House of Cards : bilan de la saison 5 [SPOILERS]

House of Cards était à l’origine le remake d’une courte série anglaise qui a su se faire une place parmi les centaines de séries reconduites ou créées chaque année, bénéficiant de l’effet de nouveauté de son diffuseur : Netflix. La force de House of Cards est d’être partie d’un thriller politique classique pour devenir, au fil des saisons, un drame shakespearien métaphorique. Aussi, la grossièreté de certains twists, l’abus d’ellipses temporelles et les disparitions trop faciles d’obstacles ou d’antagonistes sont les principaux bémols de cette série à ne plus toujours regarder au premier degré.

On ne présente plus la saga qui a donné ses lettres de noblesses à Netflix. Portée par Kevin Spacey, acteur de cinéma et de théâtre et la non moins brillante Robin Wright — une révélation ! — House of Cards est l’adaptation d’une série anglaise éponyme de quatre épisodes, diffusée en 1990 et elle-même adaptée d’un roman de Michael Dobbs. Mais, depuis 2013, elle s’est éloignée de son modèle pour n’en garder que le titre et devenir une série culte. On ne compte plus les avatars, les memes et les gifs à l’effigie des Underwood, preuve de leur popularité sur les réseaux sociaux. Car si l’on admire les héros, on aime encore plus les anti-héros.

« Nous ne nous soumettons pas à la terreur. Nous créons la terreur. »

C’est sur cette réplique que s’achevait, il y a un an, la saison 4 de House of Cards qui avait vu s’opposer Claire et Frank Underwood durant la campagne des primaires. Le couple présidentiel avait finalement mis de côté ses différends afin de poursuivre son ascension et consolider son pouvoir. Ébranlé par les sondages et les enquêtes journalistiques sur les pratiques controversées et les crimes de Frank, le duo avait abattu sa dernière carte en instrumentalisant un attentat terroriste dans le but d’être réélus. En cela, la série est au comble de l’avant-garde, du jamais vu à double titre : le ticket Underwood devient, dans la saison 5, le premier couple Président/Première Dame à incarner les deux têtes de l’exécutif et Claire devient la première femme à accéder à la vice-présidence avant de devenir, finalement, la première femme présidente des États-Unis.

Seulement, entre les deux dernières saisons, la politique américaine, jusqu’alors assez stable pour laisser aux scénaristes le soin d’inventer des fictions politiques effrayantes — voire carrément dystopiques — s’est vue bousculée par l’élection d’un milliardaire mégalo au terme d’une campagne inédite et outrancière. Forts de ce constat, les auteursde la série ont donc dû anticiper la vague Trump qui menaçait leur fiction d’être rattrapée par une réalité plus sensationnelle encore. Voilà pourquoi les curseurs ont été poussés à leur maximum afin que Frank et Claire Underwood soient plus monstrueux et inquiétants que leur homologue bien réel, lui. Le couple présidentiel n’hésite pas à fermer les frontières et a recours à une rhétorique politique belliqueuse. Et, comme le tandem Underwood — élu grâce à la popularité de Claire malgré les casseroles de Franck — fonctionne désormais sur le principe du good cop / bad cop, c’est Madame qui prend la parole pour ouvrir cette saison 5 avec un message inquiétant adressé tant au spectateur qu’à la population américaine. C’est aussi l’occasion pour la femme de de prendre son indépendance en imitant son mari dans ce qu’il a de plus sombre. Claire est en quête d’égalité dans l’exercice du pouvoir et partout ailleurs. L’empowerment féministe à la Underwood, c’est une main de fer dans un gant de soie.

De l’art du spectacle

Depuis sa première saison, la série produite, entre autres, par David Fincher (Fight Club, Gone Girl) et Kevin Spacey a bien changé. Le premier a apporté au show une dimension cinématographique, notamment à travers une direction de la photographie qui rappelle l’esthétique visuelle chiadée de ses films et une mise en scène précise. Le second donne à la série ce qui fait d’elle une œuvre majeure : une envergure dramatique, au sens premier. On connaît Kevin Spacey, acteur de cinéma par deux fois oscarisé, mais on sait moins que l’Américain a débuté sur les planches et qu’il est, depuis 2003, le directeur du théâtre The Old Vic, à Londres. Notons qu’avant de rejoindre les plateaux de House of Cards, Kevin Spacey jouait sur scène Richard III, de Shakespeare, sous la direction de Sam Mendes et déclarait à l’époque : « Frank n’existerait pas sans Richard III. Je veux dire, littéralement. Je ne l’ai pas inventé : c’est Shakespeare qui a inventé l’idée même de faire du public un complice auquel on présente ses idées et ses plans. »

