Après les agents du S.H.I.E.L.D., Marvel continue de placer ses personnages secondaires sur le petit écran avec Agent Carter. Alliée britannique puis amante de Steve Rogers alias Captain America, un personnage semblable au sien est apparu pour la première fois dans les comics en 1966, a progressivement acquis plus d’importance (et un nom) avant d’être interprété par Hayley Atwell dans le film Captain America : First Avenger. Elle assiste à la transformation de l’homme en symbole, combat à ses côtés avec les forces alliées contre Hydra et le Red Skull avant de le perdre dans un accident d’avion sacrificiel. Dans un court-métrage qui lui est consacré on découvre qu’elle rejoint Howard Stark, le richissime inventeur et futur papa d’Iron Man, à la tête du S.H.I.E.L.D. qu’il vient de créer. Mais auparavant, il leur faut déjouer la conspiration d’un mystérieux ennemi : c’est ce que la série s’attache à nous montrer.
Howard Stark a beau avoir confectionné le bouclier étoilé du plus américain des super-héros, il est immédiatement soupçonné de trahison lorsque certaines de ses létales inventions sont retrouvées en possession d’ennemis de la nation. Il affirme cependant que ce dangereux arsenal lui a été dérobé et requiert l’aide de Peggy Carter pour se réhabiliter – tout en lui cachant manifestement une partie de la vérité. Lui-même étant en fuite, c’est son domestique Jarvis qui l’assistera dans cette mission.
Le pan « Captain America » de l’univers cinématographique Marvel nous a habitués au mélange des genres. Le premier film se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, avec les accents patriotiques et les métaphores nazies que cela implique ; le second adopte lui un scénario digne des films d’espionnage paranos des années 70, tout en complots, trahisons et retournements de situation. Ici, on retrouve le contexte de l’espionnage : Peggy Carter est l’employée d’une agence clandestine, la Strategic Scientific Reserve, qui enquête pour le gouvernement ; elle doit mener son investigation en secret, parallèlement à celle de ses collègues. Mais la série lorgne plus du côté du film noir, tant dans son esthétique que dans sa narration.
Les aventures de l’Agent Carter prennent place dans le New-York des années 40, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre limité de plans en extérieur est compensé par le soin accordé aux tenues et décors, pour une reconstitution très coquette à défaut d’être réaliste. C’est un défilé de bas de soie, de peignoirs en satin et de tailleurs cintrés pour Peggy, tandis que ses collègues sont dignes d’être des Mad Men en costumes de flanelle et Borsalino ; ils sont respectivement les ersatz des femmes fatales et détectives privés qui peuplaient les films de l’époque. Leurs enquêtes les mènent à des lieux consacrés de l’imagerie américaine des 50’s, et ils s’y rendent dans des voitures forcément sombres et rutilantes. Docks abandonnés, diner pastel, bureaux clairs-obscurs, club de jazz clinquant : rien ne manque à la panoplie du parfait film noir, pas même une machine à écrire ou des stores à demi baissés. La dose de fantastique ou de science-fiction reste par ailleurs pour le moment très limitée, pas de super-héros ni de mutant à l’horizon ; les méchants assassinent à l’aide de revolvers avec silencieux comme tout gangster qui se respecte.
La reconstitution vintage permet par ailleurs à la série de jouer sur les stéréotypes et les inégalités entre hommes et femmes. La rétrogradation forcée de Peggy Carter, héroïne de guerre, au rôle d’une humble secrétaire est un écho efficace à un véritable phénomène de l’après-guerre : le retour des soldats au bercail n’a pas toujours été très bien vécu dans la mesure où ceux-ci retrouvaient alors leur statut et leurs privilèges, et ce aux dépends de la liberté durement acquise par les femmes qui ont participé à l’effort de guerre. Dans une société redevenue phallocrate, Peggy Carter semble rentrer dans le rang, mais utilise en réalité sa soi-disant position de faiblesse pour avoir plus de marge de manœuvre. Ses collègues ne se doutent pas un seul instant qu’elle a en réalité toujours un coup d’avance, dans tous les sens du terme. La série enfonce le clou avec un peu de lourdeur, les personnages masculins commettant ainsi plus de vexations misogynes en un seul épisode que dans la totalité de Masters of Sex (c’est dire), mais cela reste extrêmement réjouissant de voir une pin-up brutaliser rustres et malfaiteurs.
Les références et les codes de la représentation réutilisés dans la série constituent son principal intérêt tandis que son intrigue reste pour le moment son point faible. On entre dans le vif du sujet dès le premier épisode avec la mise en place d’un complot, d’un antagoniste principal et de dynamiques générales après quelques scènes d’exposition expédiées, ce qui donne toutefois l’impression d’arriver en cours de route, sans vraiment connaître les protagonistes ni les enjeux, et que tout va trop vite. Cela ne concerne pas seulement les personnages secondaires, cruellement sous-développés même si on a le plaisir de retrouver Enver Gjokaj (Dollhouse) et Chad Michael Murray (Les frères Scott) ; Peggy Carter aussi a tendance à être unidimensionnelle. Elle nous a déjà été présentée, certes, mais jamais de manière approfondie, or son deuil mérite autant d’attention que son crochet du droit. D’autant que de potentiels écueils apparaissent déjà, notamment le cliché de l’héroïne solitaire qui fait une croix sur sa vie amoureuse. A la limite je veux bien qu’elle laisse tomber les hommes, mais pour être en couple avec Angie, la serveuse jouée par Lyndsy Fonseca… ce qui aurait le mérite de justifier rétroactivement son installation dans un ridicule foyer pour jeunes filles aux règles strictes : pas d’homme dans les étages ? Pas de problème !
Les débuts d’Agents of S.H.I.E.L.D. avaient été difficiles, mais la série s’est très bien rattrapée par la suite : c’est la progression que l’on peut souhaiter à Agent Carter, qui serait encore plus attachante et efficace si son fond était au niveau de sa forme.