Sports et séries

En dehors du genre très codifié des « séries de sport » (dont il ne sera pas question dans cet article), la représentation d’activités sportives dans les fictions télévisées est tout à fait banale. Combien de joggeurs matinaux, d’athlètes sommés de se dépasser, de personnages aimant taquiner le panier entre deux scènes voire d’épisodes entiers construits autour d’un match ? Les séries regorgent de scènes de sport, que les corps en mouvement rendent particulièrement cinégéniques. Mais derrière cet attrait formel, le sport est aussi un outil scénaristique aux significations variées. A quoi sert le sport dans les séries ?

Dis moi à quoi tu joues, je te dirai qui tu es

Parce que chaque sport possède un imaginaire spécifique et qu’il est associé plus ou moins fortement à des catégories sociales, des milieux économiques ou des préférences culturelles, le choix de l’activité est porteuse de sens. Si Caroline avait débarqué dans la vie de Max (Two Broke Girls) avec un ballon de basket à la place de son cheval, il aurait été moins facile de l’identifier comme une socialite très aisée. Sa pratique de l’équitation est un indice plus qu’évident de son origine sociale et donc un moyen simpled’en transmettre l’information au spectateur. Dans la même catégorie « sport de bourge » le golf est tout de suite identifié à un loisir de riches pratiqué par la classe dominante, à l’instar de Bob Kelso et Perry Cox (Scrubs) extrêmement à l’aise un club à la main tandis que JD, leur subalterne, ne sait pas jouer et apparaît complètement à la ramasse. Dans Desperate Housewives, chacune son sport en fonction de l’image qu’elle souhaite renvoyer : l’élitiste Bree joue au tennis, l’ancien mannequin Gabrielle joggue ou fait du fitness, tandis que Lynette inscrit ses fils au base-ball, en bonne mère de famille américaine.

ça sent l’interne de médecine à l’aise

Catharsis en baskets

Jogging introspectif

Suivant l’adage « s’occuper les mains pour se libérer la tête », rien ne vaut une petite séance de transpi pour  échapper à ses problèmes, voire en trouver la solution. Mieux ! Transpirer en solo et conjuguer ainsi effort et introspection. Dans cette catégorie, le jogging est le sport cathartique par excellence. Écouteurs aux oreilles, courant dès l’aube, nombreux sont les personnages essayant d’échapper à un passé traumatique ou poursuivant une inatteignable chimère. Ils enchaînent les kilomètres, ne s’arrêtant qu’au bord de l’épuisement ou touchés par l’épiphanie. Mais le plus souvent, ils continuent, car l’angoisse qui les habite est insoluble. C’est ce que l’on devine des longues séances de course et de natation que Tom Hagerty (Sean Penn) s’inflige dans First, non seulement pour se préparer à sa mission d’exploration spatiale mais aussi pour échapper aux fantômes de son esprit. Et que dire des joggeuses compulsives de Big Little Lies qui passent leur temps à courir autour de Monterey et dont les angoisses sont explicitement liées à l’effort, notamment dans les scènes de flashback de Jane Chapman (Shailene Woodley) et ce jusqu’à la  révélation finale. La catharsis par la sudation, à son paroxysme.

Jane Chapman en grand moment de « je-cours-jusqu’au-bout-pour-échapper-à-mes-problèmes-qui-sont-tellement-grands-qu’ils-me-mènent-au-bord-du-gouffre ».

Deux hommes et un ballon : du PMU au panier

A côté de l’entrée du Cook County Hospital (Urgences), un filet de basket. Pendant 15 ans, le personnel s’y retrouve, échange quelques passes entre deux patients. Dans une série presque fermée sur le lieu de travail, le terrain de basket et la pratique sportive qui s’y déroule constituent une parenthèse de sociabilité pure. Ça dribble, ça parle. Et avec la parole, les problèmes s’expriment, les conseils se donnent. Les hommes (car ce sont sans trop de surprise les hommes que l’on retrouve autour du panier) y peaufinent leurs relations d’amitié, s’épaulant et s’affrontant au cours de duels qui sont autant de métaphores de leurs relations. Tout est symbolique autour du panier, des passes potaches teintées de camaraderie entre Greene et Ross aux échanges plus musclés incluant le très compétitif Benton. Le scène la plus représentative de l’importance du terrain, du basket et des échanges entre collègues est peut-être celle où Greene confie les urgences à Carter en lui remettant le ballon et en lui indiquant que c’est lui qui dicte le tempo désormais (« you set the tone »). La raquette du terrain, que cela soit dans Urgences ou dans une grosse partie de la fiction américaine, semble être un haut lieu pour exprimer les non-dits dans les relations interpersonnels et parfois résoudre certains conflits. Plus qu’un sport, le basket est presque un outil de communication à lui tout seul.

