On continue aujourd’hui la couverture du festival Série Series avec un petit aperçu de ce qui a pu être échangé lors du débat « Let’s talk about commissioning« .
Kézako ? Que signifie ce terme de commissioning ? Tout simplement le processus de commande d’une série. Comment et pourquoi un diffuseur s’engage dans un projet ? Quelle relation peut s’établir entre un créateur et une chaîne ? Pour participer à cette table ronde, des scénaristes et des directeurs de départements fictions en chaînes ont accepté de livrer leurs points de vue sur la relation parfois compliquée entre création et diffusion.
Étaient présents : Katrine Vogelsang (directrice de la fiction, TV2 Denmark), Christian Wikander (directeur de la fiction, SVT), Tone C.Ronning (executive producer drame and international co-productions, NRK), Sylvie Coquart (scénariste), Jeppe Gjervig Gram (scénariste) et Will Sharpe (scénariste, réalisateur et acteur).
Le rôle du diffuseur, censeur ou chef d’orchestre ?
La définition du rôle de la chaîne ne parait pas forcément aller de soi. Quel rôle un diffuseur doit-il jouer dans la création ? Comment choisit-il un projet ? Dans la profusion de projets proposés aux chaînes, au milieu d’une offre en fictions de plus en plus importante, le diffuseur semble en tout cas avoir un rôle de plus en plus essentiel.
Pour Katrina Vogelsang de TV2 Denmark il n’y a pas de règles fixées dans le marbre définissant ce que doit être un directeur de fiction. Un diffuseur pourra aussi bien être commanditaire d’un projet, être à l’origine d’une nouvelle idée ou à l’écoute de nouvelles propositions. Son premier rôle consiste à définir un cadre dans lequel l’auteur pourra créer. Il doit poser des règles pour structurer le travail de création sans jamais déposséder l’auteur du sens de sa création. Quel que soit le cadre, un auteur doit toujours se sentir propriétaire de son projet.
Le responsable de la fiction d’une chaîne est le garant d’une ligne éditoriale, qui doit être pensée sur le long terme et non sur l’envie de surfer sur une mode ou sur l’envie du moment. Le cadre, les règles qu’il ou elle pose pour structurer la création vont dans ce sens, veiller à la cohérence des propositions à l’inscription dans une identité et une logique claire propre à la chaîne.
Christian Wikander, directeur de la fiction en Suède chez SVT partage également ce point de vue. Pour lui son rôle consiste avant tout à définir une stratégie, à poser des objectifs à atteindre, que ce soit en termes d’audience, de qualité ou de manques à combler. Il n’a pas un ou deux projets à soutenir mais tout un ensemble de propositions qui doivent faire sens les unes avec les autres. Il est une sorte de chef d’orchestre veillant à porter des propositions solides qui lui donneront un bilan conforme aux objectifs. En sommes, un directeur de la fiction se doit d’être rationnel.
Selon Tone C.Ronning de NRK, un diffuseur se doit aussi d’être proactif. Il doit se rendre compte de ce dont sa chaîne peut avoir besoin. Quels en sont les manques les imperfections. Chez NRK par exemple, le problème actuel repose sur un vrai défaut de représentation de la diversité culturelle de la Norvège d’aujourd’hui. Trop centrée sur quelques classes sociales ou quelques milieux, la NRK ne parvient encore que timidement à être le reflet du multiculturalisme du pays. Une chaîne de télévision est indissociable de la société dans lequel elle évolue. La télévision est à la fois un miroir de cette société et un élément permettant de mettre en avant les questionnements et les problèmes qui soulèvent cette société. Le rôle du diffuseur c’est aussi être capable de poser un diagnostic sur la manière dont la chaîne remplit ou non ce rôle. C’est à partir de cette analyse que l’on peut travailler sur des projets susceptibles de correspondre aux besoins réels de la chaîne.
