Au programme de la conférence organisée par la SACD à l’occasion du festival Série Series édition 2016 : l’internationalisation du marché des séries TV et les enjeux nouveaux que cette évolution pourrait faire naître. Pour participer à cette table ronde, diffuseurs, organismes d’aides et producteurs ont accepté d’échanger leurs points de vue sur la transformation du marché.
Étaient présents Emmanuelle Bouilhaguet (directrice générale, Lagardère Studios distribution), Bénédicte Lesage (productrice, Mascaret), Vincent Leclercq (directeur de l’audiovisuel, CNC), Luca Milano (vice-président, Rai fiction), Pascal Rogard (directeur général de la SACD) et Olivier Wotling (directeur de la fiction d’Arte).
L’exportation, un marché en pleine évolution. Défis et obstacles à dépasser.
Premier constat : la circulation des séries françaises à l’étranger ne s’est jamais si bien portée. Pour la première fois la France fait partie du top 5 des pays exportateurs.
Des succès comme celui des Revenants, alias The Returned en version anglaise, acheté par Channel 4 en Grande Bretagne et par Sundance Channel aux Etats-Unis, ou encore la coproduction franco-canadienne Versailles montrent une véritable ouverture du marché pour des propositions originales venues de France.
La situation n’est pas pour autant totalement idyllique surtout pour les scénaristes français. Selon Pascal Rogard de la SACD, le problème de la langue reste fort. Les séries s’exportent beaucoup mieux si elles sont tournées en langue anglaise. Or, pour les scénaristes, à moins qu’ils ne soient totalement bilingues -voire même que la langue anglaise soit leur langue maternelle- cela reste un désavantage difficilement à dépasser. Le problème se pose beaucoup moins pour les réalisateurs qui eux peuvent s’exporter beaucoup plus facilement par le simple langage de l’image.
Pour Emmanuelle Bouilhaguet, directrice de la fiction pour Lagardère Studios, les questions de langue d’écriture et de tournage sont moins un problème qu’avant, le marché ayant tendance à s’ouvrir sur la qualité d’une proposition plus que sur des questions de production. Néanmoins, la langue anglaise constitue toujours un avantage commercial important. Exemple récent : le succès à l’export de la série Versailles, tournée intégralement en anglais, ou bien encore la série Le Transporteur. Si cette dernière a été un succès à l’export, le fait que la fiction ait été tournée en anglais constitue moins une condition centrale que la force de la franchise en elle-même. Autre levier possible pour le marché international : l’établissement de marques clairement reconnues peut garantir un impact appréciable.
Pour Olivier Wotling, directeur de la fiction chez Arte, la langue ne constitue pas véritablement un problème. L’identité de la chaîne, reflet de l’Europe et de sa créativité, s’accommode totalement de la diffusion en vost de programmes danois ou anglais. La seule question qui importe pourrait se résumer à un principe : est-ce que le projet fait sens dans son territoire d’origine ? Ce qui compte c’est la recherche d’une cohérence et d’une authenticité, peu importe l’origine du projet.
Selon Vincent Leclercq, directeur de l’audiovisuel et de la création numérique au CNC, il y a une nécessité à augmenter le nombre des productions françaises, qui stagnent depuis plusieurs années autour de 770 heures produites par an. Les leviers de croissance sont peu nombreux mais l’export peut constituer une réelle opportunité pour toute la fiction nationale.
Actuellement l’exportation française est massivement représentée par les ventes. On compte encore peu de coproductions internationales impliquant la France. Sur la dernière année, elles se comptent sur les doigts d’une main. Il s’agit de Versailles, Jour Polaire,The Collection ou encorePanthers. Aucune de ces coproductions n’est entièrement tournée en Français, mais plusieurs -comme Jour Polaire ou Panthers- ont été tournées avec plusieurs langues, pas tant pour des questions de coproduction que de sens, voire de cohérence, par rapport aux propos de ces séries, qui se déroulent sur plusieurs territoires et mettent en jeu des questions de différences internationales ; il est donc normal qu’elles soient représentatives de cette pluralité.
L’export de séries françaises à l’étranger est toujours un défi compliqué. Trouver des coproducteurs, parvenir à s’entendre malgré les différences culturelles et fonctionner ensemble vers le même objectif reste un challenge. Pour la création française, il existe un enjeu assez particulier à relever : parvenir à affirmer une identité française, à ancrer la création dans un territoire sans pour autant jouer sur le côté carte postale. L’enjeu n’est plus de « faire français » mais de partager un point de vue français sur des questions sociales, sur des sujets qui peuvent intéresser un public transfrontalier. C’est peut-être justement ce point de vue qui peut attirer les diffuseurs étrangers.
