Gros plan sur Série Series – Mutations et tendances du paysage audiovisuel mondial

Fontainebleau est en quelque sorte la capitale de la série en cette dernière semaine du mois de Juin. Du 28 au 30, colloques, débats et projections s’enchaînent pour nous dévoiler tout le dynamisme d’une création audiovisuelle en plein boom aussi bien en Europe qu’à travers le monde entier.

Le coup d’envoi de cette manifestation a été donnée hier par une conférence Mediametrie – Eurodata TV Worldwide, proposée par Abed Laraqui. L’occasion de découvrir les tendances actuelles, les chiffres-clés et les stratégies à l’oeuvre dans le monde des séries actuellement.

Désirs de fiction et exportation, un marché globalisé

Première constatation : la fiction reste l’une des catégories de programmes les plus plébiscitées dans le monde. L’Europe de l’Ouest et l’Asie se caractérisent notamment par leur très fort appétit de fiction. Les séries trustent les premières places des top 10 des audiences dans la plupart des pays de ces régions du monde. Sur 78 pays dont l’audience est mesurée par Médiamétrie, 43% des meilleures audiences sont faites par la fiction. Malgré le pic de production atteint par la fiction, le désir d’histoires semble rester une constante, voire même connaitre une véritable augmentation.

Au niveau des genres fictionnels, les tendances se poursuivent autour du drama fortement plébiscité notamment face aux soaps ou telenovela ainsi qu’au détriment des comédies. 70% des meilleures audiences dans le monde sont représentées par des dramas dont une bonne moitié de fictions policières. La mode du polar ne semble pas prêt de se tarir.

Contrairement à ce que certaines idées reçues pourraient laisser penser, le paysage fictionnel est loin d’avoir été conquis par les USA. Au contraire même, l’Europe de l’Ouest connait une vague de croissance de sa production locale, une augmentation de 12% au Royaume-Uni et jusqu’à 41% en Espagne. Les créations locales sont fortement plébiscitées quel que soit le territoire. En moyenne, 7 séries sur les 10 meilleures audiences d’un pays sont représentées par des créations locales.  La culture reste un domaine fortement marqué par les traditions, les habitudes et les codes nationaux.

Uttaran

En parallèle, une autre tendance apparaît concernant le marché des exportations. La Turquie, la Russie et l’Inde deviennent très rapidement des poids lourds de l’exportation de fiction dans le monde. Uttaran, soap opera indien, connait un véritable triomphe à l’export. La série a notamment été diffusée en Serbie, en Indonésie ou en Lituanie, et a été jusqu’à battre des records d’audience en Arménie. Broken Pieces, drame familial produit en Turquie, a connu également un fort beau succès en Europe de l’est et notamment en Albanie et en Croatie.

Croisement culturel étonnant, Stairway to Heaven, fiction russe romantique adaptée d’une série coréenne, a réussi à conquérir le marché asiatique. Codes culturels croisés et histoire universelle peuvent repousser les frontières.

Stairway to Heaven

Tendances éditoriales et questions de société

Les problématiques sociales qui agitent notre quotidien connaissent une forte résonance dans le monde des séries. Les sujets qui nous préoccupent inspirent les créateurs qui reflètent ainsi nos angoisses et nos espérances dans leurs écrits.

Première tendance : la question des diversités culturelles et des chocs qui se produisent entre des mondes ayant bien des difficultés à se comprendre. Un sujet incarné notamment par la crise migratoire. Sujet douloureux abordé par Eden, première coproduction Arte France et Allemagne, donnant à voir un regard pluriel et européen sur ce drame ô combien d’actualité. Un thème également traité en Italie, pays en première ligne des drames humains vécus par les migrants, avec la série I Fantasmi di Portopolo sur RAI 1.

I Fantasmi di Portopalo

La question de la diversité culturelle peut également connaitre un traitement humoristique, tel que l’a osé Nesbo, série israélienne diffusée sur Channel 2. Cette comédie satirique dénonce les préjugés et le racisme ordinaire en nous contant le quotidien parfois un brin compliqué d’un couple formé d’un juif Éthiopien marié avec une juive caucasienne.