Je sue donc je suis

Le sport, c’est le dépassement de soi, toucher ses limites pour s’en affranchir. C’est l’activité par excellence qui permet de montrer la force de caractère d’un personnage. C’est par sa volonté qu’il triomphera, selon la dynamique très américaine du self-made man qui ne doit son succès qu’à lui-même. Ce triomphe de la volonté (coucou point Godwin) est également très attrayant d’un point de vue scénaristique car l’adversité que le personnage tente de surmonter et l’effort pour y parvenir offrent des possibilités dramatiques faciles et efficaces. Pas étonnant donc de retrouver à la pelle des épisodes d’outsider renversant les pronostics pour prouver au monde ses qualités et son mérite, telle Laura Ingalls et son cheval Bunny surclassant Nellie Olson et son étalon tout neuf pourtant promis au triomphe.

Outsider version farmer

Les deux côtés de la volonté

L’adversité dans le jeu peut servir de métaphore (évidemment subtile) pour exprimer les difficultés qu’un personnage rencontre. Dans Dawson, Jack (Kerr Smith) est en but à l’homophobie de ce coin de bouseux qu’est Capside. Mais il est aussi membre de l’équipe de football américain du lycée, symbole de virilité par excellence. Sportif émérite, star de l’équipe, il gagne sur le terrain le respect de ses pairs ce qui l’aide à s’affirmer. Le sport est pour lui un outil, un moyen de trouver la confiance et l’assurance d’être ce qu’il est ouvertement.

A outrance, cette volonté devient pathologique quand poussée jusqu’à l’obsession. soulevant de la fonte en solitaire dans son appart, Adam (Girls) apparaît comme un obsessionnel inquiétant plus qu’un homme déterminé. Le sport le révèle dans sa dimension angoissante et sa volonté, non pas l’instrument de son épanouissement mais comme le canalisateur de ses névroses.

Les sports co, des sociétés miniature

L’importance de la communauté

Comme un miroir de la société, les sports collectifs permettent d’explorer les relations entre les personnages et de construire ou casser une dynamique collective. Dans les séries outre-Atlantique, les sports collectifs mettent en avant la tension inhérentes entre deux notions tout-à-fait américaines : l’accomplissement de l’individu et la protection de la communauté. Si le libéralisme triomphant fait de l’individu le cœur du projet de société américain, la communauté est un concept structurant majeur (c’est même un champ de recherche ancien dans le monde anglo-saxon). Perpétuellement menacée (par les convoitises extérieures et les jalousies internes) la communauté a besoin de ses individus pour se défendre. C’est d’autant plus vrai dans les mondes hostiles de Dr. Quinn et de la Petite Maison dans la Prairie où la communauté protège de la rudesse du grand Ouest. Les occasions de raffermir les liens de sont donc primordiales et expliquent le succès des matchs de base-ball organisés dans ces deux séries. En jouant collectivement contre un adversaire extérieur, en oubliant leur dissensions internes pour s’unir pour le plus grand bien, non seulement les habitants de Walnut Grove et de Colorado Springs nous offrent des épisodes parmi les meilleurs de ces séries, mais ils resserrent les liens et consolident le groupe.

Si ça c’est pas de la communauté soudée !

Le poids de la norme

Cette tension entre l’individu et le collectif permet d’aborder la question de la norme et de la conformité de l’individu à celle-ci. Pour se fondre dans une équipe, il faut en accepter les codes ou les contester assez fort pour les faire changer. Et au jeu de la norme, les injonctions liées au genre sont facilement identifiables et utilisées pour souligner le décalage entre un personnage et la rigidité du cadre collectif auquel il souhaite s’intégrer. Dans Glee, le personnage de Kurt intègre l’équipe de foot (encore) et détonne dans ce milieu macho. Le décalage dénonce l’absurdité de la virilisation à outrance des garçons et l’inutilité de s’y conformer pour réussir puisque Kurt fait gagner son équipe tout en continuant la chorale et en gardant sa personnalité. Mais ce n’est qu’au prix de la victoire qu’il est autorisé à rester malgré son décalage apparent. Ce qui nous ramène au point précédent : parce que sa contribution au collectif est plus importante que son altérité, il peut rester dans le groupe et même entraîner ses coéquipier à s’éloigner eux-aussi des injonctions à la virilité.

