Dans le domaine de la sériephilie aussi, l’erreur est humaine. Que celui ou celle qui n’a jamais regardé Un, dos, tres avec un intérêt non feint me jette la première pierre. Moment d’égarement, manque de discernement, hormones : on a tous nos raisons pour avoir, un jour, visionné assidûment un programme de qualité discutable – ça, et le fait d’avoir un peu trop de temps libre. Plus tard, on regrette parfois d’avoir perdu des dizaines d’heures de notre vie à suivre les tribulations des soeurs Halliwell (à part quand on s’appelle Arthur).
Mais, de même que l’on regarde parfois ce qui ne mérite pas toute notre attention, on peut passer à côté de séries faites pour nous, ou du moins dignes d’occuper nos soirées pendant plusieurs années. C’est le cas de ceux qui ont la flemme de commencer The Wire. Pire encore : une série étant une œuvre qui se développe sur le long terme, elle met parfois du temps à montrer tout son potentiel – du temps que l’on n’a plus forcément. Peu convaincus par le pilote, à combien de séries n’avons-nous pas laissé l’opportunité de nous montrer le sens de la vie dans l’épisode 2 ? Les paramètres économiques et formels des séries vont à l’encontre d’un visionnage bienveillant et patient. Dans le contexte actuel d’une explosion de l’offre sérielle de qualité, il devient capital pour une série de happer le spectateur dès les premiers épisodes, voire dès les premières minutes. Il s’agit de faire ses preuves rapidement pour éviter au programme d’être annulé, sachant que les grilles des chaînes américaines sont saturées, elles qui sont par ailleurs de plus en plus concurrencées par les productions d’autres pays. C’est ce qui explique l’annulation massive des nouveautés de la saison 2013 – 2014. Mais même en tant que spectateur, pourquoi se forcer à endurer des épisodes que l’on n’apprécie pas du tout ? Après plusieurs saisons, le masochisme l’attachement que l’on a pour des personnages peut justifier que l’on continue une série envers et contre tout, mais pas après quelques épisodes seulement.
Aussi, dans une démarche d’extrême mansuétude télévisuelle et sous la pression agressive de mon entourage, j’ai décidé de redonner une chance à des séries que j’avais choisi d’arrêter.
Hannibal
Première chance Impatiente de découvrir la nouvelle création de Bryan Fuller, quelle ne fut pas ma déception lorsque celle-ci, au bout de quelques épisodes, m’a non seulement laissée complètement indifférente mais aussi souvent agacée. De telle sorte que je n’ai pas pu dépasser la demi-douzaine d’épisodes, avant de l’inclure dans le top des séries les plus surestimées de Séries Chéries.
Seconde chance Dans le dernier tiers de sa première saison, la série abandonne en partie le modèle « un épisode = un serial-killer » pour se concentrer sur l’arc narratif plus large des relations entre ses personnages, et gagne considérablement en intensité comme en suspense, suffisamment pour me motiver à poursuivre le visionnage… et à regarder peut-être la prochaine saison. En effet, autrement, mon impression reste mitigée. La série utilise une vision pragmatique de l’univers judiciaire, avec médecine légale, explications scientifiques et questions administratives dans un univers qui ne s’y prête pas, où la population de Baltimore est divisée entre psychopathes et psychiatres et où tous les personnages sont constamment enfermés dans une sorte de malaise hébété. Cette inclusion constante d’éléments concrets pose la question de la crédibilité de la série, qui n’aurait pourtant pas dû être concernée par cette problématique. Évidemment, Hannibal est très peu vraisemblable : généralisation de l’extrême, protagoniste infaillible, mise en scène millimétrée, personnage « couteau-suisse » (jeune femme asiatique pro de l’informatique et de la dissection : bingo quotas de représentation et caution scientifique)… Mais l’intérêt réside justement dans des dimensions qui n’ont pas à être crédibles : l’esthétique, la folie, les hallucinations. C’est la représentation de la maladie et de la mort, avec les blackouts de Will par exemple, qui me semble suffisamment fascinante pour poursuivre le visionnage malgré une écriture beaucoup moins subtile qu’elle ne voudrait l’être.
Marvel’s Agents of S.H.I.E.L.D.
