Semaine d’un sériephile (82) : Les séries Netflix sont-elles toujours incontournables ?

Avec les succès critiques et publics de House of Cards, Orange is the New Black, Sense8 ou encore des séries Marvel produites par Netflix, le label rouge de la plateforme de SVOD semblait être devenu un gage assuré si ce n’est de chefs d’œuvres tout au moins de belles découvertes. Est-ce toujours le cas ? Avec une production de plus en plus prolifique, de Flaked à Girlboss en passant par Dear White People, la firme de Reed Hastings dégaine les nouveautés à un rythme soutenu n’ayant rien à envier aux plus prestigieux des networks. Parvient-elle toujours à créer la surprise ? Tentons une réponse en nous penchant sur trois nouveautés made in Netflix lancées ces derniers mois : Glow, Gypsy et Friends from College.

Glow, collants fluo et condition de la femme.

Disponible sur Netflix depuis le mois de juin dernier, Glow (Gorgeous Ladies Of Wresling) tire son inspiration d’un documentaire éponyme ayant pour sujet la première fédération de catch 100 % féminine aux Etats-Unis pour une expérience de télévision totalement déjantée mélangeant esthétique pop, personnages hauts en couleurs et storylines de cartoon. Un sujet pour le moins étonnant qui a éveillé l’inspiration des scénaristes Liz Flahive et Carly Mensch dans une perspective non moins originale, celle de parler par ce biais des femmes dans la société américaine des années 80.

A mille lieues de l’image de la bimbo bodybuildée souvent associée au catch, Glow nous conte l’histoire de femmes profondément normales rencontrant des problématiques que chacun de nous est susceptible de connaître. Perte de repères, doutes sur l’avenir, baby blues, infidélité,… Le quotidien avec toutes ses petites déceptions s’invite sur le ring.

Ruth (Alison Brie), l’une des personnalités les plus mises en avant dans cette première saison, est une actrice au chômage galérant de casting en casting à la recherche du rôle qui fera décoller sa carrière. Debbie (Betty Gilpin), son ancienne meilleure amie est quant à elle une ancienne actrice de soap opera ayant tout abandonné pour mener une vie de famille avec un mari qui ne l’aime manifestement plus. Rien ne prédestine ces femmes à monter sur le ring, pas plus d’ailleurs que la plupart des autres personnalités composant cette troupe d’artistes pas comme les autres. Pourtant, à travers la construction d’un absurde show kitsch et foutraque, elles vont toutes avoir là l’occasion de sortir de leur quotidien morose pour entrer dans un autre monde.

Les créatrices de la série le montrent très clairement, il y a quelque chose de l’ordre de l’enfance dans le catch. On joue à un jeu. On fait semblant de croire. Non seulement aux coups portés mais aussi aux personnages volontairement caricaturaux. Un jeu partagé entre spectateurs et acteurs où il existe de gentils héros et des vilains à terrasser comme dans un conte. C’est là le premier apprentissage de cette série. Sam Sylvia (Marc Maron), le réalisateur de séries B au bout du rouleau chargé de mettre en scène l’émission de catch Glow, présente au départ le show comme quelque chose de racoleur (« porn you can watch with your kids, finally ! »); pourtant ce qui va advenir de la création de ce spectacle ressemble au final beaucoup plus à un retour en enfance. Réunies dans un hôtel pour pouvoir s’entraîner 7 jours sur 7, Ruth, Rhonda, Cherry et les autres adoptent un mode de vie semblable à une colonie de vacances. Elles sortent de leurs vies et de leurs problèmes pour se fondre dans la sororité du groupe et jouer à devenir d’improbables caricatures. Le principe même rappelle tout autant celui d’une troupe de théâtre et illustre ainsi la pluralité du métier de comédien jusque dans ses plus extrêmes incarnations.

