Semaine d’un sériephile (62) : Sitcoms de 2015

Deux des nouveautés qui ont fait parler d’elles au cours du premier trimestre 2015 sont les séries comiques Unbreakable Kimmy Schmidt et Man Seeking Woman. Elles ont toutes deux leurs qualités et leurs défauts, mais ont surtout la particularité de donner une vue d’ensemble des sitcoms de qualité du 21è siècle. Leurs plateformes respectives sont extrêmement différentes : là où Netflix cherche avant tout à divertir, accrocher son spectateur et l’encourager à binge-watcher tout son saoul, FXX, dans la lignée de sa grande sœur FX, produit des shows plus pointus voire d’avant-garde, au ton parfois déstabilisant qui ne plaît définitivement pas à tout le monde. En conséquence, leurs deux programmes sont chacun à une extrémité du spectre des comédies américaines.

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Incassable

L’événement Netflix de ce début d’année est la nouvelle création de Tina Fey en tandem avec Robert Carlock, qui a travaillé avec elle sur 30 Rock et au Saturday Night Live mais qui était aussi à la production et l’écriture de Friends. Kimmy Schmidt, une jeune femme au caractère enjoué, essaie comme tant d’autres de s’en sortir dans la jungle new yorkaise. Seul hic : elle a vécu quinze ans enfermée dans un bunker par un gourou excentrique ; désormais elle veut mettre cette expérience derrière elle, rattraper le temps perdu et apprendre à devenir une adulte responsable. Pour ce faire, il lui faut bien entendu trouver un emploi et un logement, et elle a la chance de vite trouver une colocation et un job de gouvernante chez une richissime bourgeoise désœuvrée. Titus Andromedon et Jacqueline Voorhees deviennent évidemment ses amis, et lui donnent des conseils plus ou moins judicieux en accord avec leurs extravagantes personnalités.
Unbreakable Kimmy Schmidt est une feel-good sitcom, légère et divertissante, et le modèle Netflix (l’intégralité de la saison est diffusée instantanément) garantit que l’on enchaîne les épisodes sans compter, bercé par les couleurs vives et l’enthousiasme communicatif de l’héroïne. L’initiation d’un personnage naïf est un modèle narratif assez courant que le show suit à la lettre, avec les quiproquos et différends culturels associés. A la manière de la série de livres pour enfants « Martine », chaque épisode a pour intitulé une activité que Kimmy découvre ou étrenne « hors bunker », avec l’entrain superlatif d’un point d’exclamation : Kimmy goes to a party ! Kimmy rides a bike ! Et, bien sûr, Kimmy fait son éducation sentimentale, et doit affronter le traumatisme de sa séquestration – avec suffisamment de distance et de décalage pour que cela reste drôle. On suit deux intrigues par épisode dans un équilibre parfait entre éléments sériels – une nouvelle épreuve pour Kimmy – et éléments feuilletonesques – la confrontation à son passé.
En fait, dans sa forme comme dans son humour, la série s’inscrit dans une tradition de la sitcom du 21è siècle. Elle joue principalement sur le comique de personnages, les ressemblances avec 30 Rock sont légion (ne serait-ce que parce que Jane Krakowski joue ici aussi un rôle de femme hystérique et obsédée par son apparence), et on retrouve la patte de Tina Fey dans les dialogues qui fourmillent de répliques bien senties et de bons mots. Émotions et bons sentiments affleurent à l’occasion, ainsi que plusieurs morales pleines d’optimisme dans le cadre du fameux retournement scénaristique « c’est la personne qui en sait le moins qui nous apprend le plus » : Kimmy invite ses amis à relativiser au vu de son propre sort, elle les encourage à poursuivre leurs rêves et devenir indépendants tout comme elle, elle leur enseigne la patience et la gratitude. L’attention bienvenue accordée à des personnages féminins hilarants, déjà notable dans 30 Rock, n’empêche pourtant pas la série de faire preuve d’une forme de discrimination lorsque le comique de mœurs vire à la caricature. En dehors du malaise que peut provoquer l’intrigue des origines de Jacqueline, le show est très plaisant… Mais n’invente ni n’innove pas vraiment.

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A la recherche de la meuf perdue

Simon Rich, un autre ancien du Saturday Night Live, a adapté à l’écran son recueil The Last Girlfriend on Earth en confrontant un groupe de personnages défini à l’univers déjanté de ses nouvelles. Josh, désespéré depuis que Maggie l’a quitté, doit gérer la déception de la rupture et est prêt à tout pour échapper à une certaine misère affective et sexuelle. Par « tout », cette série entend vraiment TOUT : un blind-date avec un troll, être inséparable d’avec une petite amie, consulter l’état-major pour envoyer le parfait SMS… Et par « troll », « inséparable » ou « état-major », cette série entend exactement, littéralement cela.
La mise en scène de métaphores toutes liées aux sentiments et à la séduction fait que la série se repose uniquement sur un comique de situation extrêmement visuel, duquel les personnages sont finalement presque éclipsés. Ceux-ci sont très peu nombreux, et sont avant tout des archétypes acerbes : le meilleur ami lubrique, la sœur bienveillante, l’ex-petite amie pimbêche… Cette dissolution des protagonistes écorne au passage le modèle du nice guy blanc et hétérosexuel avec un héros alternativement médiocre et pathétique, bien souvent en mauvaise posture et dont tous les travers et compromissions nous sont révélés. La seule forme d’évolution que l’on peut suivre de manière feuilletonesque dans la première saison est le deuil amoureux de Josh, mais son personnage est avant tout le fil conducteur d’un tableau surréaliste à un autre, dans lesquels il ne fait que croiser une galerie de figurants (à l’exception de l’épisode 9, qui adopte de manière très bienvenue le point de vue de sa sœur Liz). Les différentes saynètes ont une cohérence au sein de l’épisode, mais finissent surtout par constituer une sorte de guide cynique de l’amour pour les losers – sachant qu’au vu du niveau d’identification à certaines situations, on finit par se dire qu’on est tous (un peu, parfois, moins que Josh) des losers dans ce domaine.
L’absence d’intrigue suivie, le manque de caractérisation des personnages et le regard globalement ironique donnent un aspect étrangement postmoderne à cette sitcom. Elle n’hésite pas à faire preuve de crudité, d’une esthétique un peu crasseuse, d’humour potache et grinçant, et n’est donc pas grand public ni susceptible de plaire à tout le monde. Elle a cependant le mérite d’être vraiment unique, et de renouveler totalement la catégorie des sitcoms « Amour et sentiments » en adoptant un discours, une forme et un ton à l’opposé des canons du genre.

Une réponse à “Semaine d’un sériephile (62) : Sitcoms de 2015

  1. UKS est pas vraiment une sitcom … Perso j’ai pas tellement accroché, je n’arrive pas a rire et c’est inquietant pour une comédie, mais je vais essayer quand même encore un ou deux épisodes. Pour ma part, ma révélation sitcom de cette année c’est The Odd Couple, j’ai du mal a respirer a chaque épisode^^

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