Aujourd’hui sur Séries Chéries, nous inaugurons une nouvelle catégorie d’articles. Nous allons continuer notre exploration du monde des séries en allant à la rencontre de ceux qui les font en France, pour mieux comprendre leurs métiers et leurs œuvres. Antonin Ehrenberg est un jeune producteur français, en pleine ascension. Après avoir travaillé pendant quatre ans sur les Borgia (la version Canal +), il a lancé récemment sa propre société de production, Patafilm. Il a très gentiment accepté de répondre à nos questions.
Comment êtes-vous devenu producteur ?
J’ai toujours voulu faire de la production. Après un master marketing/distribution audiovisuelle (Paris 1/Sorbonne–INA), un an de stage en programmation chez Canal +, un autre en distribution cinéma chez Soda Pictures à Londres, et l’Atelier Paris-Ludwigsburg (Master franco-allemand de production européenne à la Fémis), j’ai cherché un boulot dans ce secteur. Même si le fait d’avoir « Fémis » sur son CV permet d’ouvrir plus de portes, les producteurs sont assez peu attentifs aux études et ne nous attendent pas à la sortie. J’ai donc recommencé les stages pendant trois ou quatre mois le temps de trouver quelque chose. Et puis, je suis arrivé chez Argos Films, une société de production cinéma qui a un très beau catalogue. Ils ont notamment produit La Jetée de Chris Marker. Travailler à côté de la copie 0 de ce film, c’est stimulant quand on aime le cinéma ! J’étais chargé de production pour des documentaires portraits de cinéastes. Au bout d’un an, j’ai eu une proposition pour travailler pour le festival de Cannes, au marché du film, aux accréditations… Et puis un jour, j’ai vu la nomination de Klaus Zimmerman à la tête d’Atlantique Productions dans la presse et j’ai eu vent du projet des Borgia avec Tom Fontana. Moi, j’étais fan de la série Oz à 16 ans et j’avais envie de travailler avec Canal + à l’international parce que je parle allemand et anglais. L’alignement des planètes était magnifique. Je les ai rejoints. Pendant six mois j’ai travaillé en freelance, et puis Klaus Zimmerman m’a fait une proposition de contrat. Je suis resté quatre ans chez Atlantique Productions. Aujourd’hui, je monte ma propre société de production : Patafilm. Je suis associé à une personne rencontrée lors de mes études à la Fémis. Nous sommes en développement pour un programme court humoristique en stop-motion chez Arte, sur la vie quotidienne des objets, pour la case 20h45. Nous envisageons de produire 40 épisodes de 2 min pour eux.
Vous êtes arrivé chez Atlantique Productions au moment de la genèse du projet Borgia. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont est né le projet ?
Lagardère est à l’origine du projet. La « légende » voudrait que Takis Candilis (NDLR le président de Lagardère Entertainement, maison mère d’Atlantique Productions à l’origine des Borgia) était dans le bureau de Rodolphe Belmer (directeur général de Canal +). Ce dernier lui aurait demandé : pourquoi on n’est pas capable de faire les Tudors ? C’est l’histoire anglaise et pourtant les Américains s’en sont emparés. Candilis serait revenu quelques temps après avec l’idée de faire une série européenne sur la famille Borgia, en y associant des talents américains. Il a réussi à avoir accès à Tom Fontana qui avait une passion pour les papes et la représentation du Vatican, son importance dans l’histoire de l’humanité. C’est pour cela qu’il s’est intéressé à cette famille. Il a donc rejoint le projet et c’est comme ça que tout est né.
Comment le projet s’organise concrètement ? Comment avez-vous réagi à l’annonce d’un sujet concurrent développé par Showtime ?
Au début, Lagardère et Atlantique ont été sollicités par les Américains qui leurs proposaient de fusionner les deux projets. Showtime avait dans ses tiroirs un projet similaire proposé par Neil Jordan. Ils se sont dit qu’ils allaient tenter de faire travailler Neil Jordan et Tom Fontana ensemble. Même s’ils se sont très bien entendus sur le moment, les deux showrunners* n’avaient pas la même vision de la série. Ils se sont donc séparés. Mais Canal +, de manière très courageuse, a décidé d’y aller quand même. Maintenant nous avons donc une version américaine avec leur vision de l’histoire européenne ; et Tom Fontana qui est d’origine italienne, très europhile, et qui a passé du temps en Europe, notamment dans les bibliothèques du Vatican, à lire les textes en latin. La série rassemble aussi énormément de talents européens : par exemple Olivier Hirschbiegel a réalisé les quatre premiers épisodes. Borgia est une agrégation de talents de tous horizons.
