Cette semaine Série Series est à l’honneur sur Séries Chéries ! En rassemblant principalement des professionnels et en s’intéressant aux projets en cours de développement, notre festival de Fontainebleau favori se retrouve souvent à la pointe de l’innovation audiovisuelle. Sa programmation a par exemple cette année fait la part belle aux stratégies qui commencent à être mises en œuvre pour intégrer nouvelles technologies et réseaux sociaux dans la production de récits sériels.
De fait, les chaînes et diffuseurs qui intervenaient à cette occasion partagent plusieurs préoccupations. La principale est – comme toujours – de s’emparer de nouveaux publics, en particulier un public plus jeune, sachant qu’adolescents et jeunes adultes européens délaissent de plus en plus la télévision. Il s’agit aussi, et en conséquence, de conquérir de nouveaux territoires médiatiques sous la forme des (nombreuses) nouvelles plateformes de distribution et de partage aujourd’hui en vogue. Comment s’adapter aux nouveaux usages & publics ? Quelles formes novatrices les réalisateurs, producteurs et scénaristes peuvent-ils inventer ? Et avec quel succès ? Place aux ambitieux programmes présentés lors de cette édition de Série Series.

Amnêsia
On commence avec une entreprise française, Vivendi, qui dans la tourmente Canal + a trouvé le temps de développer un projet d’application sur smartphone dédiée à un contenu premium. La plateforme s’appelle Studio +, sera lancée à la rentrée en France, ensuite dans de nombreux autres pays, et, grâce à un abonnement payant, donnera accès à des séries originales, spécialement produites pour elle. Il y en a 25 pour le moment, composées de dix épisodes de dix minutes et tournées tout autour du monde. Deux échantillons français nous en ont été montrés à l’occasion du festival, en présence de leurs créateurs : le pilote d’Amnêsia, avec Caroline Proust (Engrenages), et celui de Tank, dans le générique de laquelle on retrouve deux comparses de la Lazy Company (l’acteur Alban Lenoir et le scénariste Samuel Bodin). Dans la première série, l’humanité perd la mémoire ; un évadé déjanté se retrouve traqué par la mafia dans la seconde. L’originalité du concept de l’une, et le dynamisme de la réalisation de l’autre, séduisent immédiatement. Les deux séries ont été choisies pour être développées parmi des centaines de projets, sur des critères expliqués par Gilles Gallud, directeur de Studio + : leur propension à scotcher et accaparer le spectateur, leur direction artistique et mise en scène soignées, et leur appartenance à des codes prédéfinis par la production.

Tank
En effet, quelques genres et thèmes précis sont privilégiés pour l’application : l’horreur, le thriller, la science-fiction, le dépaysement ; autant d’univers populaires, susceptibles de fidéliser des utilisateurs. Une méthode qui rappelle évidemment Netflix, le premier fournisseur de contenu qui a fondé son identité sur le binge-watching. La différence réside d’abord dans l’exclusivité de la diffusion sur écrans nomades, que ce soit tablette ou smartphone, dans l’espoir de séduire les adolescents (et autres fameux millenials) là où ils passent une bonne partie de leur temps, mais aussi pour éventuellement distribuer ces programmes dans les pays émergents où le portable est roi bien plus qu’ordinateurs ou télévisions. Une autre différence repose sur le format : des épisodes plus courts pour un surplus d’énergie et de cliffhangers, une narration sans temps mort, pensée comme celle d’un film mais sans les baisses de rythme d’un long-métrage traditionnel grâce à la segmentation du récit. Au final, cependant, difficile de distinguer ces séries de web-séries traditionnelles, n’était-ce le budget confortable apporté par le concours de Vivendi. Celui-ci se traduit par des têtes connues au casting et une qualité de production accrue (mise en scène, décors, figurants, image impeccables – la photo ci-dessus ne rend pas vraiment justice à Tank), et les projets sélectionnés sont alléchants et peuvent tout à fait justifier un abonnement. Mais il est aussi possible de piocher dans notre catégorie Web-séries pour trouver des productions plus indépendantes ou fauchées, au format similaire, tout autant voire plus innovantes du point de vue de la narration…