La série se joue d’ailleurs des stéréotypes et des caricatures véhiculés par le catch. Pour devenir des personnages, nos héroïnes se retrouvent à incarner des rôles à la limite de l’offense raciale ou sociale. Le pire étant sans doute porté par Arthie (Sunita Mani) devant jouer les terroristes islamistes ou par Tamme (Kia Stevens) incarnant les pires fantasmes reaganiens sous le nom de Welfare Queen, alias la reine des allocs… L’enfer suprême ? Ce serait le cas si les actrices et le metteur en scène du spectacle n’en faisaient pas des éléments ironiques, voire des critiques des préjugés et des stéréotypes affligeant la société des années 80.

Glow parle aussi de revanche. De la manière dont ces femmes vont montrer qu’elles peuvent faire fonctionner un divertissement jusqu’alors réservé aux hommes. En le rendant d’ailleurs au passage peut-être plus subversif et plus subtil qu’il ne l’était jusqu’à présent. Mais aussi de la façon dont ces personnages de marginales veulent prendre leur revanche par rapport à l’industrie du show biz hollywoodien. Nous ne correspondons pas aux codes et aux moules étriqués que vous avez conçus ? Et bien nous allons vous montrer ce dont nous sommes capables.

Parvenant à montrer à la fois l’ambiguïté d’une situation où les décideurs d’un show au cast 100% féminin sont bel et bien tous des hommes et la catharsis libératoire d’un défoulement déjanté, Glow est un OVNI pour le moins surprenant. Si tout n’est pas parfait, le rythme des premiers épisodes et le démarrage général de l’intrigue étant notamment assez rébarbatif au premier abord, les défauts méritent d’être surmontés. La série ne constituera peut être pas le blockbuster de l’année qui nous accrochera comme aucun autre mais son intelligence la fait véritablement sortir du lot.

Gypsy, thriller-mélo psychologico contemplatif.

Traitée dans une optique totalement différente, cette nouveauté Netflix aurait tout aussi bien pu être le prochain Woody Allen. L’histoire qui nous est contée ici repose sur la curiosité un peu trop poussée d’une psychanalyste se mettant à vouloir découvrir l’envers du décor de ses patients en rencontrant les êtres dont on ne cesse de lui parler. Le tout dans une exploration de la limite vacillante entre ce que l’on est et ce que l’on pourrait être. Un concept alléchant qui aurait pu sans nul doute être traité avec légèreté et humour par Woody Allen mais qui, loin s’en faut, prend ici des allures de Shame voire de Eyes Wide Shut sous la plume de la créatrice Lisa Rubin.

Jean Holloway (Naomi Watts) a apparemment tout pour être heureuse. Un mari aimant (Billy Crudup), une petite fille adorable, un métier dans lequel elle semble s’épanouir totalement et même une certaine prospérité plutôt plaisante. Et pourtant, quelque chose semble lui manquer. Sa vie trop réglée, trop tracée d’avance pourrait bien être trop parfaite et se muer en un étouffant carcan. Par son travail de psychothérapeute elle écoute et conseille des personnalités très différentes qui sont autant de fenêtres sur d’autres vies, d’autres choix, parfois aux antipodes des siens. Des histoires de vies qu’elle a jusqu’alors tenues à distance mais qui vont exercer peu à peu sur elle une inexorable tentation. Comment sont ces gens dont ses patients se plaignent constamment ? Comment vivent-ils ? Correspondent-ils à ce qu’on lui dépeint en entretien ? La ligne ne demande plus qu’à être franchie et Jean Holloway se mue bientôt en Diana Hart, une double identité pour découvrir d’un peu plus près les proches de ceux qu’elle essaie d’aider.

Le côté bon samaritain aidant ses patients en s’immisçant dans leurs vies s’efface bien vite face à des considérations d’un tout autre ordre. En rencontrant Sidney « Sid » Pierce (Sophie Cookson), une jeune femme qui obsède littéralement l’un de ses patients, Jean se retrouve confrontée au même trouble que la personne qu’elle était censée aider. Avec son fantasme absolu d’une liberté qui lui échappe, Jean développe une irrépressible attirance pour Sid. Entre sensualité, culpabilité et obsession, Lisa Rubin transforme la relation entre ses deux personnages en un rapport toxique fait de manipulations, de mensonges et de projections idéalisées. Une double vie se noue qui peut rappeler par ses interdits les Shame ou Eyes Wide Shut précédemment évoqués.