Sans trop évoquer les intrigues développées dans House of Cards (souvent secondaires, éphémères et balayées d’un revers de main par des scénaristes pressés ou flemmards), on retiendra qu’il s’agit, pour les Underwood de s’approprier le pouvoir et de le garder coûte que coûte. Pour ce faire, le couple machiavélique a essentiellement recours à la manipulation. Or, il n’est pas plus grande duperie que celle de l’illusion du cinéma ou du théâtre. De fait, la méthode Underwood consiste à faire de la suspension d’incrédulité sa technique de communication principale. La réalisation et les mouvements de caméra, à la fois précis et géométriques, se font la représentation à l’image de leur logiciel de pensée : tout est organisé, maîtrisé et sous contrôle. L’objet audiovisuel en tant que tel est techniquement brillant et les décors du pouvoir constituent un écrin esthétique formidable dans lequel les acteurs sont mis en valeur à l’aide d’une mise en scène ostensiblement théâtrale en termes d’occupation de l’espace et de composition des plans. Malgré les différents réalisateurs qui se succèdent derrière le combo, une charte de réalisation clairement définie assure à la caméra des mouvements minimalistes, fluides et nets. Et, s’il existe une faille, elle est sans doute scénaristique.
L’autre dimension importante de la série est dramatique. La théâtralité est partout dans House of Cards et particulièrement dans cette cinquième saison. Les Underwood sont devenus les seuls maîtres de la Maison Blanche qui constitue donc le décor principal de la série. Il y a de moins en moins de scènes en extérieur, Frank et Claire passent beaucoup de temps à piloter l’Amérique depuis leur palais présidentiel et la série flirte avec le huis clos. Si l’on visionne les premiers épisodes de la série après avoir consommé ceux de cette dernière saison, la différence est flagrante : deux salles, deux ambiances et deux explications possibles.

Premièrement, ces choix scénaristiques ne sont pas sans rappeler les règles du théâtre classique que Kevin Spacey connaît bien : unité de temps (chaque épisode se déroule dans un temps bref et une ellipse temporelle les sépare les uns des autres) ; unité de lieu (la Maison Blanche ou, plus largement, les lieux du pouvoir) et unité d’action (conserver le pouvoir à tout prix). Par ailleurs, le repli sur soi des Underwood au sein de la Maison Blanche démontre à la fois leur force et leur faiblesse. Ils sont chez eux, de manière légitime mais, plus que gouverner, ils règnent depuis leur château tels Louis XVI et Marie-Antoinette, coupés du monde et rassurés par les frontières sociales et matérielles qui les séparent d’une populace qu’ils pensent pouvoir contrôler sinon contenir. Ils observent d’ailleurs, dans une scène importante, le peuple mécontent et agglutiné devant les grilles de la Maison Blanche au-devant duquel ils décident de s’avancer, protégés par la grille de métal. Mais il est trop tard pour se révolter. En élisant un homme et son épouse, les Américains ont fait de leur république une monarchie. Frank ne cache pas cette ambition royaliste (illustrée par l’excellente affiche de cette saison) et énumère, avec Claire, chaque année électorale où sera renouvelé, selon leur souhait, leur mandat présidentiel : « 2016. 2020. 2024. 2028. 2032. »

Discret mais loin d’être anecdotique, on ne peut ignorer l’omniprésence de l’iPad de Frank Underwood qui devient, durant cette saison, l’écran principal via lequel il regarde au-dehors et surveille au-dedans, tandis que la plupart des fenêtres de la Maison Blanche (et principalement celles du bureau Ovale) sont obstruées par des rideaux tirés, ce qui n’était pas le cas dans les premières saisons ou les autres séries utilisant le même décor. Ce choix renforce la dimension théâtrale : le rideau derrière lequel se fabriquent et se décident les choses en coulisses et que le spectateur ne voit pas alors que le comédien-Président-Big-Brother, lui, a l’œil sur tout, y compris sur son épouse et leurs collaborateurs via un réseau de caméras qu’il contrôle. On notera que le repli en leur forteresse ainsi que la paranoïa dont ils font preuve sont les symptômes annonciateurs de la chute brutale qui guette généralement les tyrans. C’est là que Frank rappelle le fameux Richard III de Shakespeare : usurpateur, meurtrier, tyrannique et fou.

Depuis le tout premier épisode, Frank Underwood, regard caméra, s’adresse directement au spectateur. On dit alors qu’il brise le “quatrième mur”, un concept inventé par Diderot qui désigne une sorte de vitre teintée imaginaire entre la scène et le spectateur et au travers de laquelle celui-ci voit les acteurs jouer sans que les personnages ne puissent voir qu’on les regarde. Frank Underwood, est, jusqu’à la dernière seconde du dernier épisode de la saison 4, il est le seul personnage à franchir ponctuellement cette frontière qui nous sépare de lui lorsque Claire en vient à faire de même, générant par ce seul regard un cliffhanger jouissif.