Au-delà du besoin de sujets innovants et modernes se pose aussi la question de l’originalité du point de vue. On en arrive là à un deuxième aspect du travail du directeur de la fiction, moins éditorial mais plus artistique, celui de découvreur de talents. Le diffuseur se doit d’être en veille permanente pour observer ce qui se fait, ce qui s’écrit, afin de pouvoir choisir les talents confirmés ou en devenir les plus à même de correspondre aux manques de la chaîne, les plus à même d’apporter une idée nouvelle, un traitement original. Avoir des sujets est une chose, mettre en avant un point de vue fort et original en est une autre si l’on souhaite avoir des séries de qualité.
Cadre de la création, définition des besoins de la chaîne ou encore découvreur de talents, le rôle du diffuseur commence à se préciser. Pour autant, cette définition des contraintes et des objectifs à atteindre ne serait-elle pas un obstacle pour le scénariste ? Ne serait-il pas tout simplement plus libre s’il créait sans cadre à respecter, comme dans le cas des web-séries par exemple ?
Selon Sylvie Coquart, créatrice notamment de la série Des Soucis et des hommes, le travail d’un scénariste est avant tout d’observer et de traduire le fonctionnement de notre société. De quelle manière sa relation avec l’industrie ou avec la chaîne peut-il influencer son regard ?
Pour le scénariste danois Jeppe Gjervig Gram, créateur de la série Follow the Money, une liberté totale n’est pas forcément la condition idéale pour un créateur. Au contraire. Avoir des contraintes, c’est avoir une direction à suivre, permettant de ne pas s’éparpiller en tous sens et de tenir une voie méritant d’être développée. Par ailleurs, les besoins du diffuseur de parler de la société dans laquelle nous vivons sont aussi les besoins du créateur. On ne crée pas à partir de rien mais bien à partir de ce que l’on observe, de ce que l’on constate sur le monde qui nous entoure. C’est cet objectif commun qui permet la naissance de projets. Une série doit être portée par un désir mutuel.
Les notes de développement ou le courrier du cœur des auteurs ?
Au stade du développement du projet, tous les possibles sont encore ouverts. Temps nécessairement long, le développement est le moment de l’expérimentation et de la recherche. Avant de parvenir à un script totalement maîtrisé où personnages et angles dramatiques prennent leurs formes finales, le développement nécessite un jeu d’allers et retour entre le ou les auteurs et leurs producteur et diffuseur. C’est durant cette étape que sont pris les choix fondamentaux sur lesquels reposera toute la série. Les échanges durant ce processus peuvent donc être extrêmement cruciaux.
Pour Will Sharpe, show runner de la série britannique Flowers, l’étape des notes de développement -le moment au cours duquel producteur et diffuseur expriment leurs points de vue sur le script- ne peut être productive que si la parole de tous est la plus libérée possible. Tous les partenaires doivent donner leur avis de manière totalement honnête et sans autocensure. L’analyse du script par des regards extérieurs peut être une chance de remarquer des choses nouvelles, des problèmes de construction ou de ressenti mais il faut que chacun puisse s’exprimer pour apporter son point de vue et améliorer l’ensemble.
Du côté des diffuseurs, Christian Wikander alerte cependant sur le risque qu’une multiplication des voix peut faire courir pour la cohésion de la création. Des regards très différents pourraient conduire à des désaccords entre producteurs et diffuseurs, une situation confuse pour l’auteur. Une coproduction ou un développement avec cinq ou six partenaires nécessite une organisation pour parler d’une seule voix sans s’éparpiller. L’auteur a besoin de clarté et de cohérence. Mieux vaut ne pas afficher une trop grande pluralité de regards pour ne pas perdre de vue le sens de la création, la direction que l’on a souhaité impulser dès le départ.
