Midnight Mass : de l’horreur métaphysique ?

En trois séries (bientôt quatre) sorties sur Netflix, Mike Flanagan a confirmé son statut d’auteur horrifique qui détonne. Il s’est consacré ces dernières années à des adaptations plus ou moins directes de classiques de la littérature fantastique, Shirley Jackson et Henry James dans les deux saisons de The Haunting, Stephen King pour Gerald’s Game et Doctor Sleep ; avec Les Sermons de Minuit, il met en scène une histoire originale et plus personnelle que jamais (en plus de donner encore une fois un rôle crucial à sa femme Kate Siegel). Il a puisé dans son propre parcours d’ancien alcoolique une partie de l’intrigue, et laisse une place prépondérante au drame dans le récit, si bien que certains doutent : s’agit-il vraiment d’horreur ? Ce scénariste si sensible sait-il toujours nous faire peur ?

Dès le premier épisode, un personnage est hanté par des visions glaçantes, des coups sourds font vibrer la malle d’un prêtre mystérieux et charismatique, d’immenses ailes bruissent dans l’obscurité… Quand une entité assoiffée de sang décime la population de chats errants de l’île de Crockett (une coïncidence délicieuse en français), il semble clair que l’on aura affaire, comme dans tant d’autres films et séries d’horreur, à un monstre aux canines aiguisées prêt à terroriser toute une population sans défense. On a par ailleurs déjà pu voir l’union baroque, et finalement pas si contre-nature que ça, de vampirisme & christianisme dans une autre fiction horrifique : Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook. Enfin, la série s’achève sur un massacre sanguinolent qui ne laisse que peu de personnages indemnes, et ne déparerait pas des plus grands slashers. Bref, une histoire de communauté isolée dans laquelle vont se multiplier les phénomènes inexpliqués, où un monstre rôde une fois la nuit tombée et où diverses péripéties vont mener à un bain de sang : rien de moins que les conventions du genre respectées à la lettre.

😇

Après le premier épisode cependant, l’action dévie de cette tradition sur laquelle elle semble être fondée et l’effroi passe souvent au second plan du récit. La durée des épisodes est dévolue à de longs dialogues et monologues en plans séquences plus qu’à des jumpscares ou des traques haletantes. Le Nosferatu local se contente alors de pointer le bout de son nez de temps à autre dans un coin de fenêtre, comme s’il devait rappeler sa présence entre deux explorations du rapport à la foi et du passé mouvementé des différents personnages. Il s’efface presque face à d’autres antagonistes plus nuancés et nettement plus volubiles, un prêtre mégalo aux ambitions naïves et la dévote la plus zélée de sa paroisse. La série n’opère pas pour autant un retournement sartrien de type “le vrai monstre c’est les autres”, subversion vue dans nombre de films fantastiques et d’horreur : le vrai monstre est bien le monstre qui, patient, détaché, boufferait si on lui en laissait l’opportunité l’intégralité des êtres vivants. S’il ne fait acte de présence qu’à la fin de la saison, c’est parce que l’horreur pratiquée par Mike Flanagan n’a pas vraiment besoin de lui.