Gypsy attire par son concept en abordant la difficile question de l’insatisfaction. Qu’est-ce qui crée le contentement ? Ne se demande-t-on jamais que se serait-il passé si l’on avait fait d’autres choix ? Le sujet pourrait être fascinant. Hélas, au final toutes ses promesses se retrouvent diluées dans un récit qui nous endort peu à peu avec une lente répétition des mêmes dilemmes et des mêmes doutes. Les choix et les actions de Jean peinent à convaincre dès le début par la nonchalance et le flottement total du personnage. On ne sent que peu les motivations qui animent le personnage. L’insatisfaction s’incarne surtout chez elle par un semblant d’ennui. Plus qu’un mal-être, on a la sensation que Jean ressent surtout de gros doutes sur la meilleure façon d’employer ses soirées. Difficile dans ces conditions de s’attacher outre mesure à un personnage si peu incarné qu’il en deviendrait presque agaçant.

Que dire aussi du semblant de suspense qui peine à se mettre en place ? L’accroche d’une partie des épisodes repose sur le danger que la double vie de Jean soit découverte, que ce soit par Michael, son mari ou par Sid. Ce risque repose sur deux facteurs, la gestion du temps et les mensonges de Jean. Le problème c’est que dans ces deux dimensions, on peine sacrément à croire à la plausibilité de la situation. Le temps passe terriblement lentement dans l’univers de Gypsy, il semble se diluer pour permettre à Jean de faire une soirée avec son mari, d’aller voir ses potes puis d’aller flirter en boîte de nuit et ce sans aucun souci de timing, dans la décontraction la plus totale. Un aspect qui est aussi renforcé par la crédulité de Michael. Pas besoin de mensonges élaborés, le brave garçon ne s’inquiète de rien. A peine un léger froncement de sourcils et hop, Michael retourne à sa bonhomie naturelle ou à son propre demi flirt avec son assistante. Résultat, nous nous retrouvons avec des personnages peu charismatiques, vivant des situations peu captivantes, le tout avec un rythme très lent. Pour un thriller la recette commence vite à devenir indigeste.

Dommage, le sujet et l’intrigue auraient sans doute constitué les bons ingrédients pour un film resserré d’1h30/2h. Étalées sur 10 épisodes de 50 minutes, les pièces du puzzle ne tiennent plus et l’on peine à se prendre au jeu de cette double vie. Trop de temps tue le temps ? Dans le cas de Gypsy probablement.

Friends from College, le nouveau groupe de potes à suivre ?

Le genre de la série comique où l’on suit une troupe d’amis dans leur vie quotidienne a été considérablement exploré. De Friends à Girls en passant par How I met Your Mother, les créations de qualité se sont multipliées pour nous faire voir l’amitié sous tous les angles possibles. Difficile aujourd’hui pour une série d’arriver dans ce paysage avec une nouvelle promesse véritablement originale et accrocheuse. C’est pourtant ce qu’ont tenté Nicholas Stoller (créateur de Sans Sarah rien ne va ou Nos Pires Voisins) et Francesca Delbanco. Pari réussi ?

L’originalité de Friends from College repose peut-être avant tout dans son ancrage social. Le groupe que nous suivons ne s’est pas rencontré sur les bancs de n’importe quelle fac, tous sont issus de la prestigieuse université d’Harvard. Tous ont d’ailleurs plutôt bien réussi leur vies et évoluent aujourd’hui dans un monde de CSP+ voire ++ pour quelques-uns d’entre eux. Il en ressort que leurs problématiques ne seront pas tout à fait les mêmes que Girls ou Seinfeld. Pourquoi pas mais cette situation reste malgré tout plus un cadre qu’autre chose dans cette première saison. La catégorie sociale n’est que peu exploitée en termes d’intrigues ou d’objectifs particuliers. Dommage, il aurait pu être amusant de voir une série jouant cette carte jusqu’au bout.