La coordination de tous ces acteurs, c’était vous ?
Oui c’était moi. Cela faisait partie de mes attributions d’être au centre du dispositif et de m’occuper de la gestion quotidienne, des discussions avec nos partenaires allemands de Betafilm, avec Tom Fontana (sur l’écriture et la post-production), avec Canal + (textes, casting, montage etc). Quand ce sont des problématiques plus importantes, c’est le producteur au dessus de moi qui intervient.
Y a-t-il une énorme différence dans la gestion d’une coproduction internationale par rapport à une série purement française ?
Une coproduction de cette ampleur, c’est extrêmement compliqué à gérer. Quand l’écriture et la post-production se déroulent à New York, que la distribution se passe en Allemagne, et que le diffuseur principal -Canal +, qui approuve les décisions artistiques majeures- est en France, c’est très compliqué, surtout qu’il y a des méthodes de travail différentes, culturellement parlant. Il faut avoir une structure avec soi, et une connaissance du métier extrêmement forte, pour des productions internationales. Avec EuropaCorp, nous avons été les premiers à faire des productions de ce type, et on ne peut pas dire que cela se soit fait dans la simplicité. Il faut avoir une maîtrise parfaite de la fabrication, du juridique, du financier… Sur une autre production Atlantique, Le Transporteur, nous avions appliqué un traité franco-canadien d’audiovisuel qui n’avait jamais été appliqué avant, parce que nous produisions ainsi pour la première fois. Tout est à créer. Atlantique Productions a développé une expertise très importante dans ce domaine avec le soutien de Lagardère.
Canal + c’est vraiment l’endroit rêvé pour produire des séries ?
Oui, car ils sont exigeants et ont une vision. En France, ce sont eux qui peuvent investir les montants les plus importants et, ils sont ambitieux sur tous les formats : 13 minutes, 26 minutes, 52 minutes, productions internationales… C’est grisant de travailler avec eux. Mais je commence juste une série avec Arte, et c’est aussi très agréable car il y a beaucoup d’esprit collaboratif. J’avais collaboré également avec M6 pour The Frank Martin Agency (le jeu Transporteur), un freemium sur Facebook, et c’était très bien aussi.
Vous avez participé à la création d’un jeu dérivé d’une série. Le transmédia vous intéresse ?
Je n’aime pas beaucoup le terme « transmédia ». Sur ces questions, il y a un problème de terminologie : bimédia, transmédia ? Je préfère parler de « digital ». Chacun a sa propre définition de ce concept. Arte, qui parle de « bimédias », a peut-être la définition la plus éclairante : il y a ce qui existe sur l’antenne, la série elle-même, et ce qui se passe dans l’univers de la série en dehors de la diffusion antenne, comme par exemple des contenus complémentaires (behind the scenes, making of, bonus, sites internet)… L’histoire qui se passe hors caméra, c’est le bimédia. C’est une histoire à 360° créée pour satisfaire les spectateurs, agréger une communauté, récompenser d’une certaine manière les gens les plus fidèles. On crée des univers étendus et c’est très excitant.
Cette digitalisation est-elle pensée dès la création par Arte ou Canal ?
Je sais qu’Arte a la volonté d’être la chaîne du digital et prête beaucoup d’attention à internet pour ses programmes. Mais le programme reste au centre des préoccupations. Il y a peut-être un changement chez les jeunes auteurs et producteurs. Moi lorsque je conçois un projet, je pense d’abord aux textes : développer l’idée, trouver les scénaristes. Ensuite, j’ai toujours dans la tête “qu’est-ce qu’on va faire sur internet ?”. Traditionnellement dans la production, après avoir travaillé sur un projet, une fois l’oeuvre finie, on la donne au distributeur (pour le cinéma), ou à un diffuseur (pour la télé), et c’est lui qui va investir tout l’argent pour faire la promotion par les affiches, les spots publicitaires… On laisse son oeuvre entre leurs mains, car ce sont d’énormes investissements. Internet est un outil qui permet avec peu de moyens d’obtenir beaucoup de visibilité. Avec ces nouveaux outils, le producteur est beaucoup plus impliqué dans la distribution, parce qu’il peut réfléchir à la viralité potentielle de son projet. Tout le monde a intérêt à y penser. Mais il faut encore comprendre les dynamiques de cet univers.
Cette digitalisation fait donc évoluer le métier de producteur ?