Il y a quand même du boulot…

Le base-ball, jeu national de l’Amérique

Et puisque l’on parle particulièrement des États-Unis, impossible de passer sous silence la place particulière du base-ball. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le grincheux Loren Bray, pour convaincre Colorado Springs de faire venir une équipe de base-ball à affronter afin de récolter des fonds pour la ville. Élément essentiel de l’américanité, le match de base-ball, avec sa culture matérielle et son cérémoniel, symbolise l’identité commune et fédératrice. Rien d’étonnant donc à voir les vétérans de Band of Brothers, dans le dernier épisode de la série, terminer leur aventure par un match dans un champ autrichien et que ce match agisse comme un retour à la normale, les prémices d’un bonheur commun à portée de batte.

Ressort comique

Centré sur le corps, possédant une gestuelle et un vestiaire consacrés, sans but extérieur à lui-même, conservateur et attaché à des valeurs assez gnangnan (persévérance, solidarité, virilité pour les hommes), le sport porte en lui les germes du comique.

Sans savoir si Luke (Modern Family) fait quelque chose de sérieux ou pas, est ce que vous n’avez pas déjà le sourire aux lèvres ?

Des incapables touchants

L’utilisation normative du sport en fait un très bon moyen de mettre des personnages en décalage avec le monde qui les entoure. Les geeks de Big Bang Theory, Ross et Chandler (Friends), Hannah dans Girls… leur incapacité à pratiquer quelque chose d’aussi simple que le sport les rends touchants car ils persévèrent mais leurs effort sont souvent couronnés de ridicule. Car l’incapacité est visuellement féconde, dans la lignée de l’humour de Keaton ou Chaplin, la maladresse, l’incompréhension des codes et le comportement inadaptés permettent de créer des situations voire simplement des gags très efficaces. On sourit forcément, au moins un peu, de voir Ross coincé dans une mêlée de rugby pour essayer d’impressionner Emily. Ou face à Leonard et Howard de Big Bang Theory engagés dans un duel de basket interminable en raison de leur nullité.

Des compétiteurs acharnés

Le sport fait ressortir le pire des individus. La compétition pousse non seulement à se dépasser soi-même mais à écraser les autres. On a tous une Monica Geller qui sommeille en nous, impitoyable, prête à détruire amitié et sentiments pour gagner le moindre match. Ou un Barney Stintson (How I met your mother), sans scrupule quant au fait d’humilier des enfants au laser-game. Dans Community, les compétitions (de combat d’oreiller et de painball, activités hautement sportives s’il en est) sont le prétextes à des batailles épiques, filmées selon le style documentaire de Ken Burns pour l’épisode « Pillows and Blankets »et où l’attrait de la victoire et l’esprit de compétition balayent tout sur leur passage, des liens sociaux au mobilier du campus de Greendale. Du décalage entre les causes absurdes de ces affrontements et l’escalade dramatique qu’ils entrainent surgit l’humour.

Tout est sous contrôle à Greendale

Des performers de l’absurde

Quel est le sens de courir à 11 derrière un ballon ? De taper dans une balle avec un bout de bois ou de métal ? De faire rebondir un ballon tous les trois pas ? Par la gestuelle spécifique, la complexité des règles (qui sait vraiment comment jouer au football américain ?) et l’absence de finalité extérieure au jeu lui-même, le sport est fondamentalement absurde. Et l’absurde est drôle. Il n’y a qu’à voir le très bon épisode « The Game » de Kaamelott où Arthur et ses chevaliers doivent s’entrainer à un jeu de balle inconnu suite à un défi lancé par les Calédoniens. Règles absconses, gestuelle incongrue, vocabulaire décalé, rien n’a de sens et plus la séance se déroule, moins les joueurs acceptent de se plier à cet exercice absurde. Donc ça part en sucette et c’est délicieux. Dans un registre plus individuel, le grand sportif de l’absurde, c’est Hal, le mythique paternel de Malcolm. Prêt à tout pour sa famille et l’amour de sa femme, ne reculant devant aucun défi au bon goût et à la bienséance, quand il fait du sport, c’est évidemment du patin artistique. Et c’est évidemment en lycra à paillette. C’est outrancier, c’est absurde, ça touche presque au sublime.

Métaphore à tout faire

Collectif, individuel, valorisant l’effort et la volonté mais permettant d’accentuer le ridicule et l’incapacité d’un personnage, agissant comme une loupe grossissante des émois et des relations mais parfois utilisé pour sa seule cinégénie, le sport est un bon client. Chaque personnage a forcément un sport dont l’imaginaire résonne avec son identité, chaque enjeu scénaristique peut y trouver une traduction sportive (définir un individu, opposer des personnages ou les rapprocher, créer une tension au sein d’une communauté, faire progresser quelqu’un dans la résolution de ses conflits internes). C’est un instrument performant dans la boîte à outil du scénariste et dont le rendu sera visuellement efficace voire jouissif, surtout s’il s’agit de regarder Chris Pratt courir. Alors pourquoi s’en priver ?

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