La musique tient une place importante au festival Série series : à chaque cérémonie de clôture, un concert est donné en lien avec l’univers des séries. Cette année il s’agira d’un concert du compositeur britannique John Lunn, connu notamment pour son travail sur la série Downton Abbey. En attendant cet événement exclusif, ce dernier nous fait l’honneur d’évoquer son travail avec son homologue français Eric Neveux dans une discussion modérée par le compositeur Nicolas Jorelle.
Musique de série vs musique de film
La série, au contraire d’un film, se déroule littéralement dans le temps. Musicalement parlant, pas de différence avec le ciné, le raisonnement est identique : c’est plus dans la méthode de travail que les choses changent.
Dans le cadre des séries, artistiquement parlant, c’est une chance de pouvoir construire un univers sans limite de temps et d’explorer davantage la dimension musicale. Mais cela amène aussi des contraintes : si chaque épisode a bien sûr ses spécificités, il faut réussir à avoir une idée générale de cet univers, et savoir anticiper. Le thème créé doit pouvoir être réutilisé, décliné, même si la saison dure 5 ou 6 saisons. Eric Neveux aime de ce fait avoir des réservoirs de thème déclinables. La prise en compte de la progression inévitable de la série est fondamentale lorsque l’on aborde la composition musicale. Bien sûr, on fait des retouches et des ajustements au fur et à mesure, mais ce n’est que de l’affinage.
Le développement de l’identité musicale a son importance car la bande-son d’une série est aussi son branding. Le marketing de la série, surtout pour une série comme Downton Abbey qui a une visibilité internationale, rajoute de la pression sur les épaules du compositeur. La musique doit être tout de suite assimilée à la série. Et inversement.
L’art de composer
D’un point de vue technique, les deux compositeurs travaillent directement sur les images. Pour John Lunn, la musique doit être chorégraphiée avec les dialogues, l’idée étant de construire le profil psychologique du personnage, d’entrer dans sa tête. C’est aussi un voyage émotionnel dans les relations qui lient les personnages entre eux.
En terme de recherches, Eric Neveux en fait un peu mais pas trop non plus. C’est assez instictif, spontané. Pour Borgia par exemple, il a bien écouté quelques musiques de la Renaissance mais l’idée n’était pas de rajouter une couche historique sur une série qu’il l’est déjà.
Quant à savoir qui à un droit de critique sur la bande-son, John Lunn explique que sur Downton Abbey il ne travaille qu’avec le producteur et le producteur exécutif de la série, jamais avec le réalisateur. D’une part celui-ci change souvent d’un épisode à un autre, d’autre part il note que les réalisateurs aiment bien apporter leur touche personnelle sur l’oeuvre, ce qui n’est pas forcément compatible avec la création originale de musique. Sur Borgia, Eric Neveux a travaillé avec Tom Fontana et le monteur musique. Pour lui, il s’agit avant tout d’échanger avec le cerveau de la série. Tom Fontana sur Borgia est très succin et précis, avec lui tout se fait efficacement et rapidement. Mais la rapidité à l’américaine peut aussi être un inconvénient. Les délais sont très courts et il faut forcément s’adapter en créant des morceaux plus facilement manipulables.
John Lunn souligne que sur The Last Kingdom la musique était prévue dans le brief de départ, par conséquent il est arrivé très vite sur le projet, en amont du tournage. C’est un processus idéal pour un compositeur d’être impliqué aussi tôt, mais ce n’est pas toujours le cas. Idem pour le budget, John Lunn s’estime chanceux car ce dernier est assez important quand la BBC est aux manettes.
A noter que les Américains sont à la traîne en termes de composition originale, et commencent seulement à valoriser la place de la musique d’orchestre dans les séries. Musiques dont les Anglais sont friands surtout pour les period drama.
Et la France dans tout ça ? Le sujet n’a pas été développé. Un compositeur dans l’assistance a cependant fait remarquer que les Anglais respectent davantage le travail de l’auteur qu’ici… Début d’un coup de gueule ? Il serait intéressant de se pencher sur la question.
Le style du compositeur importe peu
Ces deux compositeurs de talents insistent sur le fait qu’il faut essayer de faire quelque chose de nouveau pour chaque projet et ne pas tenter de copier une ambiance « à la manière de ». Pour Eric Neveux et John Lunn, on ne vient pas les voir pour leur style mais pour leur capacité à comprendre l’essence d’une série. Facile à dire pour ces deux hommes reconnus professionnellement. On imagine aisément que c’est une autre paire de manches pour tout nouveau compositeur qui souhaiterait percer dans le milieu…
A reblogué ceci sur JUNE and CIEet a ajouté:
Merci à Marion de Série Chéries pour cet article plus qu’instructif.