Semaine d’un sériephile (15) : spéciale Grand Nord

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Forbrydelsen (The Killing) et les chandails de Sarah Lund

Vous l’aurez certainement remarqué si vous êtes attentifs au paysage séries de ces dernières années ou si vous êtes un brin cinéphile : il souffle comme un vent nordique sur nos contrées. Abandonnons les euphémismes tout de suite car c’est bien une véritable invasion viking qui touche nos écrans et qui porte tour à tour le nom de “Lars Von Trier”, “Mads Mikkelsen”, “The Bridge”, la famille “Skarsgard” ou encore “Millenium” (et j’en passe). Loin d’être le fruit du hasard, ce succès scandinave est sans aucun doute le résultat d’une convergence entre une génération talentueuse, la maturité de politiques en faveur de la création de fictions ainsi que d’un certain génie du marketing visant global et sur le long terme mais qu’il ne m’appartient pas d’analyser plus en détail. Force est de constater toutefois que la plupart d’entre nous connait surtout la télévision scandinave pour ses polars impeccablement réalisés avec des noms aussi prestigieux que Bron (Broen, The Bridge), Forbrydelsen (The Killing) ou encore Den Som Draeber (Those Who Kill). Et même si ces séries nous permettent d’appréhender un certain style scandinave sombre et minimaliste, les productions télé au nord de la mer Baltique sont bien plus variées qu’il n’y paraît. Alors si comme moi, le froid et vous, ce n’est pas trop ça mais que regarder les autres se les peler à votre place, vous trouvez ça plutôt fendard, il est temps de vous octroyer une pause café et de vous installer pour un petit instantané givré :

Lilyhammer, un pont entre l’Amérique et la Norvège

Lilyhammer est l’objet parfait pour celui qui voudrait découvrir les séries scandinaves tout en ayant une culture sériephile américaine, bref, le grand public. Au travers du parcours d’immigré de Frank Tagliano, un Parrain new-yorkais relocalisé par le FBI, elle traite en partie du gouffre entre projections et réalité que ce soit aux États-Unis ou en Norvège, deux pays dont les modes de vie sont fortement idéalisés. Le premier, pays de la libre-entreprise et des success stories, le second célèbre pour la réputation paisible de ses habitants, le confort d’un mode de vie parmi les plus élevés aux monde et un système social équitable. Le générique illustre de manière simple et efficace le dépaysement que va subir le spectateur à travers les yeux de Frank Tagliano, un homme aux moeurs résolument attachées au passé mais qui s’adapte plutôt rapidement à Lilyhammer.

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Apprentissage du Norvégien façon 13e Guerrier

Le fossé culturel entre Tagliano et les Norvégiens n’est pas tant le véritable sujet que l’incompréhension et l’absence de communication entre les différents membres d’une même communauté : Frank et son camarade de classe immigré, Frank face à sa petite amie, un couple d’amis en crise, ou un policier soumis à sa hiérarchie. Exploitant les dynamiques d’une comédie noire, Lilyhammer aborde toutes ses situations d’incommunicabilité avec finesse et en profite pour faire une critique affectueuse de la société norvégienne. C’est chou comme les flocons de neige et les bonhommes de neiges. Et la shérif de Lilyhammer me fait penser à Frances McDormand dans Fargo, clin d’oeil cohérent avec le ton et le cadre de la série.

La saison 1 de Lilyhammer est ponctuée de nombreux moments de silence et le comique de la série joue beaucoup sur l’absurde et le quiproquo. On comprend rapidement qu’à force de vivre dans une petite bourgade à des centaines de kilomètres de “vraies” villes, on développe tous les symptômes d’une solitude pathologique : les contacts sont marqués par la maladresse, l’inexpérience, l’impatience et la frustration. La saison 2 vient de s’achever et une troisième est déjà commandée car il semble que les aventures de Frank Tagliano alias Steve Van Zandt réchappé des Soprano passionne Norvégiens et abonnés Netflix.

