Showrunner : Hugo Blick

Hugo Edgar Maxwell Blick, de son nom complet, est un artiste total. A la fois réalisateur, scénariste et producteur, on lui doit notamment The Honourable Woman en 2014, avec Maggie Gyllenhal, et plus récemment Black Earth Rising, série que l’on a déjà encensée ici et qui est diffusée depuis 25 février sur Netflix. Retour sur un parcours singulier.

Hugo Blick, un artiste complet

Rien ne laissait présager qu’Hugo Blick assurerait tous les rôles créatifs en même temps à la télévision. D’abord acteur, il a marqué les esprits dans le rôle du joker jeune, dans le Batman de Tim Burton en 1989. Il poursuit ensuite quelques temps cette carrière en jouant des seconds rôles dans des productions anglaises.

Le tournant à lieu en 1997. Pour la première fois, il est co-scénariste : Operation Good Guys, un The Office avant l’heure, sort sur la BBC 2. Cette collaboration avec la chaîne ne sera jamais interrompue. Pour elle, il deviendra également réalisateur et producteur. Si la BBC lui donne carte blanche, cela n’est pourtant pas pour céder aux désirs d’un démiurge fou. Comme il le raconte lui-même, c’est avant tout une nécessité. Personne ne voulait travailler sur son deuxième scénario, Marion and Geoff. Il a donc endossé les casquettes de producteur et de réalisateur. Suite au bon accueil de sa création, il va garder l’habitude de cette méthode de travail. Avec raison, puisqu’en 2015, il est l’un des premiers à être nominé aux Emmys Award, pour The Honourable Woman, dans trois catégories : meilleure série, meilleur réalisateur et meilleur scénariste.

L’ubiquité dont il fait preuve pose pourtant des problèmes. Ainsi, il met plus de trois ans a minima pour développer un projet. Et même s’il s’agit plutôt de formats courts voir très courts (les épisodes de Marion and Geoff durent 9 minutes). Au fil du temps, si les épisodes se rallongent, il préfère néanmoins plus volontiers la mini-série et il y a rarement de saison 2 pour ses histoires. D’autres enjeux, d’ordre organisationnel, posés par le cumul des postes nécessitent l’adoption d’une méthode de travail particulière. L’une de ses techniques principale est de bien cloisonner les différentes étapes de création. Ainsi, il ne revient jamais sur le scénario au moment de tourner. Au début de chaque projet, il discute avec les autres chefs de poste (décorateurs, costumier, chef opérateur…), s’assure qu’ils ont bien saisi les enjeux principaux du scénario puis les laisse travailler de manière autonome.

Un mélange des genres

L’une de ses premières œuvres est un mockumentary (Operation Good Guys), soit une satire tournée sous la forme d’un faux documentaire. Cela donne le ton de ses productions suivantes qui sont des fictions comiques. Mais c’est un humour souvent grinçant, qui va chercher le côté sombre de l’humanité. Et, petit à petit, ses projets sont de plus en plus dramatiques, jusqu’à devenir particulièrement noirs. Pour autant, l’humour ne disparaît jamais. Même dans Black Earth Rising, dernière série en date (2018) dont le thème se prête peu à la gaudriole puisqu’on y parle génocide. Il explique cela par un rapport fort à la tragi-comédie : “I’m always looking to find something to laugh about. The darker things go, the funnier it is. Humour is armour, it’s strength ; if you can find the humour in a horrific situation, you can contain it.” Pourquoi cette évolution, de la série comique au drame, plutôt rare dans le monde de la télévision ? Blick aime à dire que ce qui compte pour lui, c’est avant tout l’idée qu’il poursuit et qu’il souhaite transmettre. C’est ce qui sous-tend ses projets. Et ce n’est que dans un deuxième temps qu’il choisit le genre qui sera le meilleur véhicule de cette idée. Il peut même aller jusqu’à changer de genre plusieurs fois au sein d’une même œuvre, si cela peut lui permettre de la développer intelligemment. Ainsi, The Shadow Line, diffusée en 2011, passe du genre policier, au drame, au thriller puis à la série d’espionnage et de conspiration. Le genre n’est donc qu’un moyen, et jamais une fin. Il en parle même comme d’une ruse. C’est-à-dire qu’il utilise des codes très identifiés du divertissement pour faire venir le public mais veut échapper à ces mêmes codes qui ont tendance à formater le fond des œuvres. Il les fait donc disparaître (ou évoluer) au fil des épisodes pour se débarrasser de tout formalisme et offrir un écrin original à sa pensée.

Ce rapport aux genres crée aussi un style singulier. Passer de l’un à l’autre génère au sein de ses fictions des changements de rythmes qui peuvent être déstabilisant. Si les premiers épisodes de The Honourable Woman sont très dilatés, prenant leur temps pour poser la narration, les suivants sont beaucoup plus haletants et enlevés. Ils alternent volontiers temps calmes et retournements de situation effrénés. C’est sur cette alternance et ce travail du rythme que se concentrent les effets du showrunner. Car cet adepte du « less is much much more » avoue porter un intérêt limité à l’image et aux mouvements de caméra. Ce qui compte pour lui, c’est surtout de trouver un angle d’observation de la caméra fort, qui sera signifiant et de laisser les acteurs dérouler la scène naturellement dans ce cadre. Que ce soit pour l’écriture ou l’image, la méthode est la même : choisir un angle ou une idée forte qui va sous-tendre tout le projet et dicter les choix formels.

