Et si on faisait un tour dans les musées ? Pour y retourner pour de bon, il faudra, selon les dernières annonces gouvernementales, attendre le 19 mai. En attendant, on peut toujours s’y rendre par le biais des séries télé. Pour la beauté de son cadre, les pratiques qu’il permet de mettre en scène, l’imaginaire qu’il colporte, les fantasmes qu’il suscite, le musée – institution qui conserve et expose le patrimoine de l’humanité – est un décor régulièrement utilisé dans nos tv show préférés. Mais, comment est-il représenté ? A quoi servent les museum scene ?
Le musée comme signe de distinction sociale
Le choix de montrer à l’écran un personnage arpenter les salles d’un musée ou absorbé dans la contemplation d’une œuvre d’art n’est pas anodin. C’est souvent une habile manière de souligner son capital financier et culturel. On sait que malgré ses ambitions de démocratisation culturelle, le musée reste un univers élitiste. Prix du ticket d’entrée, sentiment de ne pas avoir les codes ou le bagage culturel nécéssaire à l’appréciation ou la compréhension d’une visite muséale sont autant de freins pour les ouvriers non qualifiés ou les non diplômés qui sont bien moins nombreux que les cadres et les personnes diplômées à franchir le seuil de cette institution à l’image très savante. Ainsi, dans les séries, qui renvoient un certain reflet de notre société, le musée constitue un arrière-plan idéal pour faire se mouvoir des personnages appartenant aux hautes sphères. Qu’ont en commun Franklin Reinhardt, financier décrépi de The undoing (2020) et Blair Waldorf de Gossip Girl (S4E1, 2010), représentante de la jeunesse dorée de l’Upper East Side, outre le fait d’être tous deux new-yorkais et pétés de thunes ? Ils se sentent au musée comme chez eux et peuvent passer des journées assis face à la même toile (Turner pour l’un, Manet pour l’autre). Franklin a fait de la Frick collection l’antichambre de son luxueux appartement : c’est dans les salons feutrés de ce musée qui jouxte Central Park (au caractère volontairement « intimiste » au point que les enfants n’y sont pas admis !) qu’il organise ses petites entrevues avec ses proches. Blair, de passage à Paris, a élu domicile au Musée d’Orsay. Elle ne manquera pas de s’y faire entreprendre par un prince monégasque (rien que ça) ce qui conforte le musée dans un rôle souvent exploré par les séries : celui de lieu de drague pour les gens cultivés qui peuvent y étaler leur science, leur gout, leur sensibilité. Dans Engrenages (S5E5, 2005), le musée Gustave Moreau, charmant atelier d’artiste du IXe arrondissement parisien tapissé de peintures symbolistes riches en corps dénudés, est le territoire de séduction d’un homme d’affaire et d’un conseiller ministériel qui aiment y promener leurs jeunes conquêtes étudiantes.
Pas de doute, le musée s’affiche à l’écran comme un espace de sociabilité extrêmement sélect. C’est encore plus vrai quand il se fait le cadre de soirées privées. Les institutions muséales, soucieuses de diversifier leurs sources de revenus, ont pour habitude de louer leurs espaces pour des événements. Une offre très appréciée par les entreprises, pour qui le musée, à l’architecture impressionnante, est l’incarnation même du prestige… surtout vidé de ses visiteurs habituels. C’est une pratique montrée de manière réaliste dans Emily in Paris (S1E7, 2020) où le spectaculaire musée des arts forains a été privatisé par l’agence marketing « en vue » pour laquelle travaille l’héroïne afin d’accueillir le lancement d’un produit d’une grande marque de joaillerie. Une soirée où défile le gratin du luxe parisien dans un lieu aussi spectaculaire (ah les manèges anciens…) qu’instagramable. La représentation de cocktails, diners, visite-conférences, dans les musées, avec invités triés sur le volet, coupes de champagnes qui circulent, photocall et déambulation en petit comité entre les oeuvres, sont une manière efficace de montrer en images que ceux qui les fréquentent sont des privilégiés. Ainsi, dans Urgences (S7E13, 2000), un gala de bienfaisance au Muséum d’histoire naturelle de Chicago (en réalité celui du Comté de Los Angeles), où John Carter a invité Abby Lockhart, est l’occasion pour cette dernière de prendre pleinement conscience du monde extrêmement fortuné (fortune rimant souvent avec philanthropie et soutien au monde des arts aux USA) dans lequel a grandi son ami.
