Article thématique : Les ancêtres de nos séries – (1) Les feuilletons radiophoniques

Aujourd’hui Séries Chéries se jette dans le TARDIS pour vous amener à la rencontre des ancêtres de nos séries telles que nous les connaissons. Chaque article de cette saga nous emmènera un peu plus loin dans le temps. Pour commencer, voici un petit panorama de la dramatique radio, dont nos séries télévisées sont les héritières directes.

Et là, vous me direz, kézako la dramatique radio ? Il s’agit du terme francisé du radio drama, c’est-à-dire une forme d’expression radiophonique utilisant des éléments qui lui sont propres (montage, effets sonores) pour raconter une histoire ou tenir un propos, qu’il soit fictionnel ou non. Le feuilleton est quant à lui un sous-genre de la dramatique radio avec une forme plus codifiée : une fiction que l’on suit sur le long terme, à travers une succession d’épisodes.

La dramatique radio avant la radio

La dramatique radio est née avant même l’existence de la radio. En effet, à la fin du XIXème siècle, des pièces de théâtre – principalement des vaudevilles – étaient raccourcies pour être enregistrées sur des disques en cire puis écoutées sur des phonographes. D’autres moyens originaux permettaient d’écouter des opéras à distance, comme le théâtrophone. Clément Ader, qui a participé à la création du premier réseau téléphonique de Paris, a l’idée, en 1880, d’installer des micros de chaque coté de la scène de l’opéra Garnier, permettant aux gens d’écouter le spectacle au téléphone depuis chez eux.

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L’expérience est décrite par Victor Hugo himself (citation honteusement piquée à Wikipédia) :

C’est très curieux. On se met aux oreilles deux couvre-oreilles qui correspondent avec le mur, et l’on entend la représentation de l’Opéra, on change de couvre-oreilles et l’on entend le Théâtre-Français, Coquelin, etc. On change encore et l’on entend l’Opéra-Comique. Les enfants étaient charmés et moi aussi.

Naissance de la radio…

Une multitude d’innovations techniques (que je vous épargne ici) ayant pour but de faire circuler la voix humaine apparaît à partir de 1860. Ces premières inventions mènent au téléphone, avant tout l’objet d’utilisations militaires durant la Première Guerre mondiale. Ce n’est qu’après la guerre que l’on utilise ce médium pour diffuser des messages à une foule anonyme. Cette évolution est rendue possible grâce à une foule de passionnés de l’appareil. On a donc inventé le contenant avant le contenu : les fabricants de postes ont développé les stations émettrices pour vendre leurs appareils, à l’instar des frères Lumière, venus à la production de films pour écouler leurs cinématographes.

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Les Etats, qui avaient le monopole de la radio durant la guerre, vont réagir différemment face à l’émergence de ce nouveau média. Les Etats-Unis, fidèles à leur libéralisme, vont laisser les initiatives privées prendre le contrôle, amenant à la création d’un grand nombre de stations de radios, le plus souvent régionales. Le Royaume-Uni, quant à lui, fait de la radio un monopole public. La France tente une troisième voie en faisant cohabiter public et privé. Ces différences ont un impact sur la création des programmes radiophoniques. Le succès est très rapide et la radio devient un média de masse. Il y a 850 000 postes utilisés en 1927 en France et 5 millions en 1939.

… et émergence de nouveaux programmes

Aux Etats-Unis : C’est aux Etats-Unis qu’est née cette nouvelle forme de fiction. La première étape est la diffusion, dès le début des années 20, d’un nombre conséquent d’enregistrements de pièces de théâtre, d’opéras et de comédies musicales de Broadway. En 1923, les premières pièces écrites spécialement pour la radio sont enregistrées et diffusées à Cincinnati, Philadelphie et Los Angeles et on commence à créer des troupes théâtrales spécifiquement pour ce type d’enregistrements.

En France : Si les programmes des radios publiques sont assez austères et élitistes, privilégiant la diffusion de musique classique ou de pièces de théâtre, les radios privées sont des espaces d’accueil pour de nouveaux programmes populaires. On invente par exemple le radio-crochet dès 1937. On y diffuse des chansons populaires mais aussi du jazz. Cette liberté a permis très tôt l’émergence de la création radiophonique. Ainsi, bien avant l’affaire de la Guerre des Mondes – le roman qu’Orson Welles a adapté à la radio de manière tellement réaliste que des auditeurs ont cru à une véritable invasion extraterrestre (en 1938) – Radio-Paris crée un vent de panique avec l’un de ses programmes : Maremoto, écrit par Gabriel Germinet et Pierre Cusy, diffusé pour la première fois en 1924, narre le naufrage d’un bateau de manière quasi-documentaire. A tel point que les spectateurs, persuadés d’assister à un vrai naufrage, s’affolent. Le pionner de la dramatique radio en France sera même interdit par le Ministère de la Marine, qui le considère comme attentatoire à l’ordre public . Si vous en voulez un échantillon (allez directement à 30 secondes) :

