Le héros de Vikings est incontestablement Ragnar Lothbrok, ce guerrier semi-légendaire du IXe siècle qui, parti de son petit bled des rives scandinaves, a placé les roitelets du coin sous son joug et poussé ses raids envahisseurs jusqu’aux royaumes qui formeront l’Angleterre et la France. Autour du bonhomme joué par Travis Fimmel gravitent des adjuvants pas toujours très francs du collier (son (ex)épouse badass Lagertha, le frangin relégué dans l’ombre Rollo, le mystique Floki…) et des figures de pouvoir ennemies. Au milieu de cette galerie de personnages, le prêtre Athelstan ne sort pas à première vue du lot. Son (lumineux) interprète, George Blagden, n’a pas davantage de place à l’écran que les autres, il n’est crédité qu’au milieu du générique et est souvent placé en arrière-plan sur les affiches de promo. Il est pourtant le personnage central de la série, dont la saison 3 vient tout juste de s’achever. Et de la destinée de ce rôle-clef pourrait dépendre la suite du show. Analyse.
Il est l’intercesseur entre les vikings et le spectateur
Capturé dans le deuxième épisode lors d’un raid après la mise à sac d’un monastère anglais, le moine chrétien Athelsan est emmené contre son gré chez les vikings avec qui il va devoir apprendre à vivre. Même s’il n’est jamais en position de narrateur, c’est à travers son regard – tantôt apeuré, tantôt admiratif – que l’on découvre le peuple viking. Dans l’épisode 9 de la saison 1, il accompagne les Vikings dans leur pèlerinage décennal sans savoir qu’il est dans le collimateur du groupe pour être victime d’un sacrifice humain (dont il sera finalement épargné). Dans cette peinture quasi anthropologique d’un culte où règne la servitude volontaire et calme des condamnés à mort nordiques, il est l’étranger auquel le spectateur lambda – peu porté sur le suicide au nom d’un dieu – peut s’identifier. Le temps passant et tandis que le public assimile les rouages de cette société scandinave, Athelstan deviendra moins intercesseur que viking lui même.
Il fait la jonction entre les différents pouvoirs
La série décrit un monde en pleine mutation religieuse, où la chrétienté se répand en Europe comme une traînée de poudre, où le polythéisme nordique résiste, et où le paganisme romain teinté de philosophie des anciens temps reste un modèle caché. Athelstan est un prêtre chrétien qui va se laisser séduire par les croyances vikings mais effectue un incessant aller-retour avec le christianisme : gros dilemme, gros cas de conscience pour le personnage. Il va payer cher cette « double-foi » : accusé d’apostasie par les soldats du Christ, le moine devenu viking va être stigmatisé (au premier sens du terme, en mode trous dans les mains) et crucifié. Des sévices auxquels il va pourtant survivre, secouru par le roi du Wessex, Ecbert, qui va faire d’Athestan son prêtre personnel. Prisonnier ou martyr, le personnage d’Athelstan survit grâce à son caractère diplomate et son esprit fondamentalement partagé entre deux cultures. Utilisé comme négociateur ou interprète, il est un bien précieux courtisé par les puissants. C’est sous son regard que sont un temps favorisées des relations amicales entre Vikings et Anglais (se traduisant par des échanges de matériel agricole et de fluides entre Lagertha, proclamée cheffe de clan par ses troupes, et le roi Ecbert). Ballotté d’un clan à l’autre, entre Wessex et Scandinavie, partagé entre plusieurs allégeances, Athelstan boufferait-il à tous les râteliers pour sauver sa peau ? Non, car sa fidélité à Ragnar, qu’il soit près de lui ou à distance, est un des fils conducteurs du personnage.
Il révèle le personnage principal
Tout a pourtant commencé sur des bases pas hyper saines entre le guerrier qui deviendra roi Ragnar et le moine Athelstan, le premier faisant du second son prisonnier, le baladant même au bout d’une corde. Bougrement intéressé par le monde spirituel inconnu auquel l’ouvre Athelstan, Ragnar va bien vite le traiter en homme libre. On assiste alors à une relation colorée de syndrome de Stockholm où pèse l’ascendance de Ragnar : il a épargné celui qui aurait dû devenir sa victime et lui a témoigné de l’amitié, et Athelstan va l’aimer pour ça. Le lien suzerain-vassal va peu à peu évoluer en relation équilibrée. Si Ragnar enseigne le combat à Athelsan, ce dernier sauve la vie de son ami à plusieurs reprises. Nul ascendant de l’un sur l’autre concernant la foi : le respect est mutuel. Ragnar va peu à peu lui marquer une préférence totale, s’agenouillant même pour prier selon les croyances du prêtre, et lui témoigner le plus haut degré de confiance. Tout aurait pu déraper : retrouvant définitivement sa foi pour le Christ au milieu de la saison 3, Athelstan se débarrasse de ses oripeaux vikings et jette à la mer, dans un moment de transcendance, le bracelet que lui a offert Ragnar et qui symbolise leur lien. Un geste qui pourrait être pris comme une trahison à l’encontre du personnage principal – seigneur et maître rappelons-le – mais qui sera accepté par ce dernier, preuve que Ragnar considère Athelstan comme son égal voire comme quelqu’un de supérieur à lui-même. Difficile de ne pas entrevoir les contours d’un sentiment amoureux dans l’attachement à toute épreuve que Ragnar porte à Athelstan. Les deux personnages s’intéressent aux femmes (même le moine rompra ses vœux de chasteté pour batifoler avec une princesse) et aucune allusion sexuelle n’est soulevée entre eux, mais ce que la fiction ne dit pas, la fan fiction le suggère : quelques spectateurs ont réalisé des petits dessins des deux personnages dans des positions équivoques (google est votre ami). Et la manière taquine qu’a l’interprète de Ragnar de peloter celui du personnage d’Athelstan en interview ne viendra pas démentir cette interprétation. Vous avez dit bromance ?