Mais le comble de la distinction n’est-il pas de pouvoir profiter d’un musée pour soi tout seul ? Ce fantasme de passer la nuit au musée en tête à tête avec les œuvres, a d’ailleurs pu être exploité par le biais de différents jeux concours, en partenariat avec le Louvre ou le Rijksmuseum, au cours des dernières années. Et les séries s’en font l’écho : Dans Dash and Lily (S1E6, 2020) une scène a particulièrement marqué l’esprit des téléspectateurs. Sofia offre au héros qu’elle convoite une promenade nocturne à la Morgan Library and Museum de New York, endormie et déserte. Une scène hautement improbable (jamais un musée ne laisserait volontairement des quidams, tout friqués qu’ils soient, se balader au milieu des oeuvres sans la moindre surveillance) mais qui en dit long sur le personnage : Sofia a suffisamment d’entregent et de relations pour se faire « prêter » un musée.
Le musée, un lieu à transgresser
Pour ceux qui ne peuvent pas « se payer » le musée, il faut en respecter les règles. Que serait l’institution muséale sans son cortège d’interdictions ? Ne pas toucher, ne pas franchir les cordons de sécurité, ne pas courir, ne pas téléphoner, ne pas crier, ne pas manger… telles sont les règles de base édictées pour protéger et conserver au mieux les arterfacts, anciens, précieux ou rares qui constituent les collections muséales. Ce régime qui peut être perçu comme légèrement oppressif pour les non initiés est une caractéristique bien implantée dans l’imagerie collective sur laquelle les séries adorent appuyer (petite pensée pour Leslie Knope de Parks and Recreation (S3E10, 2011) qui raconte avoir été bannie du musée de la boule à neige de Pawnee pour avoir osé – ô sacrilège – en secouer une). Evidemment tout l’intérêt d’une interdiction est de la transgresser. Chahuter le musée est un levier narratif que les séries, comme le cinéma avant elles (comment ne pas penser à cette scène culte de Bande à part ?) ont utilisé fréquemment. Souvent comme ressort humoristique où transpire le comique de situation : ainsi le défi que se lancent Barney et Robin, de How I met your mother (S6E8, 2010), de toucher/tripoter/malaxer le plus d’antiquités égyptiennes ou animaux naturalisés possibles. Ou pour montrer avec humour qu’un personnage est fondamentalement décalé. La sociopathe de Killing Eve, Villanelle (S2E4, 2019) ne serait pas ce qu’elle est (profondément anticonformiste et imperméable aux conventions) si elle avait arpenté le célèbre Rijksmuseum d’Amsterdam, avec la déférence admirative et silencieuse que l’on attend ordinairement d’une visite au musée. Non, elle préfère hurler au milieu du parcours ô combien la balade lui semble ennuyeuse (« This is so booooring ! »). Une manière de sortir des codes du musée de manière particulièrement tonitruante.
En haut de la liste des interdictions muséales pourraient figurer celle de ne pas emporter avec soi les objets exposés. Le vol est la transgression ultime qui peut revêtir des motivations quasi politiques dans l’esprit des personnages de séries qui franchissent la ligne rouge. Si les oeuvres d’art ont une valeur marchande inestimable qui attirent les convoitises, elles ont aussi une valeur symbolique incontestable. Si ces trésors ont intégré les collections muséales et traversé les siècles, c’est bien souvent grâce à leur solidité, leur préciosité et la dignité de leurs usages. Il s’agit souvent d’objets ayant appartenu à des personnes de haut rang qui peuvent, en soi, être considérés comme des emblèmes de pouvoir. Deux séries récentes ont montré comment des personnages en situation de domination économique et culturelle (issus de minorités, d’origine modeste…) ont fait main basse sur des attributs de la royauté, exposés au musée avec emphase, en rétribution de maltraitances symboliques. Dans Lupin (2021), Assane Diop dérobe au Louvre, avec le brio du gentleman cambrioleur qui est son inspirateur, une rivière de diamants ayant appartenu à la reine Marie-Antoinette. Il répare ainsi une injustice sociale, son père chauffeur sénégalais ayant été accusé à tord par son riche patron d’être l’auteur du vol du même collier. Dans le pilote de Pose (2018), un groupe de femmes trans et hommes gays racisés s’empare des costumes de cour exposés au musée de la mode et du design de New York (en vérité, le musée de Brooklyn) afin de les revêtir lors d’une battle de danse. Une manière assumée, joyeuse et militante, en phase avec le milieu du voguing des années 1980 qu’explore la série, de s’approprier et détourner joyeusement les atours et instruments de pouvoir historiques des blancs hétérosexuels.