Première chance Le pilote, sans être irrémédiablement mauvais, ne m’avait pas convaincue et ce qui suivait n’a pas relevé le niveau. Au contraire, il était plus dur chaque semaine de se motiver à regarder un nouvel épisode. La forme traditionnelle et éculée du standalone* n’était pas compensée par une vraie personnalité ; en tant que création télévisuelle originale dans l’univers des comics Marvel, la série n’avait pas d’identité prédéfinie, mais n’en avait toujours pas non plus après une dizaine d’épisodes. Loin de jouer sur la spécificité de son statut, Agents of S.H.I.E.L.D. semblait être une série d’action banale, presque désolidarisée de la franchise et de la mythologie sur lesquelles elle se reposait, et il aurait été possible d’intervertir les lettres de son acronyme sans que cela n’y change rien. Par ailleurs, personnages stéréotypés, clichés et narration traditionnelle à base d’éléments perturbateurs et de retours à l’ordre annulaient toute forme de suspense et d’empathie. La trêve hivernale a été pour moi l’occasion d’une trêve avec ABC.
Seconde chance Je ne sais pas si les scénaristes ont reçu des électrochocs en cadeau de Noël, ou si c’est Joss Whedon qui a trouvé deux minutes dans son planning plein d’Avengers pour reprendre le show en main, mais la deuxième moitié de la première saison est très clairement bien plus réussie. Le manque d’alchimie entre les acteurs, les blagues qui tombent à plat, l’absence d’enjeux dramatiques disparaissent pour laisser place à des intrigues divertissantes, prenantes et pleines de rebondissements. La relation directe avec le deuxième volet des aventures de Captain America n’y est pas étrangère : très bien amenée et gérée, elle donne un nouvel impact à la série. Les derniers épisodes réussissent même à remettre en perspective ceux plus inintéressants du début ; ceux-ci ont joué leur rôle dans la mise en place d’une mythologie propre au show en introduisant des personnages cruciaux et un arsenal de dangereux objets de science-fiction, même s’ils n’étaient pas encore correctement exploités. Chose que je pensais impossible, même l’agent Ward devient un protagoniste intéressant, et son interprète Brett Dalton prouve enfin qu’il n’a pas passé le casting uniquement avec ses sourcils et ses pectoraux. Sans atteindre des sommets de subtilité, la série remplit désormais très bien son office et surprend à l’occasion, avec en prime des échos au réseau de plus en plus resserré des films Marvel. En tant que coulisses du prochain Avengers, la saison 2 devrait tenir toutes ses promesses.
Parks and Recreation
Première chance Une sitcom, c’est bien connu, est toujours mieux à ses débuts, avec son ton frais et impertinent et son caractère bien trempé. Après plusieurs saisons, par contre, on rentre dans la routine, le charme s’est estompé et les blagues se font répétitives. La première saison de Parks and Rec est ainsi de très mauvais augure. Elle ne comporte que six épisodes (c’est d’ailleurs ce pourquoi je l’ai finie), mais ne m’a pas fait rire une seule fois. Même si la deuxième saison, déjà, me semblait plus réussie, et même si l’arrivée de Rob Lowe et Adam Scott me donnait enfin véritablement envie de continuer mon visionnage, 30 Rock l’a battue à plate couture lors d’une battle peu équitable. Après tout, j’ai pour habitude de binge-watcher* les sitcoms en très peu de temps (20mn par épisode, autant dire rien du tout), et ma progression dans Parks and Rec était au contraire très lente, presque réticente.
Seconde chance Mon impression de crescendo qualitatif était cependant la bonne. Aux débuts de la série, le créateur Michael Schur n’avait vraisemblablement pas choisi le ton qu’il voulait adopter et de ce qu’il voulait raconter : un nouveau The Office mâtiné de Spin City ? Un one-woman-show pour Amy Poehler ? Humour absurde ou satire ? Quand les personnages, après quelques hésitations et un changement de casting, ont trouvé leur dynamique, chaque épisode était plus drôle que le précédent, et la saison 4 est l’une des meilleures saisons de sitcom que j’aie jamais vues. Elle entremêle de manière parfaitement équilibrée intrigues politiques feuilletonnesques et intrigues sentimentales pour atteindre ce qui est devenu l’essence de la série : une allégorie de l’éthique du care , avec son idéal social qui apparaît au travers des diverses relations amicales, amoureuses et familiales, mais aussi dans la carrière politique de Leslie Knope, le care personnifié qui se bat pour le bien commun. Pour les gens qui ont un cœur, Parks and Rec, c’est l’équivalent sériel et humain d’un documentaire sur les bébés animaux : rire, émotion et réconfort.
Je n’ai jamais vraiment regretté d’avoir persévéré, mais le problème reste entier : à quel moment doit-on arrêter de suivre une série ? Ce format particulier est un véritable art du temps, il s’agit d’œuvres que l’on ne peut évaluer dans leur globalité qu’après plusieurs mois ou années. Alors, y a-t-il une série à laquelle vous donneriez volontiers une seconde chance ?