Chez TV2 Denmark, pour Katherine Vogelsang, les notes de développement doivent être les plus concises et les plus pragmatiques possibles. Nul besoin de rentrer dans des débats sur chaque page du script, de questionner tous les petits problèmes survenant au cours de l’histoire. Ce qui compte, ce sont les grandes directions qui auront des conséquences sur le reste. La méthode ? Faire des notes se limitant à 5 ou 6 points discutés avec les producteurs exécutifs mais non directement avec les auteurs. L’objectif ? Permettre aux producteurs de jouer leur rôle en mettant en commun leurs ressentis et celui des diffuseurs dans un seul point de vue mêlé qui viendra cadrer la création. A travers ce processus, on retrouve la nécessité d’ancrer tout de suite le propos dans le concret, comme le souci de parler d’une voix commune pour faire de la transmission d’avis de lecture un processus objectif.
Du point de vue du showrunner Jeppe Gjervig Gram, les notes de développement ne peuvent jouer leur rôle de conseil aux scénaristes que si elles sont aussi concrètes que possible sans tomber dans le piège de l’ingérence. Un diffuseur outrepasse son rôle s’il tente de pousser ou de mettre en avant des propositions de solutions devant un problème d’écriture. S’il le fait, il peut entrer en interférence avec la vision du créateur, son intervention peut être ressentie comme une tentative de pression par le scénariste ou le showrunner. Les remarques ne doivent pas être des propositions de solutions mais beaucoup plus l’expression de ressentis ou d’incompréhensions. Les réponses d’un diffuseur ne doivent jamais être perçues comme des ordres, des consignes à suivre à la lettre mais plutôt comme des conseils, des directions générales susceptibles d’aider le travail de création.
Autre risque relevé par Sylvie Coquart : le problème de certains diffuseurs pourrait se résumer à la peur de la moindre prise de risque. Certains directeurs de fiction peuvent ainsi trouver une idée qui les emballe mais, au fil de conseils, de notes et de remarques, ils vont sans vouloir faire aucun mal abîmer l’idée, tant et si bien qu’elle deviendra méconnaissable. Trop de cadrage peut asphyxier un projet. En essayant d’adapter à toutes forces le projet à l’idée qu’ils se font de leur audience, plus qu’à accompagner la création d’un projet original et de qualité, les directeurs de fiction peuvent perdre de vue ce qui les avait séduit en premier lieu. On en arrive ainsi à un processus de discussion complètement dicté par la peur du risque, mais qui paradoxalement peut donner l’impression à l’auteur qu’il est le seul à assumer tous les risques du projet.
Du côté des diffuseurs invités, et notamment de TV2, le facteur risque semble au contraire totalement assumé. Pour Katerine Vogelsang, les risques font partie du travail mais doivent être gérés pour ne pas décrédibiliser tout le département fiction d’une chaîne. Un diffuseur ne peut évidemment engager son budget aveuglément sur n’importe quel projet. Agir selon son seul instinct pourrait conduire à la catastrophe même si son expérience et ses goûts sont les premiers outils d’un diffuseur. Il faut qu’un projet entre en cohérence avec la ligne éditoriale d’une chaîne et avec son public. Il faut qu’il puisse atteindre des objectifs d’audiences minimum. On ne produit pas pour la beauté du geste, le diffuseur assume une responsabilité au niveau de toute l’industrie.
Le tournage, perte de contrôle pour auteurs et diffuseurs ?
L’étape du tournage constitue une vraie redistribution des cartes pour la création d’une fiction TV. On entre dans un processus complexe faisant intervenir plus d’acteurs dans le processus créatif. L’œuvre pourrait ainsi échapper au showrunner pour entrer dans une mécanique de création collective. Est-ce vraiment le cas ? Et le diffuseur, comment intervient-il au moment où tout semble se jouer ?
Avant même le tournage en lui-même, une première question fondamentale se pose sur la mise en image du script. A quel moment un réalisateur doit-il intervenir dans la conception de la série ? Doit-il travailler sur le script dès le début ? Doit-il être engagé juste avant le tournage ?
