Twin Peaks, 25 ans après [SPOILERS]

Autant que faire se peut, j’ai repoussé l’échéance de l’écriture de cet article. Après avoir découvert Twin Peaks il y a des années, puis l’avoir vue et revue, décortiquée et adulée, j’ai espéré comme tout fan éperdu l’arrivée d’une troisième saison qui aurait prolongé l’immersion dans cet univers adoré. J’ai trépigné à chaque fausse annonce d’un éventuel retour. J’ai failli m’étouffer en apprenant que ça n’était plus une blague : David Lynch et Mark Frost allaient remettre les mains à la pâte et réveiller leur création après 25 ans d’attente. Ces derniers mois, ces derniers jours, je ne vivais plus que pour ça, malgré les mises en gardes (« n’en attends pas trop, tu risques d’être déçu ! ») auxquelles je ne prêtais pas attention : les seules affiches et trailers, le retour de visages connus et vieillis, l’arrivée de nouvelles têtes totalement lynchéennes, suffisaient à me rendre fou d’excitation. Il est temps maintenant de faire un retour personnel sur cet événement, pour expliquer et nuancer ma déception.

Le deuil de Twin Peaks

En visionnant les deux premiers épisodes de la saison 3, j’ai compris que je devais faire le deuil de Twin Peaks, ou plutôt de ce que j’en attendais.
La saison 3, on pouvait s’en douter après une si longue absence, ne semble pas vouée à prolonger les deux premières dans la continuité : il ne s’agit plus (du tout) de l’immersion d’un étranger dans une communauté frappée par un événement tragique, lequel menait à d’innombrables intrigues secondaires, amoureuses ou haineuses. Exit donc le feuilleton, et les codes pervertis du soap-opera, les jeux d’intrigues à tiroir imbriquées comme des poupées russes, les cachettes, passages secrets, trous dans les murs, et jusqu’aux décors mêmes, boisés, rouges et chaleureux. Exit également le tempo, un épisode retraçant une journée de l’aube jusqu’à la nuit, le suivant reprenant le jour d’après au matin. Ce rythme régulier permettait au spectateur de se familiariser avec l’univers en faisant corps avec Dale Cooper (Kyle MacLachlan), l’étranger sympathique, le nouveau venu, lui faisant vivre comme à nous l’immersion progressive dans la ville de Twin Peaks.

Autre deuil, et pas des moindres : celui de l’émotion lancinante, portée par des intrigues parfois faciles, voire nunuches, mais toujours tendres, et par la musique, désormais quasi absente. On se souvient notamment de ce sentiment étrange à la première écoute du thème de Laura Palmer, à la fois triste et kitsch, avant de finir par s’y attacher, parce qu’il était l’une des marques de fabrique inoubliables de la série, fleurant bon les années 80 ? En parallèle, exit l’humour délicieusement décalé de la série originelle, subsistant légèrement ici sans parvenir à égaler celui des débuts, ou jouant seulement sur les clins d’œil à d’anciennes scènes comme un simple fan service.

Que reste-t-il de Twin peaks ?

Si on fait le deuil de ce qui, pour l’instant, a été amputé à la série, que reste-t-il cependant pour assurer une filiation entre les deux premières saisons et la nouvelle ?
Dès les premiers instants, on renoue avec une ambiance inimitable, des effets familiers de voix à l’envers, une lenteur, des personnages bizarres, qui produisent toujours le même frisson d’incompréhensible malaise. Des gueules particulières, des tronches, une façon de parler : tous les ingrédients lynchéens – de la série comme de son cinéma – sont au rendez-vous pour stimuler la notion d’inquiétante étrangeté, véritable « patte » du réalisateur, et faire en sorte que le mystère irradie.

Qu’on soit donc à New York, à observer un caisson de verre cerné de caméras et de capteurs, dans le Dakota du Sud où un meurtre sordide a eu lieu, ou tout simplement dans les bois de Twin Peaks, porte de la fameuse Loge Noire où l’esprit de Dale Cooper est retenu prisonnier, on se demande comment s’articulent les intrigues. A vrai dire, on ne comprend rien, et on aime ça, parce qu’on sait bien depuis le temps que les réponses n’ont pas autant d’intérêt que les questions, suscitées et démultipliées par l’oeuvre. Le prequel, déjà, nous avait habitué à sortir de l’intrigue policière pour replacer Twin Peaks à un niveau métaphysique. La saison 3 semble jouer avec le même prisme.

Quelles idées nouvelles ?

Au-delà de l’héritage de l’oeuvre Twin Peaks, les idées nouvelles sont légion, et c’est là la meilleure surprise de ce début de troisième saison. On s’en rendait compte à la fin de la deuxième, lorsque James Hurley s’échappait de Twin Peaks, croyant que sa ville était rongée par un mal spécifique. Il découvrait alors que les mêmes schémas se reproduisaient à l’extérieur, au-delà des limites de l’arène de la série, idée reprise dans le film prequel : Lynch, de cette manière, soulignait la portée symbolique de Twin Peaks. La lutte qui s’y jouait entre le bien et le mal, la dualité inhérente à chaque être humain, thèmes majeurs de la série, se trouvaient ainsi parfaitement illustrés. En 25 ans, c’est comme si Twin Peaks avait essaimé un peu partout, prolongeant son ambiance étrange d’un bout à l’autre des Etats-Unis et ramifiant son intrigue à l’infini. Ainsi, Lynch confirme la dimension universelle de son récit, en l’étendant au-delà des frontières de son petit théâtre initial.

Par ailleurs, de la même manière que le prequel n’était plus l’histoire de Twin Peaks, mais centré sur le personnage de Laura Palmer (Sheryl Lee), personnage dévoré et tragique, à mi-chemin entre le bien et le mal, la saison 3 s’annonce comme un focus sur le personnage de Dale Cooper : à la fois sur ce qu’il est devenu, et sur la façon dont il devra lutter pour réintégrer la réalité après 25 années passées dans la Loge Noire, son corps habité par le démon maléfique « Bob ». Dale Cooper, méconnaissable, visage buriné et cheveux long, veste en cuir de baroudeur, implacable et semble-t-il invincible, se retrouve donc au cœur du projet de Lynch. Personnage purement « twinpeaksien », divisé entre une apparence de tueur sans pitié et une âme perdue dans un dédale de rideaux rouges, évoquant presque celui de Nikki (Laura Dern), héroïne de INLAND EMPIRE, errant dans la confusion d’un cauchemar tout au long du dernier film de Lynch.

Pour moi qui n’ai pas connu les impressions déroutantes produites sur les téléspectateurs de 1990, non encore habitués à des séries aussi prodigieuses, c’est malgré une certaine déception un immense plaisir que d’expérimenter cette confusion extrême, l’incapacité de s’attendre à quoi que ce soit, et une plongée – trop rare – dans la folie pure.

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