Shield 5
En parlant de productions webs innovantes, Shield 5 est une série britannique d’un genre nouveau : elle a été entièrement développée pour Instagram, la plateforme de partage de photos (et vidéos) à filtres. C’est une sérieuse contrainte, d’autant plus qu’au moment du lancement du projet, l’application imposait une durée limite de 15 secondes aux vidéos. On découvre donc l’histoire – un transporteur en fuite, traqué par la police, accusé d’avoir volé des diamants – à travers de courtes séquences, qui tournent en boucle lorsqu’on les visionne, en alternance avec des photos. Celles-ci viennent s’insérer dans le récit comme autant d’accessoires utilisés par les personnages dans les passages filmés, qu’il s’agisse de documents administratifs, de pièces à conviction trouvées par les policiers, de papiers d’identification… Ce dispositif ludique rappelle les jeux vidéos, comme une suite d’indices qui invitent le spectateur à participer activement à l’enquête, mais cette impression est assez illusoire et n’offre en réalité pas vraiment les moyens de potentiellement découvrir le dénouement. Entre la brièveté des extraits et l’agencement des photos qui rappelle le storyboard d’une production traditionnelle, on a malheureusement le sentiment de regarder un film en kit, qu’il faut reconstituer par soi-même, sans que cela apporte grand chose au récit – qui n’est par ailleurs pas suffisamment original pour vraiment motiver le visionnage. Quitte à choisir ce mode de narration exceptionnel, l’appliquer à un schéma aussi consensuel est assez décevant (un peu d’action, une enquête, un héros stéréotypé, beau gosse qui doit prouver son innocence en costume trois-pièces, et dont le love interest est digne d’être mannequin Victoria’s Secret mais bosse dans la même société de transports que lui).

Skam
Et si la meilleure solution à l’intégration des séries aux nouvelles technologies – et vice-versa – venait de la Scandinavie ? Venue nous présenter Skam (Shame), la productrice Marianne Furevold en explique la genèse : la chaîne NRK a donné carte blanche à son équipe pour reconquérir la jeunesse norvégienne. Après avoir étudié leur cible, ils ont créé une oeuvre à la narration unique et au succès indéniable (l’audience est passée de 25 000 spectateurs à plus d’1 200 000 en deux saisons, sans autre promotion que le bouche à oreille). Le sujet ? Le quotidien d’un groupe d’adolescentes dans un lycée norvégien ordinaire. Style et récit sont évidemment soignés et rappellent Skins, avec une bande-sonore branchée entre électro et hits récents, une mise en scène réaliste et toute en gros plans, et le traitement frontal, moderne et décomplexé de problématiques variées comme la religion ou la sexualité. Mais c’est dans sa diffusion que Skam est révolutionnaire : avant d’être programmées à dates et horaires fixes à la télévision, les différentes séquences qui composent les épisodes de Skam sont disséminées sur divers réseaux sociaux pendant toute une semaine, aux moments précis (jours et heures) où elles sont censées se produire. Pressentant en quelque sorte le succès actuel de Snapchat, les créateurs de la série ont parié sur le sentiment d’immédiateté, d’intimité créé par un tel concept, les spectateurs pouvant suivre à tout instant les pérégrinations de leurs héroïnes dans un effet de réel saisissant.

Hashtag
Téléphones portables et réseaux sociaux sont au cœur de la vie de leurs utilisateurs, carrefours d’interactions et d’informations desquels on peut difficilement se passer aujourd’hui, ce qui joue évidemment dans l’engouement de l’audience et se répercute d’ailleurs dans les aventures des personnages, nombre des développements de l’intrigue passant par les échanges de SMS et de commentaires – la crucialité de cet enjeu transparaît d’ailleurs clairement dans Hashtag. Série suédoise diffusée sur SVT et présentée aux côtés de sa rivale norvégienne lors de Série Series, elle adopte des codes de mise en scène très similaires (naturalisme, gros plans, électro…) et s’inspire des « Instagram Riots », échauffourées qui ont eu lieu en 2012 à Stockholm et qui ont vu des adolescents s’affronter à cause d’un compte publiant des rumeurs à leur sujet. Le fait de s’impliquer dans des réseaux sociaux peut être extrêmement prenant, et on comprend aisément l’immense succès du procédé de Skam. C’est immersif, définitivement nouveau & dynamique. Le risque : le récit est si contextualisé, lié au réel et à l’actualité, qu’il est d’une part impossible à exporter, et perd d’autre part en intérêt très peu de temps après sa diffusion. Les scénaristes profitent en effet de ce mode de narration particulier pour nourrir leur écriture des tendances et événements récents. Or les codes des réseaux sociaux et des nouvelles technologies ont pour caractéristique intrinsèque de se renouveler constamment et à une vitesse folle, entre la ronde invariable des memes, la péremption des plateformes populaires, l’adoption et le délaissement successifs des pratiques et réflexes… Si l’impact est maximal au moment de la diffusion, d’autant plus dans un cadre aussi immédiat, il risque de faiblir après quelques jours, quelques semaines, quelques mois, laissant place à des réminiscences floues, à une indifférence polie, ou à une incompréhension totale. Et si la cible – la génération actuellement adolescente – se sent concernée, leurs successeurs risquent de ne pas y trouver leur compte. Les séries qui ont réussi à s’adapter – et adopter – nouvelles technologies et réseaux sociaux sont-elles comme eux condamnées à une pertinence éphémère ?