Un Village Français aurait pu s’arrêter à la Libération. Mais la saison 7 fait le pari courageux d’aller au-delà pour évoquer la période de la restauration de la République, et des purges. Sur l’ensemble des fictions traitant de la Seconde Guerre mondiale, c’est un thème finalement assez peu abordé malgré son importance dans la refondation des bases de notre société. Connaissant l’intelligence des scénaristes pour brosser des situations et des personnages complexes loin de tout manichéisme, on salivait par avance. Malheureusement, après le visionnage des 6 épisodes que compte cette première partie, on repart avec une amère déception.
Une saison répétitive…
Premier constat, on s’ennuie beaucoup cette saison. La faute d’abord au parti pris narratif, nouveau pour la série, qui intervient dès le premier épisode : l’utilisation massive de flash-backs. Le procédé est néfaste car il ralentit l’avancée de l’intrigue en revenant même parfois sur des scènes déjà vues dans les saisons précédentes. Ces retours sont pour la plupart un prétexte pour revoir certains disparus. Résultat, pour pouvoir conclure sur le destin de tous les personnages et dresser un bilan pour chacun, il y a moins de places aux nouvelles intrigues.
Pas de nouveaux personnages à l’horizon cette saison, alors même que de nouvelles forces sont présentes à l’arrière-plan historique. On peut par exemple déplorer qu’aucun Américain digne de ce nom n’ait été écrit, alors même que la question de la présence américaine est abordée trois fois : 1. on apprend que Müller, le nazi qu’on déteste aimer, est protégé par les services secrets américains, 2. la petite amie du maquisard Antoine est violée par des GIs alcoolisés, 3. Gustave, le fils du communiste Marcel Larchais, doit tuer un soldat désigné comme traître par sa bande du marché noir. Dans ces trois cas, la présence de l’Amérique n’est jamais matérialisée par un personnage construit ou une intrigue neuve et solide, tout en étant la cause d’événements négatifs. Alors que jusqu’à maintenant, toutes les conséquences de l’Histoire avaient été humainement incarnées, même les plus odieuses (par Müller le nazi, Chassagne le collabo raciste…). Si ces personnages n’étaient pas exempts de toute caricature, au moins la personnification ne mettait pas l’action à distance et donnait de la vitalité au récit.
Pour appuyer le constat que la saison 7 ne propose rien de plus neuf que la conclusion de la vie des personnages déjà présents, on peut analyser rapidement l’une des intrigues principales de cette première partie de saison, plus ou moins métaphorique de la période que traverse la France à la Libération : le cas Gustave Larchais, jeune, livré à lui-même, sans plus aucun modèle d’autorité pour se construire autre qu’un souvenir douloureux duquel il faut faire le deuil. Si la réflexion est intéressante et centrale pour évoquer l’héritage et la question de la transmission de valeurs à la génération d’après-guerre sacrifiée par ses parents, le traitement qui lui est réservé fait passer entièrement ces problématiques au second plan. Les scénaristes ont fait le choix de reprendre l’histoire du père au mot près. Il devait commettre le meurtre d’un Allemand sur ordre de ses chefs, et maintenant c’est au tour du fils de devoir tuer pour faire ses preuves, excepté qu’il s’agit cette fois d’un Américain et que les chefs exigeants n’ont plus l’air d’être du bon côté. De plus, les enfants de Suzanne et Marcel (qui ne sont pas les meilleurs acteurs de la terre et vont malheureusement pas mal occuper le terrain) vont eux aussi revivre une histoire d’amour à l’identique de celle de leurs parents. Cette manière de reprendre le récit de façon appuyée, peu subtile et redondante, rend les séquences en question assez longues et parfois pénibles à regarder, se faisant ainsi l’écho du dispositif des flashs-backs. On perd dans tous les cas la possibilité d’un récit original et porteur de sens sur des événements nouveaux au profit d’une resucée laborieuse des saisons précédentes. Comme si la fin de la guerre signait aussi la fin de toute vie dramatique neuve et intéressante (ce qui est un peu bizarre quand on y pense).
… qui ne traite plus de l’Histoire
Au-delà du manque d’originalité qui donne l’impression d’un récit figé dans le passé, on peut déplorer le fait que la période de la Libération ne soit pas traitée en tant que telle, comme le montre déjà l’exemple de Gustave. La faute aux intrigues qui se concentrent sur les histoires intimes de ses personnages plutôt qu’à la résonance des événements historiques sur leur vie. On le voit très bien à travers le cas du maquis Antoine, censé aborder la question des commémorations d’après-guerre et la réécriture du mythe des héros de la Résistance. Or, on a la curieuse sensation que les personnages liés à ces commémorations ont le choix de leurs décisions et de leurs comportements, en toute liberté, et que le dénouement aurait été le même qu’importe ce qu’ils fassent, sans aucune incidence sur la suite (autre qu’à soulager quelques consciences).
