Les temps sont durs pour nous, sériephiles fans de science-fiction. Utopia et Black Mirror ont comblé nos désirs d’univers dystopiques et paranoïaques, mais leurs prochaines saisons se font cruellement attendre. Si l’on ne s’est pas encore mis à Dr. Who, et ce malgré les judicieux conseils de Clara, c’est parce qu’il est difficile de prendre un train en marche depuis plus de 50 ans, qui plus est rempli de whovians* déchaînés enthousiastes. Du côté américain de la force, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Helix déçoit, et la SF version CW (The 100, Star-Crossed, The Tomorrow People) ressemble à s’y méprendre aux autres programmes de la chaîne – c’est-à-dire qu’on y suit beaucoup de jeunes gens physiquement attrayants, mais peu d’intrigues intellectuellement stimulantes.
Et si le salut, comme la vérité, était ailleurs ? En Suède, par exemple, avec Real Humans… Et au Canada, où a été créée ma nouveauté préférée de 2013 : Orphan Black.
Avec son nom mystérieux et en l’absence de matraquage promotionnel, vous l’avez sûrement ratée – après tout, personne n’est parfait – mais elle pourrait bien devenir votre nouvelle obsession. Démonstration.
Orphan what ?
Sarah Manning (Tatiana Maslany) est orpheline, britannique, et dans le pétrin. Elle fuit un ex abusif après l’avoir assommé et détroussé, et cherche à récupérer sa fille Kira, dont elle n’a plus la garde. Mais ses ennuis ne font que commencer lorsqu’elle vole l’identité d’Elizabeth Childs, une femme qui lui ressemble et qui se suicide sous ses yeux. Il s’ensuit un récit haletant, qui entremêle meurtres, sociétés secrètes, enquêtes policières, conspirations, et surtout, manipulations génétiques.
Orphan Black s’insère ainsi dans la tradition des séries de science-fiction et fantastiques, sans pour autant donner une impression de déjà-vu. Les créateurs de la série ont à l’évidence visionné et aimé de nombreux films et séries du même genre : ils en maîtrisent parfaitement les codes, et font du show un parangon du thriller d’anticipation.
Du point de vue du thriller, l’intrigue est assez complexe pour maintenir la curiosité du spectateur sans le perdre en route, et les investigations – menées par différents personnages et la police – sont habilement développées. Cliffhangers, révélations et retournements de situation sont des procédés utilisés très fréquemment pour créer du suspense, mais sont ici distillés à bon escient et ne semblent jamais artificiels : ils font réellement progresser l’intrigue et contribuent à l’investissement du spectateur dans l’histoire. Ainsi, Orphan Black est une série efficace, dont la réalisation et les moyens sont parfaitement calibrés. Dès le début du premier épisode, on entre dans le vif du sujet avec des scènes d’exposition qui s’enchaînent avec fluidité, on est happé par le récit ; par la suite, le rythme va crescendo d’épisode en épisode.
Cette forme captivante est l’écrin d’un récit d’anticipation, et la série n’oublie pas de susciter la réflexion, comme toute bonne représentation d’un futur hypothétique qui se respecte. D’ailleurs, Orphan Black ne se déroule pas vraiment dans le futur, mais dans le présent, dans un monde que j’espère différent du nôtre. La série aborde un sujet d’actualité, les organismes génétiquement modifiés, en mettant en scène une organisation qui les crée sans être régulée. C’est le même point de départ que Dark Angel, mais elle s’en distingue en étant beaucoup plus réaliste : la civilisation ne s’est pas écroulée, la société secrète est une entreprise et il y a très peu d’effets spéciaux. S’il est fort probable qu’aucune expérience scientifique n’ait aujourd’hui même l’ampleur de celles dévoilées dans la série, des laboratoires ont d’ores et déjà réellement pratiqué le clonage et créé des hybrides « contre nature » (coucou, les moutons phosphorescents). Le show pose évidemment l’indissociable question éthique, mais aussi celle de l’identité, qui est encore plus creusée que dans Dark Angel. Après tout, des personnages découvrent qu’ils sont le fruit d’une expérimentation scientifique, et que celle-ci a déterminé, et peut-être contrôlé, tout le cours de leur existence ; dès lors, quelle part d’eux-mêmes leur appartient ? La série impose une relecture audacieuse et frappante du débat entre inné et acquis, nature and nurture.
Les personnages – et le casting – constituent une autre grande réussite pour la série. La majeure partie du mérite revient à Tatiana Maslany, qui incarne plusieurs femmes avec autant de perruques que de talent : une fraction de seconde suffit pour trouver quel est le personnage du moment. La qualité du jeu de Dylan Bruce, qui interprète Paul, est inversement proportionnelle à la fermeté de ses abdominaux, mais les autres acteurs sont eux aussi formidables dans leurs rôles. Il suffit pour s’en convaincre de regarder quelques interviews de Jordan Gavaris ou Évelyne Brochu : ils sont presque méconnaissables, tant leurs postures et accents sont différents de ceux de Félix et Delphine, leurs personnages. Le charisme des comédiens les rend attachants, et leur permet par ailleurs d’être extrêmement drôles en plusieurs occasions. En effet, les différents protagonistes ont un réel sens de l’humour, et sont donc capable de faire preuve de second degré vis-à-vis de la situation angoissante et même menaçante dans laquelle ils se trouvent. Dans une série qui est par ailleurs pleine de suspense et d’enjeux dramatiques, cette manière de tourner en dérision le danger à plusieurs reprises est presque inédite, et fait écho aux plaisanteries de Mulder et Scully dans X-Files et à celles de Buffy. Les répliques et les situations comiques enrichissent à la fois les personnages, que l’on n’apprend pas seulement à connaître en mode « survie », et le récit, qui peut osciller entre ton grave et léger, séquence amusante et séquence violente. En effet, face à Alison, desperate housewife plus drôle encore que ses consœurs de Wisteria Lane, il y a des méchants et des coupables, qui sont pour la plupart vraiment inquiétants, voire effrayants. L’univers de la série n’est néanmoins pas complètement manichéen. Le doute plane pour certains, d’autres ont des justifications plus ou moins valables, et, surtout, les « héros » sont loin d’être irréprochables ; après tout, dès les premières minutes du premier épisode, l’héroïne Sarah Manning n’hésite pas à voler le sac d’une femme qui vient de se jeter sous un train… Méfait qu’elle regrettera amèrement par la suite.
Orphan Black n’est peut-être pas la plus subtile et la plus originale des séries de science-fiction, mais elle en est l’une des plus attachantes, et elle est extrêmement prenante. Je vous aurais prévenus : libérez votre emploi du temps aujourd’hui et demain, vous risquez de ne plus pouvoir vous arrêter une fois que vous l’aurez commencée (c’est-à-dire, juste après avoir lu cet article). Heureusement, elle ne compte que dix épisodes de quarante minutes, vous avez donc amplement le temps de regarder la première saison avant que la deuxième débute, le 19 avril !