Hellfjord, la comédie/thriller qui rend fou

Hellfjord. Hell-Fjord. Le Fjord de l’Enfer. Pas besoin d’être docteur en langues scandinaves pour comprendre qu’on ne sortira pas indemne d’un voyage là-bas. Et Salmander, membre de la police montée à Oslo, l’a bien compris quand son chef le mute de force dans ce coin reculé de Norvège après qu’il ait malencontreusement tué son cheval lors d’une fête nationale. Obligé d’emprunter le bateau malgré son mal de mer pour atteindre le petit village pêcheur de Hellfjord, Salmander est accueilli bien fraîchement par l’ensemble des villageois et par Kobba, le shérif. Excentrique et légèrement grossier, ce dernier n’a que peu d’intérêt pour tout ce qui se passe en dehors de sa petite vie. Mais Kobba n’est pas la seule personnalité loufoque d’Hellfjord, Salmander est surpris par la gaucherie de Johanne, la seule journaliste du village, une jeune femme aux boucles blondes qui semble avoir emprunté ses vêtements à Dora l’exploratrice. Il est rapidement abordé par l’inquiétant Bosse Nova, unique suédois de Hellfjord et directeur de Hellfish, la pêcherie qui emploie la majorité des habitants de la ville. Enfin, il fait la rencontre de Riina, une parfaite femme au foyer que Kobba a importé de Finlande et ne parlant pas un mot de norvégien, ainsi que de la tante de Kobba, tout aussi mal dégrossie que son neveu.

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Zahid Ali, interprète et scénariste principal de Hellfjord

La comédie pourrait s’arrêter là, mais les détails mystérieux s’accumulent à Hellfjord où Salmander est confronté à un meurtre dès son arrivée. Son enquête l’emmènera hors du village, et jusqu’à Oslo même alors que les twists finaux s’accumulent et qu’Hellfjord prend la consistance d’un thriller plongé dans l’absurde. L’humour y est très gras mais je trouve l’ensemble plutôt drôle. La dynamique entre Salmander, en grand flic dégingandé qui aspire à briller dans l’enquête du siècle mais est constamment rappelé à la réalité par les réflexions pénibles de Kobba s’avère efficace et le résultat est très attachant. L’univers complètement barré de Hellfjord, qui confine au fantastique, séduit également par son visuel poussé. Comme d’habitude avec les Scandinaves, on a le sens des couleurs et du décor (flagrant délit de cliché Ikéa). Les séries norvégiennes sont petites en nombre, mais avec Lilyhammer et Hellfjord vous en aurez pour votre temps.

Anno 1790, le policier au temps des “despotes éclairés”

Attaquons nous à la Suède si vous le voulez bien avec Anno 1790 qui comme son nom l’indique se déroule à Stockholm en 1790. Le XVIIIe siècle est à ma connaissance plutôt sous exploité dans les fictions télévisées à quelques exceptions près : l’anglaise City of Vice ou encore notre Nicolas Le Floch national mais j’en loupe sûrement. J’ai donc découvert Anno 1790 avec une certaine impatience.

C’est l’histoire d’un ancien médecin de la Marine, Johan Gustav Dåådh (oui c’est un nom à coucher dehors, d’ailleurs c’est que qui lui arrive), qui revient à Stockholm écoeuré après deux ans de guerre contre les Russes. Inspiré par le Révolution française, ses idéaux révolutionnaires semblent émoussés par son expérience de la vie et surtout au regard de sa récente promotion en tant qu’inspecteur dans la police de Stockholm. Il s’agrège rapidement les services de Simon Freud, un valet qu’il a sauvé à la guerre et qui l’accompagne dorénavant dans ses enquêtes. Ce Sancho Pansa qui semble n’avoir d’autre utilité que de boire, offre un contrepoint bien fade aux idéaux de Dåådh. Et l’amitié entre les deux compères n’est pas vraiment communicative, c’est donc tout naturellement que notre inspecteur se tourne vers Magadalena, l’épouse de son supérieur, un noble borné nommé Walhstedt (que des noms impossibles vous dis-je). Tout ce petit monde évolue donc dans les rues crasseuses de la capitale en quête de révolutionnaires impudents à se mettre sous la dent. Car les préoccupations de Walhstedt s’alignent sur celles du roi : la justice n’est pas vraiment à l’ordre du jour et l’on préfère étouffer dans l’oeuf les velléités révolutionnaires des sujets suédois. Vous vous en doutez, Dåådh sera bientôt confronté à de véritables dilemmes entre son attachement aux valeurs des Lumières et son devoir de policier.