Exemple de projet dépassant les frontières, soutenu par Arte : la récente création Eden, série sur les migrants coproduite avec l’Allemagne, qui se déroule à la fois en Grèce et en Allemagne, et pour laquelle deux auteurs français ont participé à l’écriture. Dans le cadre de la coproduction, ces auteurs ont contribué au projet dans une volonté de diversification des points de vue, d’enrichissement du propos. Ici, les pourcentages de participation des différents coproducteurs importent peu. Les auteurs ne doivent pas être des représentants des producteurs essayant d’imposer leur vision, mais bien des créateurs avant tout.
Le principe de la coproduction nécessite une intelligence commune pour s’entendre en échappant aux rapports de force liés aux pourcentages d’investissement. Les dimensions culturelles comme financières peuvent constituer des obstacles. Difficile de garder le cap, mais l’envie commune doit rester envers et contre tout la ligne à suivre, pour garder en tête la raison pour laquelle de tels projets sont montés.
L’exemple absolu à suivre en matière d’exportation audiovisuelle est à chercher du côté de l’animation. La France est aujourd’hui le premier pays européen exportateur de dessins animés et de films d’animation. 30 % des investissements du secteur proviennent de l’étranger. Les contraintes et les opportunités sont bien sûr différentes mais l’animation prouve que des success story sont réellement possibles.
Peut-on tout vendre ou coproduire à l’international ?
Pour Luca Milano, directeur adjoint de RAI fiction, si le marché à l’exportation est important il ne faut pas pour autant négliger le premier public d’une fiction : son audience nationale. Le premier rôle de la fiction reste de réunir un public intergénérationnel devant un rendez-vous. Toutes les fictions ne peuvent être pensées d’un point de vue international, et les différences culturelles restent à prendre en compte. Une fiction est représentative de l’identité de son pays d’origine voire même parfois de sa région. Le cas de Gomorra par exemple est très représentatif de la situation de Naples, les Napolitains étant les premiers concernés par cette œuvre puisqu’ils sont le sujet de la série. Pour autant, cet ancrage n’est pas forcément un problème pour l’exportation. Il peut même devenir une force.
La multiplication des offres et des diffuseurs a créé la nécessité de produire pour différents publics. Par ailleurs, on ne produit pas forcément la même chose pour la première chaîne nationale que pour le public d’une chaîne par abonnement, les attentes n’étant sans doute pas les mêmes. Les différences de public génèrent donc autant d’opportunités pour la création de séries aux tons et aux sensibilités différentes. Le tout est de savoir comment s’adresser à tous ces publics, et quelles sont les propositions adaptées.
Est-ce qu’une série trop locale est par nature difficile à exporter ? Pas forcément selon Emmanuelle Bouilhaguet. Ce qui compte, c’est avant tout l’originalité de la proposition et la force de l’histoire. Contrairement à ce que certaines études de tendances pourraient laisser penser, le genre ou l’époque dans laquelle se situe une série n’importe que de manière marginale dans la possibilité d’être exportée ou non. Ce qui compte c’est de répondre aux besoins et aux envies de diffuseurs étrangers.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la série Joséphine Ange gardien a constitué un véritable succès en Italie. Pourquoi ? Parce que la série répondait à un besoin du diffuseur -La7- de séries feel good familiales. Peu importe le genre, ce qui compte c’est avant tout l’adéquation entre l’envie d’un diffuseur et la pertinence d’une série à répondre à ce besoin.
On trouve une capacité d’exportation plus forte si l’on a une originalité, si l’on a un point de vue fort à défendre plutôt que si l’on cherche à plaire à tout le monde voire même à imiter ce qui a marché. Le marché international, du point de vue d’un producteur, peut être une opportunité à la fois artistiquement et économiquement. Pour Bénédicte Lesage, productrice chez Mascaret, construire des projets avec des coproducteurs étrangers c’est avant tout une question d’envies commune. C’est à la fois l’envie de créations artistiques à plusieurs voix et, d’un point de vue plus pratique, un challenge à relever pour ce qui constitue l’autre aspect indissociable du métier de producteur : la construction concrète et financière d’un projet.
L’Europe a besoin de sens, d’échanges. Dans cette nécessité, les séries portent une responsabilité, elles ont un rôle à jouer. On doit apprendre les uns des autres pour enrichir nos méthodes de travail et nos points de vue. En Italie, on arrive à produire des séries de 24 épisodes, en France on peine à en produire 16. Pourquoi ? Travaillons ensemble pour surmonter les obstacles.