Si vous souhaitez le comparer à la Guerre des Mondes, voici un enregistrement disponible :

L’apogée de la dramatique radio : feuilletons et soaps

Ces premières expériences, que se soit en France ou aux Etats-Unis, ont un succès considérable et la dramatique radio prend son essor dans les années 30, devenant un véritable phénomène de société. L’engouement va perdurer jusqu’à l’apparition de la télévision au milieu des années 50, accompagnant ce qu’on a appelé « l’âge d’or de la radio ». En France, on retrouve plutôt ces programmes sur la radio privée, à destination d’un public populaire. En Angleterre, où la radio est entièrement publique, la dramatique radio est d’abord un lieu d’expérimentations pour les auteurs contemporains comme Bernard Shaw ou Samuel Beckett, puis s’ouvre petit à petit à un public plus large. Ci-dessous, All That Fall de Beckett, une pièce créée spécialement pour la radio :

Aux Etats-Unis, la radio est un lieu où auteurs et comédiens font leurs armes avant de passer au cinéma (puis plus tard à la télé). Les types de programme qu’on y trouve correspondent aux genres majeurs que l’on retrouve à la même période au cinéma : le western et le polar, ainsi que quelques comédies. Ces mêmes genres seront ceux repris par la télévision à ses débuts. A titre d’exemple, Dragnet, The Love Ranger et I Love Lucy ont d’abord été des séries radiophoniques.

Mais la radio va inventer son propre genre : le feuilleton ou soap opera.

Le terme soap opera vient du mot savon et a été inventé a posteriori. Aux Etats-Unis, la radio est privée et les stations se financent à l’aide de la publicité. Les soaps sont même le plus souvent produits par des marques, notamment de savons et de détergents. Ils sont des investissements pour les publicitaires qui visent les femmes au foyer. Les thématiques abordées par ces feuilletons quotidiens renvoient donc à la vie quotidienne de ses auditrices. On y dramatise les étapes que les femmes traversent dans leur vie comme le mariage, la maternité… Ils sont censés être édifiants et être des guides dans leur rôle de mère et d’épouse, d’autant plus que beaucoup de femmes sont à l’origine de ces programmes. On peut citer Anne Hummert, Irna Phillips et Elaine Sterne Carrington, toutes trois à l’origine de plusieurs succès populaires, dont l’extrait ci-dessous : Pepper Young’s Family par Elaine Sterne Carrington.

Ces séries conçues par des femmes pour des femmes reflètent leurs conditions de vie économiques et sociales, plus que tout autre genre à cette époque. On retrouve déjà les mêmes caractéristiques que celles des feuilletons télé : une histoire qui s’étale parfois sur plusieurs milliers d’épisodes, tout en ayant un rythme plus lent que celui de la vie réelle, donc ralentissant considérablement la narration, un accent sur les dialogues plutôt que sur l’action, un ton constamment sentimental ou mélodramatique (et premier degré), un thème ou une signature musicale. En France, on retrouve les mêmes programmes. La famille Duraton est l’exemple le plus populaire de ces feuilletons, qui a même droit à deux adaptations au cinéma. Les extraits audio n’étant pas trouvables, voici un extrait de l’adaptation ciné qui vous donnera une bonne idée des thèmes abordés par la série :

Après la guerre, la société évolue des deux côtés de l’Atlantique. La télévision fait son apparition, les femmes prennent petit à petit leur indépendance, les goûts évoluent et ce type de programme perd peu à peu son audience pour disparaître au début des années 60. La radio se recentre sur la musique et les informations, et les séries migrent sur le petit écran.

La dramatique radio aujourd’hui

Toutefois, les années 60 ne signent pas l’arrêt de mort de la dramatique radio et le goût pour ce genre créatif réapparait à partir des années 2000. On peut entendre sur les ondes quelques expérimentations comme par exemple l’émission Panique au Mangin Palace sur France Inter. Des sagas sont à nouveau enregistrées pour la radio, mais c’est sur la toile que le feuilleton radiophonique (ou on pourrait dire, audiophonique) fait son grand retour. En effet, il est techniquement plus facile aujourd’hui de produire ses propres créations puis de les diffuser par exemple sous forme de podcast, ce qui multiplie l’offre. Le Donjon de Naheulbeuk est l’un des reflets de ce renouveau dans le genre de la comédie. L’Amérique n’est pas en reste, bien au contraire. De nombreux podcasts, dans tous les genres, sont d’incroyables succès ; l’exemple le plus récent reste la série documentaire d’investigation Serial par Sarah Koenig que Maguelonne nous a déjà présentée.

Si la radio est bien l’ancêtre le plus direct de nos chères séries télé, elle n’en reste pas moins active et créative aujourd’hui et n’a pas fini de faire des petits. Pour autant, ce n’est pas elle qui a inventé la forme sérielle pour la fiction, déjà présente dans d’autres médias avant elle. Êtes-vous prêt à faire un nouveau voyage avec nous ?

 

2 réponses à “Article thématique : Les ancêtres de nos séries – (1) Les feuilletons radiophoniques

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