Le musée, terrain d’enquête
Si des héros de séries enfreignent la loi, c’est le plus souvent par le prisme de ceux qui veulent élucider des affaires criminelles que les séries s’intéressent au musée. Dans nombre de fictions, policiers, détectives, experts scientifiques… enquêteurs de toutes nature sont convoqués le temps d’un épisode pour faire la lumière sur un mystère survenu au cœur de l’institution, de préférence au cœur de la nuit. C’est même un véritable classique des séries policières. La formule type est bien rodée : un cadavre d’un membre du personnel d’un musée est retrouvé gisant au milieu des salles d’exposition tandis qu’un fleuron des collections a été dérobé. Dans Castle (S4E5, 2011), un directeur de musée d’art contemporain a été empalé sur une installation et une statue critiquant le capitalisme a disparu. Dans The mentalist (S3E16, 2011), c’est un archéologue qui a été poignardé dans un muséum d’histoire naturelle tandis qu’une statuette précolombienne a été emportée. Dans RIS Police scientifique (S4E10, 2008), un artisan du Musée Grévin a reçu des coups de couteaux sous le regard impassible des mannequins de cire… Non contentes d’être très cinégéniques – dans un contexte d’exposition, les corps morts deviendraient presque des œuvres eux mêmes – les scènes post mortem au musée permettent aux enquêteurs d’exercer leurs compétences, dans un cadre inédit avec ses propres codes. C’est un vrai défi que de découvrir comment les malfrats ont déjoué les systèmes de défense d’un lieu clos, sanctuarisé et réputé inviolable aux dispositifs de sécurité extrêmement sophistiqués (alarmes, caméras de surveillance, vitrines en verre sécurisé, rondes de nuit…). Et c’est l’occasion pour les enquêteurs de passer sur le grill une faune de professionnels assez exotique, où les directrices de musées sur-sexualisées et les vieux experts à noeuds papillon sont les rois de la jungle. Parmi les poncifs des échanges entre policiers et acteurs du monde du musée, nombreuses sont les séquences où les premiers ne comprennent pas la signification des œuvres ou sont abasourdis par la hauteur de leur prix sur le marché de l’art. C’est même sur ce décalage entre le savoir et l’inculture que repose la méthode de la série L’art du crime (2017-) où un flic de la Crim parachuté à la brigade de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels doit faire équipe avec une experte en histoire de l’art pour pallier sa méconnaissance du monde de l’art. Ce duo d’enquêteurs mal assorti – combinaison classique des fictions policières – sillonne le Louvre, le musée d’Orsay ou le château d’Amboise pour élucider des crimes. Malgré des critiques mitigées, la série française très didactique a reçu un vrai succès d’audience qui confirme l’intérêt, pas démenti depuis le Da Vinci Code, du public pour les jeux de piste à travers les musées et le décodage des énigmes cachés dans les chefs d’oeuvre. Elle offre une représentation qui parle à l’inconscient collectif qui envisage volontiers le musée comme un lieu regorgeant de secrets macabres, quasi ésotérique, mais qui est très éloignée de la réalité vécue par les professionnels du milieu.