Il est mort
Au milieu de la saison 3, Athelstan est assassiné par Floki, qui a toujours vu en la figure du moine l’instrument de la victoire du christianisme sur les dieux nordiques. Destiné à châtier le rôle supposé d’Athelstan dans les malheurs qui ont frappé la communauté viking (le roi Ecbert est venu décimer un village viking, faisant voler en éclat toute alliance entre les peuples), le geste du pauvre Floki relève aussi d’une frustration devenue quasi pathologique, celle d’un homme jaloux qui n’a pas supporté la place prééminente que Ragnar a accordé dans son cœur à l’étranger au détriment de ses frères. Si la mort du moine-viking a été un coup dur pour les fans, elle témoigne de l’amour (revendiqué) que Michael Hirst, le créateur du show, porte au personnage. C’est après avoir pleinement retrouvé sa foi que le prêtre, libéré de ses paradoxes religieux, est exécuté dans une sorte d’épiphanie. Sa présence, surplombante, résonne en outre encore après la mort. Il laisse derrière lui un fils bâtard (et un bâtard de plus dans l’univers des séries historiques, un !) qui aura une importance capitale dans l’histoire de l’Angleterre et un vide dans le cœur et l’identité de Ragnar (« Rien ne pourra me consoler désormais », déclare le guerrier au cadavre de son ami). Car c’est beaucoup dans son amitié pour Athelstan que se sont révélées les spécificités de Ragnar, un homme iconoclaste, aussi ouvert vers un autre monde qu’avide de pouvoir. La dernière scène de la saison 3 joue évidemment dans le cliffhanger : Ragnar accuse Floki d’avoir tué son ami. Les questions sont nombreuses ; qu’est-ce qui attend le pauvre Floki dans la saison 4 ? Et que va devenir Ragnar ? Celui qui a navigué entre la vie et la mort après avoir envahi Paris – ville rêvée que les récits d’Athelstan avaient sublimée – semble s’enfoncer en eaux profondes, plus isolé que jamais, et prêt à passer le relais à son fils aîné. On murmure que Bjorn sera au centre de la saison 4. Une nouvelle ère pour Vikings ?
Le saviez-vous ?
On ne sait pas encore si le fantôme / souvenir d’Atheltan – déjà entrevu dans la saison 3 – déboulera dans la saison 4. En tout cas, on retrouvera à la rentrée 2015 son interprète George Blagden dans le rôle de Louis XIV pour la nouvelle série de Canal +, Versailles. Désormais, c’est bien lui le roi !
Très bon article (mais je suis circonspecte sur la relation pseudo-gay entre Ragnar et Athelstan…)
Pour ma part, j’ai pu constater que le Roi Ecbert vouait la même fascination pour Athelstan. Je penche plutôt que ces 2 rois ont une réelle attirance mais UNIQUEMENT amicale, pour une âme soeur, pour un frère spirituel, voilà comment je vois leurs relations.
Et la chrétienne que je suis voit aussi Athelstan comme une eau pure à laquelle ces deux hommes viennent étancher leur soif et se purifier de leurs péchés !
Dans l’histoire athelstan est viking a la base ,il s’apelle ruthgrum ,il a ete roi d’angleterre en 925.il a ete le premier roi a reigner sur toute l’angleterre, je ne comprend pas pourquoi dans la serie c’est juste un moine et un esclave des vikings qui meurt a la saison 3
Ok j’ai compris,celui qui interprete athelstan dans vikings interprete aussi louis IV dans la nouvelle serie de canal+ « versailles » voila pourquoi les scenariste l’ont fait mourir a la saison 3 bizness is bizness
Très bonne analyse. Par contre, il ne faut pas confondre Wessex et Northumbrie qui sont deux royaumes distincts de Grande Bretagne pas encore unifiée.
Merci pour ce commentaire très pertinent ! La correction est en cours. Je me flagelle de honte en voyant que j’ai pu me planter sur le royaume de coeur-coeur-coeur roi Ecbert.
athelstan fut pour moi le plus beau et grand personnage de cette serie j »ai pleuré sa mort au sens propre et figuré. il me manque. j:aurais bien aimé avoir un tel ami comme Ragnar a eu la chance d »avoir et il l’a apprecie et Ragnar a perdu le gout de vivre apres son deces.
Merci Johanne. Depuis un moment je cherchais quelqu’un qui exprime un ressenti semblable au mien. Le réalisateur a créé un personnage incroyable, qui dégage une émotion comme jamais j’ai pu ressentir …
La séquence de la vision d’Athelstan par Ragnar, le cheval blanc qui galope sur la berge, la musique qui prend aux tripes, ça dégage une telle charge émotionnelle que je suis pris de sanglots rentrés, dans l’incapacité de parler …