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La révolution c’est sérieux dans Anno 1790

Anno 1790 développe une ambiance plutôt sombre aussi bien dans le fond que dans la forme. Stockholm baigne dans un brouillard permanent où les effluves nauséabonds des grandes villes “modernes” stagnent. L’humour est peu présent (vivre pauvre et en Suède, ce n’est pas forcément la formule gagnante), on s’éloigne donc d’un period drama façon Ripper Street pour se concentrer sur l’Histoire. Mes attentes à ce sujet étaient assez importantes et je me suis rapidement imaginé un Royal Affair du peuple ou La Révolution vue d’en bas. Mais Anno 1790 au bout de quelques épisodes ne s’impose ni par le propos social qu’elle ébauche, ni par ses enquêtes pas toujours trépidantes, sans toutefois être mauvaise. J’aime beaucoup le personnage de Dåådh mais il ne nous remplace pas un Mads Mikkelsen, chemise en vent, les cheveux pris en catogan. Si le portrait des défavorisés de la ville n’est pas aussi complet qu’il pourrait l’être, on peut se contenter d’une reconstitution divertissante de Stockholm au XVIIIe siècle et le bref portrait des Suédois esquissé dans Anno 1790 reste plaisant par quelques aspects. La société suédoise, du plus humble au plus puissant, semble largement traversée par les influences extérieures, notamment françaises, et les classes sociales se croisent régulièrement laissant penser que malgré une monarchie autoritaire, les moeurs demeurent assez libres. Le résultat est vivant et capte l’atmosphère révolutionnaire de la fin de règne de Gustav III, despote éclairé crispé sur son trône vacillant.

Borgen, le pouvoir à l’épreuve du réalisme

Borgen est une série puissante que je situerais entre A la Maison Blanche et The Newsroom. Elle suit le parcourt de Birgitte Nyborg, chef du parti modéré à la veille de l’élection du futur Premier Ministre danois (en vrai c’est un peu plus compliqué que ça, mais la politique est loin d’être mon point fort…). Évidemment, Birgitte qui joue un rôle crucial dans la victoire de son parti, est également à la veille de changements déterminants dans sa vie. Changements dont elle ne réalise pas encore l’ampleur bien qu’elle s’y soit préparé sa vie durant (mince, c’est le synopsis de Reign).

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La masque du pouvoir dans Borgen sous les traits de Birgitte Nyborg

Cette série qui se propose d’étudier tous les mécanismes du pouvoir dans un hommage ostensible au Prince de Machiavel m’a laissé une impression de fascination indélébile. Que ce soit au “Château” (Borgen), lieu central dans la série et siège du Parlement danois, ou dans la salle de conférence de presse, dans la sphère professionnelle, ou dans le secret de l’intimité, chaque épisode révèle une facette passionnante des difficultés d’obtenir le pouvoir, de le conserver et d’en faire quelque chose. Durant les trois saisons de son existence, Borgen flirte, il est vrai, avec l’exercice scolaire trop appliqué. Par excès d’enthousiasme, les situations tombent parfois un peu trop bien, les morts meurent au bon moment, les scandales éclatent quand on en a besoin, et l’entourage de Birgitte va et vient selon une chorégraphie peut être trop bien orchestrée. Mais cela reste intelligent, palpitant et ponctué de rebondissements au point que j’en reste rivée à l’écran. Borgen revient aux sources de la fiction politique en montrant le Bon Prince et non le Tyran mais cela ne l’empêche pas de décrire une Birgitte soumise au doute, pas toujours très chic avec ses collègues et donc décidément intéressante et crédible. A titre personnel, quand je vois Birgitte en bout de table dans le Château, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer un Small Council avec elle et Tyrion Lannister, et le moment jouissif où ils bouteraient Cersei, déchue, hors de King’s Landing. Je pense qu’ils feraient un couple d’enfer et si je fêtais Noël, je les inviterais définitivement à une petite tablée.

Peut-être que Borgen dans son ensemble montre une vision de la politique un peu trop idéaliste, mais bon dieu que c’est bon dans ce monde cynique. Malgré des situations complexes, l’émotion n’est jamais absente, et c’est ça que je retiendrai : Borgen est une série profondément humaine et chaleureuse. Adam Price, son créateur, ainsi que les acteurs, ne l’ont pas oublié.

Äkta Människor, des cylons chez les Suédois

Peut-être avez vous suivi au printemps 2013, la diffusion sur Arte de la saison 1 d’une série suédoise intitulée Äkta Människor (Real Humans). Grand bien vous aura pris de regarder cette oeuvre de science-fiction dont la saison 2 est en cours de diffusion sur SVT, la chaîne principale suédoise.