Je ne peux pas répondre de manière générale, mais j’ai en tête cette problématique, je la trouve importante. J’ai envie de l’explorer davantage.
Que pensez-vous du format web-série ?
La web-série donne des opportunités pour les jeunes auteurs-producteurs et permet de renouveler les talents. Mais le Graal aujourd’hui dans la série, en terme de production, c’est 52 minutes pour la télé et les longs-métrages pour le cinéma. L’idée c’est donc de commencer petit, avec notamment les web-séries (pour des questions de moyens et d’expérience), pour ensuite grandir vite vers des 26 minutes, puis des 52 minutes. C’est pareil pour le cinéma. Aujourd’hui je cherche une rencontre avec un auteur-réalisateur pour produire un court-métrage. Si ça marche entre nous, le but serait de l’accompagner et d’évoluer ensemble vers un long.
Vous qui souhaitez travailler à la fois pour la télévision et le cinéma, vous sentez une différence entre la production de séries et celle de films ?
Je dirais qu’il y a une différence fondamentale : le réseau de financiers. Ce ne sont pas les mêmes interlocuteurs dans les chaînes si l’on souhaite faire l’un ou l’autre. Mais aujourd’hui, la série prend ses lettres de noblesse. On le voit par exemple avec la Fémis qui crée un département scénario télé. Je le vois aussi depuis quatre ans avec les Borgia. Travailler sur une série, c’est une exposition géniale pour un jeune producteur. Breaking Bad, The Wire sont des œuvres de qualité exceptionnelle, tous les gens du cinéma veulent faire des séries aujourd’hui. J’ai l’impression que chez les comédiens, les réalisateurs, et surtout les auteurs, il y a une volonté de faire les deux et le secteur est en train de converger.
Même en France, où les deux milieux semblent encore assez distants et cloisonnés ?
J’ai le sentiment qu’il est en train de se passer quelque chose de très fort. Quand je travaillais chez Atlantique, j’étais régulièrement sollicité par des gens de la Fémis qui voulaient écrire pour la télévision. Il y a Dominik Moll qui a réalisé les premiers épisodes de The Tunnel. Canal pousse beaucoup les auteurs de cinéma à aller vers la télévision. Tout va s’équilibrer à un moment et le savoir-faire entre les deux va circuler. Le problème c’est que certaines personnes du cinéma pensent qu’elles savent faire de la télé parce que c’est plus facile, alors que ce n’est pas du tout vrai. Ce ne sont pas pas les mêmes exigences : on est sur des rendements plus élevés, il faut avoir vraiment conscience que ce que l’on écrit doit rentrer dans une enveloppe budgétaire. Au cinéma, on écrit un scénario et ensuite seulement on trouve l’argent pour le faire. A la télévision, on ne peut se permettre de dire « c’est le problème du producteur », car c’est un problème commun.
Comment rencontrez-vous les nouveaux talents pour développer vos projets ?
Il faut boire avec les gens et établir des liens grâce à l’alcool (rires). Non c’est le hasard. J’ai fait un Master à la Fémis et j’ai des contacts là-bas. Je vais aux projections des travaux de fin d’étude chaque année, je lis les scénarios des six étudiants qui sortent de la section écriture. Je vais aussi dans des festivals et, à force, je connais des gens qui ont envie d’être auteurs. Il faut être ouvert aux rencontres. Il y a aussi le Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle (CEEA) qui est LA formation de scénaristes en dehors de la Fémis.
Pour vous donner un exemple, il y a eu cette success story avec Audrey Fouché. Je cherchais un talent français pour l’envoyer en stage dans la writers’ room de Tom Fontana et je l’ai rencontrée grâce à la Fémis. Je l’avais pré-sélectionnée pour que Tom Fontana la rencontre. Il n’y avait pas de doute, c’était une fille rare, avec un vrai talent, d’écriture mais aussi humain. En plus, elle est réalisatrice. Elle a tellement plu à Tom Fontana qu’il lui a demandé d’écrire un script après deux mois de stage à New York. Ensuite il lui a demandé d’écrire un script pour la troisième saison et d’intégrer sa writer’s room. Pour cela, j’ai fait le lien entre la Fémis, Canal et Tom Fontana. C’est comme ça que l’on rencontre les gens, en avançant et en étant réceptif.
Pour finir, notre question bonus, c’est quoi votre série française préférée en ce moment ?
J’ai pris une grosse claque avec Les Revenants, surtout les quatre premiers épisodes. J’ai très envie de voir la deuxième saison.