La machine infernale

Puis, au cours de la saison 5, la Vice-présidente confirme son ascension — selon les codes de la série — au moment où elle décide de se tourner vers la caméra à laquelle elle déclare : « Que ce soit clair, j’ai toujours su que vous étiez là. Mais je suis partagée à votre sujet. J’ai des doutes sur vos intentions et je ne sais pas quoi penser de cette attention. Mais ne prenez pas ça personnellement. Je ressens ça pour tout le monde. » C’est à ce moment précis que Claire devient officiellement l’alpha et l’omega de Frank. Tout en prenant le pouvoir sur lui, elle n’en finit plus de marcher dans ses pas pour atteindre le bureau Ovale et c’est au terme d’une cinquième saison marquée par la lenteur et de nombreuses ellipses temporelles que les rôles s’inversent enfin — non sans faire couler du sang et provoquer quelques grincements de dents.

La série amorce un virage irréversible lorsque Claire devient présidente après la démission de Frank, voulue par lui-même et conséquence d’un stratagème révélé au dernier moment, au cours d’un plot twist alambiqué. Le président Underwood, acculé par les accusations et les témoignages à charge, se retire donc pour éviter une procédure d’impeachment et sauver à la fois sa peau et son mandat, demandant à la nouvelle présidente — son épouse, sa partenaire, son binôme — de bien vouloir le gracier. Mais Claire Underwood — qui a les dents longues — bénéficie d’un mandat complet de quatre ans pour appliquer sa propre politique et n’entend pas entacher sa popularité grandissante et que chacun loue et convoite, en laissant un autre loup errer dans la Maison Blanche. Frank est donc politiquement, maritalement et géographiquement exclu par Claire. Le partenaire éconduit promet alors au spectateur, via un énième regard caméra : « Si elle ne me pardonne pas officiellement, je la tuerai. » La guerre est déclarée.


Aussi Claire Underwood a-t-elle franchi les obstacles un à un et gravi les marches du pouvoir les unes après les autres, si bien que la mécanique dramatique se met en place quand, avant d’accéder au bureau Ovale, la Vice-présidente perpétue la tradition initiée par son mari : tuer avant d’accéder au pouvoir tout en se persuadant qu’on peut garder les mains propres. Difficile, pour les Underwood qui ont tendance à faire régulièrement le ménage de manière radicale autour d’eux. Sur ce plan, la série, qui compte désormais un nombre important de morts violentes et de disparitions, est digne de Game of Thrones.

Supermassive blackhole

House of Cards est une série qui prend son temps, qui dilate le temps. Frank Underwood envierait sans doute à Emmanuel Macron le titre de « maître des horloges » que le président français s’est donné afin de dissocier le temps des médias du temps de l’action politique. Les Underwood, force gravitationnelle importante, font littéralement se courber le temps et l’espace au service de leurs intérêts. Si le soleil Underwood a tant brillé durant les premières saisons — tant et si bien qu’il a fait se consumer celles et ceux qui gravitaient trop près de lui — il menace aujourd’hui de s’éteindre. Or, lorsque les étoiles meurent, elles ont tendance à s’effondrer sur elles-mêmes avant un dernier coup d’éclat et c’est ainsi que naissent les trous noirs. Dans sa chute, Frank Underwood risque bien de vouloir engloutir et broyer tout ce qu’il pourra, étirer le temps ou l’accélérer au besoin afin de ne pas tomber seul.

De la même manière, les showrunners de la série mettent au pas le spectateur qui, même s’il binge-watch House of Cards, éprouvera de temps à autre une sensation de lenteur tant les producteurs de la série ont donné à la mise en scène une place de choix. C’est cette direction assumée qui a fait de House of Cards le rendez-vous incontournable des sériephiles et qui a contribué à hisser, ces dernières années, la série à la hauteur du cinéma.

Les dernières campagnes et élections présidentielles américaines et françaises ont eu un impact important sur les pratiques politiques et médiatiques. Elles auront sans doute marqué d’une façon ou d’une autre le spectateur. Peut-on regarder une fiction politique sans s’intéresser à la politique ? Trump, comme Macron, a su tirer parti des médias, des crises diverses, de l’extrême-droite et du terrorisme. Autant de facteurs à l’origine de la peur que certains cherchent à entretenir comme on ravive un feu qui éclaire, qui réchauffe mais qui peut aussi brûler et détruire. Le temps qui passe différemment selon la place qu’on occupe au sein de la pyramide hiérarchique n’a jamais été aussi relatif. C’est ce défi que les scénaristes ont tenté de relever afin d’enraciner une série dans laquelle les thématiques abordées se font l’écho de celles qui noircissent les pages nos journaux. À l’instar des tragédies shakespeariennes dont elle est l’héritière, House of Cards est une œuvre à considérer dans son ensemble, un divertissement cynique —parfois grotesque, facile ou cliché — entre les lignes duquel il faut savoir lire afin d’y déceler, pourquoi pas, un avertissement, une mise en garde.

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