Prolongeant cette problématique des diversités culturelles, la question du vivre ensemble et des préjugés affectant nos sociétés traverse également l’écriture des séries anglo-saxonnes. C’est le cas de Seven Seconds, création Netflix USA fortement inspirée de l’affaire Trayvon Martin et des tensions raciales ayant récemment ébranlé les Etats-Unis. Traitant du thème des brutalités policières, la série ose adresser une situation toujours très sensible pour la société américaine.

Ackley Bridge

En Angleterre, la série Black Earth Rising, coproduction BBC/Netflix examine la relation de l’Afrique contemporaine avec l’Occident à travers le prisme d’une famille noire anglo-américaine. Toujours en Grande Bretagne, Ackley Bridge dessine les difficultés du vivre ensemble à travers le portrait d’une petite ville confrontée à la fusion de deux écoles aux populations totalement opposées. La série de Channel 4 montre la confrontation entre une communauté musulmane plutôt traditionaliste et une communauté british très populaire. Un récit sur le dépassement des préjugés vu depuis un regard adolescent pour une dramédie toute en sensibilité.

L’émancipation des femmes semble également devenir une source d’inspiration très forte pour les créateurs de séries. Un sujet illustré par exemple par le portrait de femmes se retrouvant seules face à l’adversité, contraintes de surmonter les obstacles envers et contre tout. C’est le cas de Best For, sitcom norvégienne dans laquelle l’héroïne perd tout et se voit contrainte de tout recommencer de zéro. Un principe qui n’est pas très loin de celui d’American Woman, série Spike TV nous contant l’histoire d’une femme trahie par son mari, recherchant l’épanouissement et une liberté retrouvée tout en élevant seule ses enfants. Série vintage, elle devrait aussi permettre de revenir sur l’histoire des mouvements féministes en abordant la situation des femmes dans les années 70.

American Woman

L’histoire de la lutte pour les droits des femmes c’est aussi le sujet de Las Chicas del Cable, production de la filiale espagnole de Netflix. Récit de la vie d’opératrices téléphoniques dans les années 20, cette série se présente comme une sorte de Mad Men féminin traitant des premiers mouvements féministes, d’oppression masculine et de revendications de liberté et d’égalité.

Une lutte qui se décline également sous la forme de fictions politiques tels qu’Ingobernable, création Netflix Mexique ou Presidente en Finlande. Inspiré de faits réels, la série mexicaine nous conte le destin de la première dame du Mexique luttant contre un monde politique gangrené par la corruption. La série finlandaise quant à elle ne s’intéresse pas tant à une figure de leader féminin qu’à une classe politique tout entière et à un gouvernement composé presque exclusivement de femmes. Un renversement des rôles efficace pour une remise en cause du machisme ordinaire dans le monde politique.

Ingobernable

Citons également Brown Girls, web série achetée par HBO qui se propose de donner à voir des figures de femmes différentes de ce que la majorité des productions nous donnent à voir en donnant la parole à des femmes de différentes origines, de couleurs et lesbiennes pour un récit d’amitié et d’humour dans la droite lignée de Girls ou d’Insecure. Une illustration aussi qu’il n’existe pas un point de vue féminin mais bien des regards différents qui doivent s’exprimer dans toute leur diversité.

Brown Girls

Les questions sociales sont aussi des sources d’inspiration pour les fictions abordant la question de la lutte pour des droits, contre la discrimination, pour le choix de mettre fin à ses jours ou encore pour la reconnaissance du statut de victimes.

C’est le cas de Fiertés production Arte revenant sur plus de 30 de luttes contre l’homophobie et pour les droits LGBT depuis les années Mitterrand jusqu’aux plus récentes batailles pour la légalisation du mariage gay.

Mary Kills People, série canadienne aborde quant à elle le sujet de l’euthanasie en dressant le portrait d’une médecin œuvrant dans le plus grand secret à aider les patients qui le souhaitent à mettre fin à leurs souffrances.