De la même manière, les disputes politiques concernant la reprise en main du pays (globalement entre Gaullisme et Communisme), semblent avoir assez peu d’incidences. Il n’est question que de la carrière des uns ou des autres, de l’envie de remporter une élection et d’asseoir son pouvoir particulier. Que dire des scènes avec la « dynamique Jeanine » (la veuve non moins collabo du collabo Chassagne) ? Même si elles sont particulièrement savoureuses car chargées d’un ressort comique évident, son destin, censé évoquer la manière dont certains collaborateurs ont pu passer à travers les mailles du filet, est balayé d’un revers de la main au bénéfice de répliques succulentes et d’une conclusion sur sa vie amoureuse. L’affaiblissement de cet arrière-plan historique au profit de problématiques intimes a un impact évident sur l’écriture des personnages qui sombrent dans le manichéisme. L’exemple le plus violent étant sûrement celui d’Hortense Larchais, l’amoureuse de l’ennemi, la honteuse tondue. Le choix a été fait pour elle de conclure sa destinée en dehors du temps présent. Elle devient folle et se retrouve en dehors du monde. En plus d’être une évolution assez téléphonée, la déception vient également du fait que son destin n’est plus lié aux autres ni au reste de la communauté.
Au lieu de comprendre comment le vivre ensemble a pu se reconstruire, après de tels événements, et sur quelles bases, le final choisit de clore le destin de certains personnages en dehors du contexte historique, ce qui ne faisait pas partie du cahier des charges de la série. S’il est quand même question d’Histoire, elle ne sert plus vraiment à mettre les individus face à des choix moraux, décisifs, parfois mortifères. Tout au plus influence-t-elle leurs décisions. En conséquence, la saison manque de cette fatalité qui donnait une autre dimension dramatique à la fiction, conférant à l’étude de mœurs des accents de tragédie.
C’est d’autant plus dommage que, lorsque la saison s’attaque de manière frontale aux thèmes de la période, on peut encore voir scintiller tout ce qui a fait d’Un village français une grande série. C’est le cas du procès pour collaboration du préfet Servier et du médecin Larchais, intrigue qui sort un peu du lot. On y retrouve tout ce qui faisait la qualité des saisons précédentes : aucun jugement moral, des individus devant faire des choix face à la tourmente de l’Histoire, une écriture humaniste qui tente d’englober la complexité de leur être. Ces deux personnages, les mieux écrits et les plus émouvants de la saison, sont obligés de faire face à leurs responsabilités et font le point sur leurs actes. La forme du procès est un pari gagnant. En plus de procurer un certain plaisir sur la forme et de restituer la réalité d’une époque, on peut facilement en faire une lecture symbolique (le spectateur juge ces personnages, l’Histoire juge ces individus, l’Etat juge ses concitoyens, la nouvelle république juge le temps passé…), symboles pertinents et puissants car incarnés par une humanité individuelle.
Des adieux sous forme de bilan mémoriel
Pourquoi alors, contrairement à tout ce qui avait été fait jusqu’à maintenant, les scénaristes ont-ils préférés suivre la voie de leurs personnages au détriment de l’expérience d’immersion historique qu’ils avaient proposé jusqu’à maintenant ?
Si on réfléchit bien, au-delà de la simple volonté de conclure sur le sort de ceux qu’on suit depuis maintenant 7 ans, cette saison fait la part belle à la mémoire des disparus. On se concentre sur la fin de certains, dans un recueillement forcé teinté de souvenirs à fortes charges émotionnelles, comme c’est le cas pour le personnage de Marchetti. On a d’ailleurs peine à croire que pour un être si ambigu, autour duquel se sont nouées autant d’intrigues laissées en suspens la saison d’avant, rien d’autre ne soit développé qu’un enterrement à la bougie auprès de celle qu’il aime, et dont on ne comprend pas bien non plus la présence. C’est le signe évident que l’adieu et le besoin de dresser un bilan sont plus importants que l’Histoire toujours en marche. De la même manière, les flash-backs permettent d’évoquer une dernière fois ceux qui sont partis, rendant hommage à leur mémoire, même si le dispositif rend cet hommage nostalgique et figé, presque vidé de toute substance, tel un monument aux morts d’une place de village.
Et on ne peut pas tout à fait reprocher ce choix aux scénaristes. Premièrement car on peut comprendre ce besoin naturel de réunir les spectateurs autour des personnages pour communier une dernière fois avant de déchirants adieux. D’autre part car cet angle fait aussi un peu écho à ce qui se passe depuis la fin de la guerre : le besoin de se réunir, de pleurer les morts, de tirer des bilans, bref de commémorer les événements. Comme s’il y avait une impossibilité à parler concrètement de cette période sans invoquer le poids de l’héritage du passé et pour conséquence la difficile reconstruction pour une nouvelle génération. Et si l’on en croit les révélations sur la deuxième partie, qui sera constituée de flashforwards de personnages imaginant leur futur, on peut constater que c’est dans cette entreprise mémorielle que se sont engagés les scénaristes d’Un village français pour leur saison de conclusion post-conflit.
Si ce choix est cohérent et même plutôt émouvant, on regrettera tout de même que cela soit au détriment de l’équilibre parfait entre divertissement, drame tragique et immersion historique qui faisait la force de la série et la propulsait au rang des meilleurs productions nationales actuelles. Des adieux teintés de déception, mais sans honte ni rancune.