Abolissement des frontières, une évolution à accompagner ?
Pour les auteurs, il existe un problème concret de ressources lié à l’exportation. Par exemple, il n’y a pas de mécanisme de rémunération proportionnelle en Italie ou en Allemagne, où les auteurs ne peuvent bénéficier des retombées du succès à l’exportation de leurs créations. Le système de droit d’auteur français, tant dans ses mécanismes de protection que dans ses mécanismes de rétribution financière, n’existe pas en dehors de nos frontières. L’Europe aurait-elle donc besoin d’une uniformisation à l’échelle européenne du droit d’auteur ? Selon Pascal Rogard de la SACD, il n’y a pas vraiment de volonté publique dans ce sens pour l’instant. L’exception culturelle existe, les œuvres ne s’échangent pas comme les créations de l’industrie électronique mais pour autant un réel manque existe autour de la création audiovisuelle. La question se pose : faut-il une politique culturelle unie sur tout le territoire européen ?
Le soutien du CNC aux œuvres de fiction destinées à l’exportation peut se révéler moins intéressant que pour les œuvres destinées uniquement au marché national, parce qu’il conserve toujours l’idée d’une protection ou tout du moins d’une valorisation de la création en langue française. Pour bénéficier d’un bonus de 25 % d’aide, il faut qu’une série soit écrite intégralement en français. Donc, si le CNC n’empêche pas la création en langue anglaise, il ne la favorise pas non plus.
Le constat est sans appel : développer pour l’export prend plus de moyens et plus de temps. Il y a une nécessité à améliorer les conditions de ces développements pour permettre à plus d’œuvres internationales de voir le jour. Le CNC en est conscient et expérimente aujourd’hui de nouvelles solutions. La coproduction Eden par exemple a été le point de départ d’un mini traité européen entre le CNC et plusieurs organismes publics de soutien à l’audiovisuel issus de länder allemands. C’est l’exemple d’une expérimentation de politique de soutien européen certainement appelée à s’étendre de plus en plus.
Tous s’accordent sur la nécessité de moderniser l’organisation et le financement de l’écriture, notamment au moment du développement. Cette nécessité de s’adapter à l’évolution internationale va devoir maintenant trouver des applications concrètes.
Le côté excessivement bureaucratique des recherches de financement semble unanimement pointé du doigt. La mécanique improbable de la recherche de soutiens, de l’obtention de points en fonction des territoires, des langues de tournages et d’écriture, de l’équilibrage des aides en fonction des pays, peut très rapidement prend la place de l’œuvre et l’étouffer. On se retrouve alors dans une situation où, pour la production, le financier prend totalement le pas sur l’artistique. Une situation ubuesque qui nécessiterait d’être améliorée.
Pour le CNC, une simplification des mécanismes d’aides et une régulation au niveau européenne sont nécessaires. Il faut uniformiser les règles entre CNC, aides européennes MEDIA, aides régionales et fonds étrangers, ne serait-ce que pour favoriser leur cohérence et leurs compatibilités.
Une telle régulation ne peut être entreprise que dans des conditions de parfaite transparence, que ce soit entre coproductions, entre auteurs et producteurs ou entre organismes de financement et productions. Garantir une transparence totale est la seule manière de voir naître une confiance réelle entre partenaires, meilleur terreau possible pour que des projets ambitieux puissent émerger .
Autres enjeux, autres évolution brûlante : l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs -notamment les plateformes de SVOD de Netflix, Amazon ou Hulu- crée un bouleversement des règles et des tendances. La multiplication des diffuseurs crée aujourd’hui une multitude d’opportunités et un accroissement du marché, davantage de ressources pour plus de créations. Mais jusqu’à quand ? La crainte existe d’un renversement de l’économie ou en tout cas d’un tassement qui conduirait à l’affaiblissement des diffuseurs nationaux au profit des plateformes transnationales.
Les deal de Netflix impliquant une vente totale des droits de diffusion remplaçant les multiples ventes TV, VOD, vidéo pourraient conduire globalement à des conditions moins favorables pour les producteurs et créateurs, tant en termes de ressources qu’en termes d’exposition.
L’avenir de la série passera par cet abolissement des frontières mais les organismes de soutien comme les producteurs ne peuvent faire preuve de naïveté. Les auteurs devront être accompagnés dans un paysage audiovisuel en plein bouleversement.