Pour Christian Wikander de SVT, un réalisateur, s’il n’est pas l’auteur, doit arriver dans la conception au moment où la production et le créateur ont le sentiment que le projet est stabilisé. C’est le meilleur instant pour faire entrer un nouveau regard dans la création du projet sans créer un trouble ou le risque d’un rapport de force dans la définition de la vision du projet. L’idéal, c’est aussi de faire intervenir l’auteur du script dans le processus du choix du réalisateur. Encore une fois, tout est histoire de confiance et d’habitudes de travail. Un auteur qui connait le travail du réalisateur chargé de mettre en images son récit sera peut-être plus à l’aise pour travailler avec lui.
La question de la confiance et du rapport entre auteur et réalisateur est primordiale en série mais ne se pose pas du tout de la même manière que pour un film. Au cinéma, le réalisateur peut être mis sur un piédestal et considéré comme le seul et unique auteur de son film tandis que le scénariste est plus considéré comme un technicien travaillant en amont de la création. En série, la relation est totalement inversée. Le réalisateur est souvent considéré comme un technicien au service du showrunner. Il est supposé ne pas être responsable de la qualité de la fiction, il se retrouve plus dans la position d’un artisan sublimant la création du scénariste. Or, ces deux considérations sont aussi ridicules l’une que l’autre et doivent être totalement dépassées pour le bien de la création. Les rapports de force doivent être laissés de côté pour faire place à une seule chose : le désir commun de donner vie à un projet.
Le tournage ne semble pas constituer non plus un moment de perte de contrôle pour le diffuseur. Même s’il surveille moins étroitement le processus de création en donnant son avis sur chaque prise de décision, il peut tout de même observer au jour le jour l’évolution du projet. Regarder les dailies -rushes des séquences tournées chaque jour- peut être un moyen pour le diffuseur de maintenir un regard très précis sur le projet et un moyen de discerner une différence entre l’idée et sa mise en image, pour corriger le tir si besoin. C’est aussi le moyen de s’apercevoir qu’un réalisateur n’est pas adapté à l’esprit que l’on a souhaité.
En dehors du principe des rushes, utiles mais pas forcément représentatifs de la vision du projet, le meilleur exemple de regard du diffuseur sur le tournage est peut-être à rechercher dans l’idée du pilote, tel que pratiqué aux Etats-Unis.
Très utilisé outre Atlantique, le mécanisme du pilote, consistant pour une chaîne à commander un premier épisode d’une série afin de tester en conditions réelles un concept, est beaucoup moins fréquent en Europe. Sur la chaîne SVT par exemple, la solution du pilote n’est employée que pour des projets difficiles, aux concepts peu traduisibles, reposant beaucoup plus sur des questions de feelings et de ressentis que d’angles dramatiques. Le pilote acquiert pour ces projets le rôle de véritable prototype permettant à la fois d’expérimenter et de trouver l’empreinte visuelle finale, tout en vérifiant du même coup que l’hypothèse souhaitée au départ fonctionne bel et bien.
La série de Will Sharpe, Flowers, a connu le processus du pilote avant l’engagement du diffuseur, Channel 4, dans une saison entière. Pour Will, ce dispositif a été extrêmement intéressant pour mettre en place l’univers graphique, la signature visuelle de la série. Créer un épisode dans des conditions proches du court métrage a permis de créer une véritable césure entre l’écriture et le tournage de toute la saison en se donnant le temps et les moyens de chercher et de trouver la bonne formule visuelle pour la série. Si le principe du prototype rassure le diffuseur, cela peut aussi rassurer le showrunner. Tout le monde peut énormément apprendre à travers ce processus. Acteurs, techniciens comme réalisateurs peuvent prendre leurs marques, expérimenter et définir des choix sans avoir la pression d’une dizaine d’épisodes à rendre au plus tôt. Le pilote peut ainsi se transformer en laboratoire de création.