Restera-t-elle présente dans les futurs épisodes sous une forme ou une autre ? Mystère. Souhaitons-le, la liberté de ton de Lenny pourrait permettre des échanges plutôt réjouissants.
Citons encore l’une de ces étranges apparitions avec le personnage de la sœur de David : Amy (Katie Aselton). Vue pour la première fois alors qu’elle rend visite à son frère, on la prend d’ailleurs alors volontiers pour sa mère. Archétype de la femme des suburbs américaines des années 60-70, elle semble toute droit sortie d’une version vintage de Desperate Housewives. Sa relation avec son frère, mélange de retenue, de distance, et en même temps d’une certaine forme de tendresse, questionne sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans le futur de la série. Sera-t-elle un point d’appui pour David ou tout au contraire une menace ?
Son appréhension envers les mystérieuses facultés de son frère permet en tout cas de découvrir un point de vue plus intime sur la perception des humains « normaux » face aux « mutants », ici toute en volonté de protection mais aussi en constat d’impuissance. A suivre donc, mais l’évolution de la relation entre les Haller pourrait être une relecture bienvenue du rapport problématique au cœur de la franchise X-Men.
Une direction artistique ambitieuse
Comment définir le style de Légion ? Mélange d’esthétique pop des années 60 et 70 par ses costumes, ses décors et ses couleurs, futurisme très propre digne d’un Stanley Kubrick ou d’un Alex Garland, lumières vintages et teintes rappelant les classiques de Wes Anderson, difficile de confondre l’esthétique de Legion avec une quelconque autre fiction.
Oubliez toute envie de naturalisme, ici la série fait le pari d’une direction artistique plus qu’affirmée. On en perd d’ailleurs un peu ses repères. A quelle époque se déroule cette histoire ? Mystère. Elle pourrait tout aussi bien avoir lieu en 1972 comme de nos jours ou dans un futur proche. L’esthétique participe à l’impression d’étrangeté globale et l’on se retrouve du même coup encore plus proche du personnage principal, évoluant avec lui dans un univers dont on ne maîtrise absolument pas les codes. Un aspect qui donne en tout cas une telle personnalité à l’ensemble qu’elle participe énormément au charme de ce pilote.
Un autre élément que l’on retrouve dans ce pilote et qui semble avoir grandement inspiré Noah Lawley, c’est un certain esprit rock, voire même psychédélique, tant au niveau de la bande son que du montage. On retrouve déjà quelques clins d’œil de passage pour l’ambiance générale, Syd Barrett rappelant par son nom le génial fondateur des Pink Floyd, ou encore le look de David Haller à mi-chemin dudit Syd et de Noel Gallagher d’Oasis.
Mais plus encore, ce qui frappe dans ce pilote, c’est le rôle joué par la musique. De l’ouverture avec le Happy Jack des Who, utilisé pour caractériser le personnage principal, en passant par le She’s a Rainbow des Rolling Stones pour illustrer les sentiments entre Syd et David, jusqu’à l’hallucinant passage Bollywood sur du Gainsbourg, la musique joue les premiers rôles dans Legion. Fonctionnant comme métaphore des émotions de notre héros, elle résume en quelques notes un long discours et semble figurer l’un des états mentaux de David voire même l’une de ses personnalités, voyant le monde comme une gigantesque comédie musicale dont il est le héros.
Avec tout ça on en oublierait presque l’une des grosses signatures de ce premier épisode : son montage totalement fou. Incrustations d’images, ralentis et narration délinéarisée, tout est présent pour nous perdre et nous immerger dans un tourbillon d’images halluciné. Une somme d’expérimentations qui donne l’impression de se retrouver en plein clip psychédélique tout droit sorti des années 70. On se trouve ainsi totalement immergé dans les perceptions du monde de David, au risque d’aller d’ailleurs jusqu’à un fouillis difficilement compréhensible, surtout dans la première partie de l’intrigue.
L’inventivité est là, mais le risque que le spectateur décroche est assez élevé, étant donné le peu d’exposition à l’œuvre dans ce pilote en plein bad trip. On remarquera en tout cas que l’esprit de Matrix ou d’Inception semble avoir exercé une certaine influence sur le showrunner, tant le récit sembler jouer sur les mêmes codes, entre temporalités multiples et jeux d’illusions, le tout dans un récit vécu à travers les yeux de notre héros.
Si la narration peut aller trop loin dans sa volonté de figurer la folie, elle ne manque en tout cas pas de piment. Souhaitons que cette même inventivité puisse se retrouver dans les prochains épisodes, avec peut-être une pincée de Xanax pour calmer la tempête.
Que penser de Legion au final ? Une chose est sûre, l’ambition revendiquée se voit à l’écran en termes d’inventivité visuelle et d’énergie narrative. Le seul problème, c’est qu’à force d’en montrer toujours plus dans le trouble des sens et le trip folie hallucinatoire, la série peut parfois tomber dans le travers d’en faire un peu trop, quitte à lasser son spectateur.
La vraie question qui se pose pour le futur repose sur les obstacles auxquels va être confronté notre David/Légion. Si l’on commence à entrevoir ce que sont ses obstacles internes, ses opposants externes seront-ils de taille à enrichir la série et à lui permettre de dépasser tout classicisme ? A moins bien sûr que l’état mental du héros continue à être au final l’élément le plus important de l’intrigue. On dit parfois qu’une bonne histoire de super héros, c’est avant tout un bon ennemi. Et si, dans ce cas précis, l’ennemi était avant tout intérieur ? Réponse très bientôt, la promesse continue à être alléchante.