Intimité, morale et réconciliation

Quelles sont ces idées qu’il développe et ces angles qu’il choisit pour ses scénarios ? Côté angle, Hugo Blick aime aborder ses histoires du point de vue de ses personnages. Et plus encore, à travers la représentation de leur intimité. Au début de sa carrière, cet intérêt s’exprime radicalement : plusieurs de ses projets sont des épisodes composés uniquement de monologues filmés. Notamment deux projets, Marion and Geoff et Up in town qui sont très similaires dans leur démarche. Il s’agit de deux séries à épisodes courts, dans lesquels des personnages, un chauffeur de taxi issu des classes populaires dans le premier, et une femme d’âge moyen des beaux quartiers dans le deuxième, expriment face caméra leur solitude et leur détresse face au divorce toujours sur le ton de l’humour, l’un depuis son taxi et l’autre depuis sa chambre où elle aime à se faire belle. Dans chacun des cas, la caméra est une confidente des pensées les plus secrètes des personnages. Elle pénètre leur quotidien, l’espace de travail pour l’un et l’espace de vie pour l’autre, afin de percer leur carapace et d’exposer aux yeux des téléspectateurs leurs failles cachées sous le vernis social. C’est aussi une autre série sous la forme de monologues filmées, The Last Word Monologues qui sera son point de bascule entre la comédie et la série plus noire, policière ou thriller. Ici, il s’agit de monologues tragi-comiques où les personnages qui s’expriment ont choisi de donner (ou de se donner) la mort. Il aborde donc pour la première fois le genre « criminel » par le biais du monologue. Ce premier essai va nourrir ses productions suivantes puisque, malgré des changements de format et de genre et l’abandon du monologue et de la comédie pour le drame et le suspense, il conserve ce désir de raconter une histoire en traitant l’intimité de ses personnages. Ainsi, que cela soit dans Sensitive Skin, The Honourable Woman ou Black Earth Rising, les enjeux de la narration ne sont jamais exclusivement tournés vers une enquête loin de ses protagonistes, il aime mélanger l’intrigue policière (ou d’espionnage ou politique) avec des éléments de la vie personnelle de ses personnages. Les décors qui leurs sont familiers sont des lieux récurrents : chez eux, dans leur famille. On croise beaucoup la thématique du secret dans ces lieux où l’on se révèle. Les scénarios d’Hugo Blick consistent autant à aller au bout des enjeux policiers qu’à la résolution des bouleversements intimes des personnages. Et bien sûr, il explore de manière approfondie le cheminement de leurs pensées qu’il nous montre volontiers en détail. Les spectateurs sont ainsi aux premières loges de leurs failles, de leurs contradictions et de leurs questionnements moraux.

Car l’une des idée directrice qui infuse son œuvre tourne autour de la moralité. En effet, ces personnages qui se débattent entre leurs préoccupations personnelles et des enjeux plus vastes, sont souvent confrontés à des dilemmes cornéliens qui interrogent leur éthique. Il est plus d’une fois question dans les fictions de Blick de savoir si certains choix que l’on peut faire pour soi ne se révèlent pas néfastes pour les autres, voire parfois immoraux. Ce traitement scénaristique, sans aucun manichéisme, peut même conduire à ré-interroger nos notions de bien et de mal. Par exemple, dans The Shadow Line, on suit une enquête menée à la fois par les voyous et par la police. On ne sait jamais vraiment qui incarne le bien et qui incarne le mal des deux côtés de la barrière, puisque tous les personnages ont des motivations qui peuvent se justifier mais qui entrent en contradiction et sont génératrices de violence et de souffrance. Autre exemple, à une échelle plus politique, Black Earth Rising interroge la porosité entre les statuts de bourreau et de victime. Comment éviter de passer de l’un à l’autre lorsque l’on cherche à retrouver une forme de dignité ? Blick suggère néanmoins une piste qui pourrait permettre de dépasser toute forme de relativisme et d’être un guide pour s’assurer de faire les bons choix sur le plan moral : il faut d’abord dépasser ses luttes internes et atteindre une forme de réconciliation avec soi-même. Dans ses deux dernières séries, The Honourable Woman et Black Earth Rising, il va plus loin, suggérant que la réconciliation individuelle et des peuples va de paire. Il est question de conflits qui semblent insolubles : Israël et la Palestine d’un côté et celui du peuple Rwandais avec sa mémoire suite au Génocide de l’autre. Pour faire avancer la cause de la paix, il faut que, dans l’une et l’autre série, ses protagonistes principaux parviennent à solder leurs tiraillements intimes, à se réconcilier avec eux-mêmes et avec leurs proches pour pouvoir être en mesure de faire les bonnes actions qui pourront aider à avancer vers un monde plus apaisé.

En bref, Hugo Blick est un showrunner atypique. Il est à l’origine d’une œuvre qui pourrait paraître à première vue très hétérogène, du fait de l’utilisation diversifiée qu’il fait des genres sériels. Mais en réalité, on retrouve une certaine unité dans sa filmographie. Non seulement dans sa méthode de travail, qui consiste à mettre le genre au service d’une idée, quitte parfois à en faire exploser les codes mais également dans ces mêmes idées qui l’obsèdent. Artiste total et talentueux, il parvient à transmettre sentiments et réflexions, tout en produisant des séries efficaces qui ne sacrifient rien du plaisir du spectateur. On attend son prochain projet avec impatience et on ne peut que conseiller de se plonger dans ses autres productions en attendant.

Ses séries :
  • 1997 Operation Good Guys
  • 2000 Marion and Geoff
  • 2001 A small summer Party (prequel de Marion and Geoff)
  • 2002 Up in town
  • 2005 Sensitive skin
  • 2008 The Last Word Monologues
  • 2011 The Shadow Line
  • 2014 The Honourable Woman
  • 2018 Black Earth Rising
Sources :

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