Le musée de l’intérieur, un cadre de plus en plus exploité
Si le musée fait des apparitions régulières en tant que lieu de passage pour des personnages venant de l’extérieur – qu’ils soient promeneurs, enquêteurs ou cambrioleurs – il a rarement été exploré côté coulisses, du point de vue de celles et ceux qui le font vivre au quotidien. Alors que les séries ont participé à donner de la visibilité à nombre d’environnements professionnels (l’hôpital, le cabinet d’avocat, les médias, la politique, la publicité…) l’institution muséale n’a guère eu les faveurs de la fiction télévisuelle en tant qu’univers de travail. Dans les années 1990, les créateurs de Friends ont tout de même choisi d’offrir à un de leur héros (Ross, l’intello un peu geek de la bande) la position de paléontologue au sein d’un muséum d’histoire naturelle. Un boulot relativement peu exploité durant les dix saisons que compte le show, ou alors de manière assez superficielle (Ross décore son appart avec des copies de fossiles et arbore au poignet une montre à aiguille en forme de queue de dinosaure) ou via le regard blasé et moqueur de ses potes pour qui les établissements patrimoniaux semblent symboliser le paroxysme de l’ennui. Certains séries récentes, sans doutes désireuses de s’attaquer à des univers encore sous-exploré par les fictions télévisuelles, ont récemment apporté un regard neuf sur le musée, loin des fantasmes qu’il suscite d’ordinaire. Pour ceux et celles qui s’y rendent tous les jours, l’institution muséale est un microcosme professionnel comme les autres, avec ses complexités hiérarchiques, ses problématiques relationnelles, ses enjeux de pouvoir, ses victoires et ses défaites. C’est ce que montre sans ambages Love life (2020). Surfant sur la vague des fictions naturalistes, la première saison de cette série anthologique retrace le parcours existentiel d’une jeune new-yorkaise. Initialement guide au Whitney Museum, elle se fait virer et rétrograder à la distribution d’audio-guides avant de devenir, étape après étape, commissaire d’exposition. Le traitement de cet univers ne prend cependant que peu en compte les spécificités du musée, le show étant plus intéressé par la dynamique générale d’ascension professionnelle et de gravissement des échelons (que la série entrelace étroitement avec l’évolution de la vie amoureuse de l’héroïne) que ce qui se passe vraiment dans l’établissement culturel.
C’est dans les séries qui ont choisi d’aborder les musées dans leur mission la plus essentielle et substantielle – la conservation d’une mémoire du Monde – qu’on trouvera sans doute les représentations les plus intéressantes de ce lieu. Il n’est pas étonnant les voyages spatio-temporels du Docteur Who le conduisent souvent au musée (« je pourrais être conservateur » affirme-t-il d’ailleurs dans un épisode anniversaire sorti en 2013) car c’est un endroit qui lui permet de dresser le bilan (parfois tragique) de ses actes, et de leur conséquence, et de l’état de la galaxie toute entière. Le rôle fondamental de l’institution muséale dans la construction de l’Histoire (ou des histoires) de l’humanité, a été abordé frontalement dans une sitcom très récente. Rutheford falls, dont la première saison (2021) vient d’être diffusée, explore avec humour l’action de deux amis de longue date investis dans les établissements culturels de leur petite ville de la côte Est des Etats-Unis. L’un gère le musée historique de local et se bat pour empêcher que la statue de son ancêtre qui a fondé la ville ne soit retirée de l’espace public. L’autre, d’origine amérindienne, tente de bâtir un nouveau projet culturel pour transformer le minuscule espace d’exposition dont elle a la charge en un véritable musée de la culture autochtone. La décolonisation de l’espace public, la restitution de biens culturels, les enjeux identitaires autour de la patrimonialisation, sont au coeur des débats récents. Il n’en fallait pas plus pour que la télé états-unienne, avec le talent qu’on lui connait pour absorber, digérer et recracher avec beaucoup d’humour l’actualité la plus brûlante, n’exploite ses concepts pour offrir une rare représentation du musée comme un lieu, non pas figé dans le passé, mais en co-construction permanente avec époque.

Si, de Vertigo à The square, le cinéma a proposé nombre de fictions explorant le musée dans toutes ses dimensions, l’appropriation de ce lieu par les séries est encore timide mais en progression. A l’heure où les établissements culturels se préparent – en France – à rouvrir leurs portes à un public qui en a été longtemps privé, les conservatoires d’oeuvres pourraient-il continuer d’inspirer les créateurs de séries ?
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