L’action se situe dans un futur proche où les Suédois dépendent de plus en plus des hubots, des robots humanoïdes qui accomplissent les tâches domestiques, remplacent progressivement les ouvriers, et servent d’aides à domicile voire de compagnons sexuels. Leurs logiciels sont tellement sophistiqués qu’il est parfois difficile pour leurs propriétaires de distinguer la Machine de l’Homme dans leurs relations avec les hubots. Il y a ainsi ceux qui se projettent dans leur robots, et ceux qui rejettent en bloc cette communauté à la sociabilité quelque peu distordue. Au milieu de ce conflit, nous retrouvons un groupe de  hubots modifiés par leur concepteur qui s’insurgent contre leur destin servile. A leur tête, Leo, un humain amoureux de Mimi, une hubot qui se fait kidnapper et revendre au marché noir. Autant dire qu’il y a de quoi faire saliver tout amateur de science-fiction avec un synopsis dont le thème a été vu et revu et est maintenant bien rôdé par un public devenu exigeant.

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Mimi, un hubot pas comme les autres

Ma propre histoire avec les séries de science-fiction n’est pas toujours au beau fixe, mais je placerai Äkta Människor dans mes favorites car elle a su apporter sa touche subtile et intelligente à l’édifice. Tout d’abord, j’apprécie quand une série d’anticipation se déroule dans un décor similaire au nôtre à la manière d’un cauchemar éveillé, où seul un élément nous fait douter de tout (oui parce que ça se passe souvent mal en fait, genre Black Mirror). Pour moi tout le monde est gagnant, on fait de la science-fiction à moindre frais, et le spectateur s’épargne une débauche d’effets spéciaux sollicitant des yeux déjà surmobilisés au cinéma comme à la télévision. L’histoire n’en ressort que plus percutante et crédible plutôt que dans un futur fort lointain que je qualifierai de casse-gueule (Caprica). Ce qui est bien avec Äkta Människor, c’est que tout en restant sobre, elle propose un univers “total”, chaque détail a été pensé et intégré visuellement dans la série nous dévoilant un quotidien extrêmement palpable. Utilisant une photographie un peu trop pastel et artificielle à mon goût, ce procédé me semble toutefois cohérent avec l’univers très propre et lisse de la série qui renforce son côté inquiétant : à quel moment ces robots, exposés comme des mannequins de vitrine, vont-ils s’animer littéralement ?

Le thème des robots dans les sociétés humaines est toujours aussi passionnant et soulève de nombreuses questions nous renvoyant à notre identité et à notre foi (Dieu ou la Science). Ici, les problèmes soulevés par la confusion des genres entre humains et hubots font furieusement penser à l’univers de Battlestar Galactica et son spin-off Caprica avec un hommage attendu à l’oeuvre fondatrice d’Isaac Asimov. Les relations humains/robots sont particulièrement fouillées et touchantes. Lars Lundström, le créateur d’Äkta Människor, ne délaisse pas totalement les questions métaphysiques que soulevait Battlestar Galactica (la nature de l’âme toussa toussa), mais il adopte un point de vue plus concret sur les impasses de la société suédoise contemporaine : les discrimination raciales ou sexuelles, le chômage des sociétés anciennement industrielles, la vie de famille, la solitude face à l’embarras des moyens de communication ou encore l’extrémisme politique.

A l’issue de la saison 1, je suis quelque peu frustrée de constater que les hubots n’agissent pas plus sur leur destin avec un scénario un peu trop contemplatif qui me laisse grandement sur ma faim. Mais toutes les bases sont là pour une saison 2 qui s’annonce plus noire et que je n’ai pas encore commencé (mais ça ne saurait tarder).

La diversité des genres qui existe dans les séries scandinaves montre bien que nous n’expérimentons pas une simple mode venue du Nord : c’est bien une force profonde qui anime la télévision nordique. Leur fraîcheur de ton et la sobriété de mise en scène est bienvenue dans un paysage sériephile anglo-saxon misant sur des effets de dramatisation qui ont parfois tendance à résonner assez creux, délaissant le propos de fond. Evidemment la scandi touch ne marche pas toujours et le résultat est parfois un peu « froid » mais il est impossible de rester insensible devant les qualités esthétiques indéniables de la « Scandi TV » comme on la surnomme.

Et puisque c’est bientôt Noël, je ne résiste pas à vous laisser en compagnie de Sarah Lund qui a quelques mots à vous dire dans ce minisode réalisé pour l’association Save The Children. Cette vidéo est dédicacée à toutes les gamins martyrisés par le port de pulls en laine tricotés maison.

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