Depuis le pilote (sur lequel Maguelonne s’était penchée ici) on n’avait jamais cessé de suivre le chassé-croisé amoureux, familial, professionnel et globalement existentiel des quatre personnages principaux de The Affair : Noah (Dominic West) et Alison (Ruth Wilson), couple né d’une relation adultère, et leurs ex conjoints respectifs, Helen et Cole (Maura Tierney et Joshua Jackson). Mais on l’avait fait discrètement, conscients qu’on regardait une série bourrée de qualités (et servie par des comédiens impeccables) mais parasitée par des handicaps. La faute à des intrigues trop « thrillerisantes » prenant parfois le pas sur la précision des portraits psychologiques qui sont le point fort de la série. La saison 3 avait même failli nous perdre. Il faut dire qu’elle était grandement desservie par une utilisation outrancière d’hallucinations destinée à surjouer la confusion. Sans compter une incartade en terrain français qui frôlait carrément le hors-sujet.
Avec la saison 4, qui s’est achevée en août, on peut enfin crier ouvertement notre amour pour le show. Pour la première fois, The Affair semble naviguer avec une parfaite aisance au milieu de ses propres fondamentaux. C’est que la série a réussi à se débarrasser de ses artifices sans se défaire des structures narratives qui ont fait son identité. Conservant sa fameuse alternance des points de vue, elle les répartit équitablement entre les différentes têtes du quatuor principal sur lequel l’action s’est complètement recentrée. Et si elle remet le procédé des flashfowards sur le tapis, c’est pour le meilleur effet. Dés le premier épisode, quelques bonds dans le futur disséminés çà et là nous informent qu’Alison sera portée disparue et recherchée par ses proches. Un événement qui n’a pas vocation à nourrir bêtement le genre policier ou de tendre un fil artificiel entre les personnages (comme dans la saison 1) mais qui découle limpidement des problématiques de la jeune femme et interroge ce que les hommes de sa vie – avec qui elle a toujours eu un rapport compliqué – croient savoir de son fonctionnement.
Plus que jamais, la série s’attache à rendre compte du psychisme de ses personnages. Sur le divan du psy, lors de séances de thérapie comportementale, et même chez une gourou (incursion en Californie New Age oblige), l’enjeu pour chacun des protagonistes – qui sont tous aujourd’hui bel et bien séparés – est de faire face à ses démons, et, enfin, d’alléger ses bagages. Comme peu de séries avant elle, The Affair a su matérialiser, à la seule force du dialogue, le poids d’une vie passée et de ses traumatismes. Alison traîne la charge infinie du chagrin et de la culpabilité causée par la mort de son fils des années plus tôt (rarement la portée d’un décès survenu hors-champ n’aura été été traitée plus finement qu’ici, et sans flashback s’il vous plait). Cole a également perdu cet enfant mais c’est plutôt l’obsession amoureuse qu’il entretient pour son ex-femme (avec qui il a aussi eu une fille) qui l’alourdit au quotidien et qui l’empêche de refaire sa vie avec sa nouvelle épouse. Quant à Noah et Helen, parents d’une fratrie de quatre, ils portent en eux le naufrage de 20 ans de mariage, qui a ébranlé leurs fondations et fait exploser leur vie de famille.
Chaque personnage semble animé d’une profonde volonté d’en découdre, d’assumer ses erreurs et ses responsabilités et de reconstruire sa vie. Après s’être beaucoup éparpillés, ils sont engagés à devenir de meilleures versions d’eux-mêmes. Le cheminement de Noah a des allures de rédemption. Moins écrivain égoïste que professeur investi en cette saison, il s’efface enfin un peu derrière les besoins des autres (ses enfants, ses élèves). Acceptant de jouer les adjuvants dans un show dont il avait toujours été plus ou moins la tête d’affiche, l’ex-taulard laisse notamment à son ex femme de l’espace pour se déployer. Et ce virage sur Helen est probablement une des meilleures choses qui pouvait arriver à la série. Face à l’adversité – c’est sans doute elle qui doit faire face aux plus grosses turbulences au cours de cette saison – celle qui assume le rôle d’inspiratrice montrera ô combien elle a le cuir solide. On pressent que Cole ne se relèvera pas avec autant d’aplomb. Au terme d’un voyage initiatique, Il avait enfin cessé de se mentir et assumer vouloir reconquérir Alison. Mais la jeune femme est morte. L’info tombe comme un couperet dans l’épisode 8 qui s’attache au regard porté par les autres sur l’événement. Rude destin que celui de ce personnage, dont le chemin aura toujours été bien trop tortueux. Mais qui aura néanmoins réussi à mettre sa douloureuse expérience au service d’une cause et de se défaire de son statut d’éternelle victime. Avant d’être rattrapée par une réalité qu’elle n’avait décidément pas méritée. L’épisode 9, point de vue de la jeune femme sur son propre décès, a l’implacabilité d’une machine de guerre, où le suspense ne sacrifie rien au bilan introspectif du personnage. La saison 5, à venir, aura la rude mission de prolonger une série qui, au terme d’une intense gradation émotionnelle, aurait pu s’arrêter sur un carton plein.
Magnifique article qui résume tout tellement bien, je suis d’accord sur quasiment toute la ligne. J’ai toujours du mal avec le rôle de Noah moi, parce que oui, il paraît prof investi… Mais nous n’avons que son point de vue donc on ne sait pas si c’est vraiment le cas 😅
Merci ! Pas faux pour Noah. Mais je suis quand même bien contente de ne pas avoir eu droit à un épisode consacré au point de vue de son élève ou de sa mère. J’avoue que c’est l’arc narratif qui m’a le plus barbé dans cette saison 2… moins que la copine française de la saison 3 certes. En fait, les personnages secondaires gravitant autour de Noah ont tendance à m’emmerder, et au final, ils servent surtout à le mettre en valeur, genre faire-valoir. Cela me semble moins le cas pour les personnes évoluant autour d’Helen, Allison, ou Cole. Peut-être que si j’avais vu ton commentaire avant, j’aurais exprimé davantage de réserve sur l’intrigue autour de Noah !