L’importance explicite de la religion dans ces Sermons de minuit, depuis les titres d’épisodes tirés de la Bible jusqu’à la bande-son faite d’hymnes, a encouragé certains à parler d’horreur métaphysique. Les croyances des personnages et le dogme chrétien, dans lequel a été élevé Mike Flanagan et dont il a voulu rendre compte, ont en effet nécessairement une importance capitale tant pour le contexte des rapports entre les membres de cette congrégation maudite (fils prodigue, agneau sacrificiel et anathèmes compris) que pour les motifs liturgiques incontournables (“buvez-en tous, car ceci est mon sang…”). La spiritualité corrompue qui a fait advenir le monstre n’empêche cependant pas l’identification de spectateur.ices athées, car les soucis les plus pressants de ces fidèles aveuglés sont somme toute universels, entre sentiment de culpabilité et regrets, discriminations et incompréhensions. Comme toujours dans la filmographie de Mike Flanagan, le surnaturel est l’expression littérale de pulsions et névroses humaines. Les protagonistes sont hantés, broyés par des expériences dont le récit et les conséquences angoissent autant que la menace d’une créature sanguinaire, et y trouvent d’ailleurs une extension toute naturelle. L’une des raisons supposées de la constitution des religions, ainsi que la justification qui entraîne une partie de l’île à des actes d’une violence innommable, est la peur de la mort et de ses adjudants (maladie, handicap, vieillesse). Or le sang du vampire – même s’il n’est jamais nommé ainsi – a des vertus curatives incroyables, dont l’effet secondaire est de rendre vampires, évidemment, celleux qui meurent après l’avoir consommé (flashback de la drogue V dans True Blood mais version vin de messe). Un prêtre moribond ne peut résister à la tentation d’une nouvelle jeunesse, des proches résignés n’iront pas contester le rétablissement inespéré d’une vieille femme sénile et diminuée, la communauté toute entière se réjouit du miracle d’une adolescente qui retrouve l’usage de ses jambes : l’enfer est pavé de bonnes et pieuses intentions, et les habitants de Crockett se voilent la face avec entrain quand on leur montre une voie concrète vers le salut éternel. Pour citer un évangile, il est malaisé de leur jeter la première pierre.

Cherche soutane XXL pour monstre immortel

On peut imaginer que Mike Flanagan a davantage cherché à horrifier son audience avec de telles implacables réalisations, qu’avec un monstre muet et indifférent qui en est le simple catalyseur. Ce sont les apôtres humains de ce monstre qui, béatement dans l’erreur, convaincus d’avoir raison, sont coupables d’une tuerie de masse, et il n’est pas certain alors même que la volonté de leur sinistre “ange” soit faite. Le vrai, ou l’autre monstre est-il alors en chacun de nous ? Potentiellement, semble affirmer la facilité avec laquelle se propage cette chimère. L’un des rares sceptiques, Riley Flynn (s’agit-il d’un clin d’œil à l’amant d’une célèbre tueuse de vampires ?…), l’est sûrement car, alcoolique repenti responsable d’un homicide involontaire, il sait que l’on inflige aisément des souffrances aux autres sans l’avoir souhaité. Il lutte avec sa propre situation cauchemardesque, et avec la tendance erronée de voir dans ses propres manquements des démons qu’il suffirait de vaincre pour en être tiré. Plus que le jeu de massacre qu’illustrent les deux derniers épisodes, c’est sa mort qui est la plus déchirante de la série : un suicide assumé, inéluctable, cathartique et traumatisant à la fois parce qu’il résonne en tant que possible rédemption et terrible gâchis. L’horreur métaphysique dépasse alors les abominations commises au nom du divin pour englober l’absurdité et la vanité de nos existences entières, entre l’agonie ingrate de l’ivrogne du village qui venait d’amorcer une réhabilitation impossible et le sacrifice volontaire de Riley, qui errait sans but depuis sa sortie de prison. La perspective décourageante de retourner à la poussière – ici, à la cendre – est infusée d’un soupçon d’espoir cosmologique quand l’amour de jeunesse de Riley – Erin, interprétée par Kate Siegel – réussit à s’émerveiller de son propre funeste sort : elle a perdu le bébé qu’elle attendait avec impatience parce que l’immortalité promise par le sang du monstre ne pouvait se conjuguer avec une gestation, et perçoit ainsi avec acuité la beauté d’appartenir à un cycle d’atomes en mouvement qui garantit autant de naissances que de disparitions. Sermons de Minuit peut bien nous offrir cette petite dose de réconfort, après avoir consacré des heures à montrer les pires actions que l’on peut commettre par aveuglement, par entêtement, par ignorance, sans s’en rendre compte – et sans autre issue ou réparation possible que la mort et l’oubli. Finalement, quoi de plus terrifiant que la condition humaine ?

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