Mary Kills People

Enfin citons Three Girls, drame de la BBC retraçant l’histoire vraie d’un viol collectif sur trois adolescentes qui avait ébranlé une petite ville anglaise dans ses certitudes comme dans ses faux semblants. La série relate la lutte menée par ces jeunes filles pour voir reconnaître le viol comme tel et leur souffrance face à une communauté qui ne peut assumer le traumatisme ce qui s’est passé.

Three Girls

Dernier volet des problématiques sociales inspirant la création, la question de l’entraide et de la solidarité constitue une voie d’espoir développée par plusieurs nouvelles séries.

On peut citer notamment Les Bracelets rouges, nouveauté TF1 adaptée d’un concept d’origine espagnole. Cette série médicale pas comme les autres invite à voir la maladie depuis le point de vue des patients et de leur quotidien. Une série empreinte d’humanité dans la lignée de Patients de Grand Corps Malade et Mehdi Idir.

 Stratégies multi-écrans et mutations de consommation audiovisuelle

Contrairement à certaines prédictions, il semble que la consommation de TV par le biais classique du poste familial est encore loin de devenir le vestige d’une époque passée. La consommation de programmes via ce biais reste encore forte à travers le monde. En moyenne un individu passe toujours plus de 3h par jour devant son poste. La moyenne française s’établit même à 3h43. Chiffre en recul par contre pour les jeunes générations entre 15 et 34 ans : pour cette catégorie d’âge, la consommation s’établira en général autour d’1h de moins, avec 2h de programmes TV visionnés par jour. On est loin de la désertion annoncée !

Dans le même temps les pratiques évoluent et l’usage de la TV online par multi-écrans se démocratise. En décembre 2016, en France, 1 personne sur 5 déclarait avoir regardé au moins un programme TV sur un autre écran que le poste traditionnel au cours du dernier mois. Une évolution des pratiques qui semble varier sensiblement en fonction de l’âge des téléspectateurs. Aux Pays Bas, les spectateurs de la catégorie d’âge 15-34 ans représentent 15% des audiences de la TV familiale traditionnelle. Par contre, sur l’usage multi-écrans en replay et online, ils représentent 50% des utilisateurs. Un basculement semble donc s’opérer dans les pratiques de visionnage de programmes. Les jeunes générations conserveront-ils cette différence de pratique par rapport à leurs aînés, jusqu’à faire transformer totalement la question de l’audience ? La possibilité existe bel et bien et devra être observée de très près.

La mesure des audiences ne peut en tout cas faire l’impasse sur la pluralité des modes de consommation. Elle s’élargit de plus en plus à la prise en compte des usages multi-écrans avec le calcul de l’audience consolidée par plateformes de replay. Un usage qui montre déjà qu’il peut entraîner des variations importantes d’audiences par rapport aux mesures traditionnelles. La fiction est concernée au premier plan par l’évolution des pratiques. En France, 49% des contenus visionnés en ligne sont des œuvres de fictions. En moyenne, une série est regardée 2 fois plus que n’importe quel autre genre mis à disposition sur une plateforme. Les chiffres par support reflètent également des tendances. 52% des spectateurs de séries par voie online utilisent un ordinateur fixe ou portable pour consommer leurs séries, 30% utilisent une tablette et 18% seulement utilisent un smartphone. Le téléphone reste un média marginal pour la vidéo mais reste un terrain d’expérimentation en croissance investis par des acteurs aux stratégies originales tels Studio +.

Studio +

Au niveau de la mesure des audiences on observe déjà l’impact de cette consommation multi-écrans. En Suède par exemple, la série américaine Homeland y a connu une très forte hausse de 20% de son audience en prenant en compte les audiences consolidées sur tous les écrans utilisables. Des programmes aussi variés que le thriller Rebecka Martinson ou le récit familial Bonusfamiljen ont eux aussi connu une forte hausse de l’audience avec un différentiel de plusieurs dizaines de milliers de spectateurs constaté grâce aux multi-écrans. De fortes variations qui pourraient bien avoir un impact économique sur la création en permettant le développement de plateforme online de qualité pour l’exploitation des séries.