Mais au fait que nous raconte Friends from College ? L’intrigue prend comme point de départ le déménagement du couple formé par Lisa (Cobie Smulders) et Ethan (Keegan-Michael Key) à New York au plus près de tous leurs anciens amis d’études. L’occasion de renouer d’anciens liens mais aussi de provoquer un rapprochement compliqué entre Ethan et Sam Delmonico (Annie Parisse), une fille de la bande avec qui Ethan entretient une liaison depuis de très nombreuses années. Ajoutons également à ce vaudeville les difficultés d’un auteur à changer de cible éditoriale et nous avons là les deux principales lignes de cette première saison, en plus des inévitables réconciliations et conflits d’une bande d’amis en pleines retrouvailles.

La deuxième originalité de Friends from College repose sur la personnalité de ses personnages. En un mot, ils sont insupportables. Autocentrés, geignards, immatures et lourdingues, ils représentent à eux tous un enfer complet. On a très vite le sentiment que Stoller et Delbanco ont voulu montrer des personnages en pleine névrose au summum de l’hystérie, sombrant sans retenue et avec joie dans la caricature la plus totale. L’effort est louable pour nous faire rire mais l’indigestion n’est jamais bien loin. Aucune subtilité au menu, les répliques, les mimiques, tout est poussé sans retenue pour déclencher l’hilarité. Qu’obtient-on au final ? Des personnages que l’on supporterait à peine s’ils étaient assis à côté de nous au restaurant mais que l’on ne pourra absolument pas souffrir en série.

La série touche au problème des archétypes et des antihéros. Ce sont souvent eux qui ont marqué l’histoire des séries récentes, que ce soit dans le drame que dans la comédie. On se souvient mille fois plus des répliques de Barney Stinson que de Ted dans How I Met, c’est certain. Le problème c’est que même si Barney se définissait par ses défauts et était tout sauf un héros classique, il parvenait à nous toucher par l’équilibre entre son individualisme, son arrogance et la sincérité de son amitié par exemple. Dans Friends from College on se retrouve simplement avec la sensation que les personnages agissent stupidement parce qu’ils ne dépassent pas le statut de caricatures. Très embêtant pour susciter un attachement.

L’argument qui permettra pourtant à la série d’attirer un public sera sans doute son casting. Cobie Smulders, ancienne d’How I Met, Fred Savage, ancien de The Grinder ou Annie Parisse connue notamment pour Vinyl, une bonne partie du cast réveillera la nostalgie des sériephiles en leur rappelant quelques bons souvenirs. C’est un argument d’accroche qui se tient mais qui ne suffit pas à masquer le vide qui nous attend passé les premières minutes du pilote. A voir maintenant si la série parvient à donner raison au marketing en décrochant des visionnages sur la simple promesse d’être la nouvelle série « humour et amitié » avec Cobie Smulders.

Une réussite et deux séries discutables, Netflix semble bien au final se banaliser. Comme n’importe quel network, on peut trouver désormais du très bon et du très moyen sur le service de VOD. Rien de bien surprenant au final, mais un certain risque qui semble croître pour le n°1 de sa catégorie : si le pari de la diversité et de la multiplication des productions est rempli, le fait de tomber sur plusieurs séries faibles pourrait causer chez certains utilisateurs l’impression d’être trompés par la promesse commerciale de Netflix, et susciter l’envie de se désabonner… Surtout quand on y ajoute l’annulation d’autres shows plus populaires et réussis. Pour l’instant, les Emmy Awards le prouvent, la balance semble rester du côté de la qualité, mais le label on le voit aujourd’hui peut aussi décevoir. Espérons que ces quelques incidents ne se muent pas en une véritable tendance…

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