Aujourd’hui, coup de projo sur Féminin/Féminin, un projet qui combine deux de nos sujets préférés : le Québec et les web-séries. A l’origine de cette série, il y a Chloé Robichaud, parfois considérée par la presse comme l’alter ego féminin de Xavier Dolan depuis son premier film Sarah préfère la course (en raison de leur jeune âge, leur accent et leur intérêt pour la thématique de l’identité sexuelle, mais toute ressemblance s’arrête ici). Il y a aussi Florence Gagnon, la présidente de lezspreadtheword.com, site dévoué à la communauté lesbienne. Toutes deux ont eu l’envie de créer un programme qui permettrait de servir l’idéal de la plateforme : « dessiner les tendances actuelles et redéfinir l’image de la lesbienne, quel que soit son âge ». Pari tenu.
De l’aveu même de Chloé Robichaud, le projet de la série a un but politique et social. Il s’agit de montrer la communauté lesbienne avec le plus de réalisme possible, en démontant les clichés. Pour cela, la réalisatrice prend le contre-pied de LA référence télé, The L Word, en situant ses personnages dans un monde beaucoup plus proche de celui des spectateurs. Exit le glamour, bonjour la classe moyenne (hype) québécoise. Nous suivons le quotidien d’un groupe d’amies tout ce qu’il y a de plus banal. Chaque épisode est centré autour de l’une d’entre elles ou d’un couple. Pour renforcer encore l’effet de réalisme, des séquences au format documentaire entrecoupent la fiction, dans lesquelles des lesbiennes sont interrogées sur leur rapport à la sexualité, à l’amour, à l’amitié…
Le but de la série étant de montrer l’homosexualité féminine positivement, on aurait pu s’attendre à ce que la créatrice essaie de nous faire envier la vie de ces filles en nous montrant de belles, jeunes et riches jeunes femmes. Mais non, Chloé Robichaud refuse ces clichés et les personnages ne sont pas formatés, ils sont eux-mêmes. On a envie de passer un peu plus de temps à les connaître, ces filles si proches de nous, qui partagent nos interrogations sur l’existence. L’effet d’identification et d’empathie est total. Le spectateur est invité à faire partie de ce groupe où il fait bon vivre. Une vraie ode à la tolérance et à la diversité, et pas uniquement à propos d’orientation sexuelle. Car non contente de réussir son projet politique, Chloé Robichaud va beaucoup plus loin en permettant à ces femmes d’exister et d’être acceptées sans pour autant répondre aux canons nécessaires à tout personnage de fiction féminin : être jolie, marrante, tendre ou amoureuse. Oui, on a le droit de ne pas avoir d’humour, de s’habiller mal, de ne pas vouloir s’engager sentimentalement puis de changer d’avis, d’être égocentrique, solitaire, infidèle et même parfois cruel(le). Ce n’est donc pas seulement une série qui aurait pour ambition de donner une meilleure perception des lesbiennes, mais une oeuvre qui laisse chaque individu s’exprimer authentiquement, remettant au passage un peu de diversité dans la fiction.
Bon, évidemment, il y a un bémol (parce qu’il y a toujours un bémol). Sur la forme, avec ses musiques branchées et ses plans faits de rues crades mais agréables, de cafés et de boîtes, la web-série est proche d’univers hipsters se voulant réalistes comme ceux de Girls et Looking. Cela donne l’impression qu’une certaine branche de la création contemporaine s’enferme dans un moule esthétique conformiste, et ne montre qu’une manière de vivre dans les grandes villes outre-atlantique. Et pas seulement une manière de vivre mais aussi un unique type de population : classe moyenne, blanche, sans trop de problèmes financiers. Il s’agit donc de faire preuve de réalisme, mais la réalité s’avère parfois trop lisse et simplifiée. D’autant qu’on peut faire les mêmes reproches à la série que ceux qu’Arthur faisait à Looking dans un précédent article : la représentation à tout prix du réalisme et de la « normalité » n’a-t-elle pas pour effet d’effacer la fiction et d’affadir ses personnages ? Malgré leurs défauts, ces trois séries ont de la profondeur, un style et leur propre petite musique, et Chloé Robichaud s’en sort particulièrement bien. En multipliant les points de vue de femmes, et en s’entourant de personnalités fortes, la série se fait à l’instar de Girls la voix de sa génération – ou au moins une voix d’une génération. Et des projets de web-série comme ceux-là, qui ont un projet politique et social, une esthétique soignée avec peu de moyens, dans lesquels tant de talents s’investissent pour un résultat joyeux et réjouissant, on voudrait en voir plus souvent et on vous conseille de ne pas passer à côté.
Et en bonus, la super playlist de la série !