Homeland

Prendre en compte l’évolution des usages c’est aussi pour un diffuseur adapter sa stratégie de diffusion aux nouveaux moyens mis à sa disposition. Notamment en prenant en compte le temps avant la diffusion broadcast. C’est l’idée d’une complémentarité multi-écrans pensée comme une sorte d’avant première, de premier aperçu avant la grande diffusion traditionnelle avec par exemple la mise à disposition du premier épisode sur un service de replay une ou plusieurs semaines avant la diffusion broadcast. Une manière d’accrocher le spectateur avant la diffusion générale. C’est la stratégie choisie par TF1 qui applique désormais systématiquement cette idée en proposant online les pilotes de ses nouvelles séries une semaine avant diffusion. L’impact sur les audiences de la TV classique est nul, les audiences ne sont pas cannibalisées, le but étant de teaser une nouvelle saison sans remplacer la diffusion traditionnelle.

Hassel

Autre stratégie, autre dispositif, la diffusion partagée SVOD + TV. C’est le cas du nouveau polar de NRK, Hassel. La série est diffusée d’abord en SVOD puis en TV gratuite quelques mois plus tard. C’est une stratégie de l’exclusivité temporaire pour une coproduction reposant à part égale sur l’antenne et sur la plateforme de vidéo à la demande. Une stratégie qui permet de mutualiser les coûts sans pour autant s’adresser au même public. La cannibalisation des audiences est évitée en permettant au contraire de s’adresser à des segments différents du public aux usages complémentaires. Une façon de récupérer la dispersion du public en pensant dès le début une chronologie des médias ciblant ces différentes catégories.

Pour accompagner le lancement d’une série ou prolonger l’univers et l’expérience de visionnage la stratégie online peut aussi devenir transmedia en créant une fiction complément de la diffusion TV. C’est le cas du spin off web, vignettes ou véritables mini séries pensées comme un nouveau regard sur un univers que l’on a appris à connaitre à la télévision. Une manière de renforcer l’attachement des fans de la série voire d’attirer un nouveau public plus habitué aux courtes vidéos youtube.

De telles stratégies ont été menées notamment par TF1 avec Sam Stress spin off de Sam en forme de chronique de youtubers ou Scandal Gladiator Wanted, spin off exclusivement online par ABC. De la fiction familiale à l’intrigue politique et judiciaire, tous les genres peuvent connaitre une telle déclinaison pour mieux cibler les jeunes générations férues de zapping online.

Sam Stress

La prise en compte des usages multi-écrans par les diffuseurs concerne également la dimension marketing et promotion des séries broadcast. Menées en particulier sur les réseaux sociaux, ces stratégies marketing reposent sur l’utilisation de l’image des séries en tant que marques. C’est le sens de la dernière campagne menée par Canal + pour sa série Versailles sur Snapchat. En mettant à disposition des filtres photographiques inspirées des personnages historiques et de la cour de Louis XIV, le diffuseur poursuit une volonté de rajeunir son audience en séduisant les adolescents, premier public de Snapchat. Autre réseau social autres mœurs, avec la stratégie marketing sur Twitter menée par Netflix Espagne pour Chicas del Cable. Une vidéo de quelques minutes diffusée sur Twitter au cours de l’Eurovision parodiant les votes téléphoniques du concours de chant avec d’anciennes participantes le tout se déroulant dans l’univers de la série devenait en quelques instants virale en déchaînant moult commentaires et réactions en masse. Le multi-écrans ici acquiert une dimension d’accompagnement immédiat de la consommation TV. On s’adresse ici aux usages simultanés, autre pratique de plus en plus fréquentes de spectateurs ultra connectés.

Le paysage audiovisuel connait rapidement de très fortes évolutions. Pour les diffuseurs, l’enjeu tient à ne pas passer à côté de ces transformations mais à s’en servir pour récupérer une audience beaucoup plus dispersée qu’au cours des précédentes décennies. Loin d’être un facteur d’angoisse, ces mutations pourraient au contraire devenir les ressorts d’une nouvelle créativité et d’un renouveau des formes et des récits.

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