Etude de pilote : True Detective

True Detective était attendue comme LA série de 2014. Réunissant des talents de tous horizons, comme Nic Pizzolatto, le showrunner*, écrivain multi-récompensé pour son premier roman, Cary Joji Fukunaga, le réalisateur de Sin Nombre et d’une version récente de Jane Eyre, ainsi qu’un casting de rêve (Matthew McConaughey et Woody Harrelson, accompagnés par la jolie Michelle Monaghan), la petite nouvelle d’HBO qui était prévue pour être une anthologie* de 8 épisodes (pour le retournement de situation et les fans de Woody/Matthew, plus d’infos ici), est accueillie par une pluie d’éloges. Compte-rendu de ma découverte et analyse du premier épisode.

True Detective

Un retour aux sources de la fiction américaine

La première impression que donne le projet, c’est celle d’une maîtrise totale. En terme de facture, le premier épisode rappelle les films hollywoodiens classiques qui tentaient d’arriver à un « style invisible », c’est-à-dire d’effacer de l’écran tout ce qui pouvait montrer au spectateur qu’il était devant un film (mouvements de caméra voyants, effets de mise en scène…), pour éviter de troubler son immersion et pour mettre le cinéma au service de l’histoire et de ses personnages. En résumé, un travail et des moyens considérables, qui doivent rester discrets. True Detective est un exemple de fluidité, qui n’est pas sans rappeler (et ce n’est pas là son seul point commun) la mise en scène de Jeff Nichols dans Mud, sorti l’année dernière sur nos écrans. L’histoire est celle de deux policiers, l’un simple père de famille (Harrelson), l’autre mystérieux, pessimiste et nouveau en ville (McConaughey), qui se retrouvent confrontés à un meurtre étrange et déroutant, maquillé en rituel païen. Cette histoire est racontée par les personnages eux-mêmes, quinze ans plus tard, à d’autres policiers venus écouter les faits.

True Detective

L’histoire est assez basique. Un meurtre, deux flics, une enquête. Elle rappelle un nombre considérables d’œuvres d’un genre américain classique, aussi bien en littérature qu’au cinéma : le polar. True Detective reprend des codes du roman noir. On y voit un personnage d’enquêteur très ambigu, dont les démons intérieurs vont converger avec l’affaire sordide sur laquelle il est chargé d’enquêter, déclenchant une proximité et une obsession pour celle-ci, s’accompagnant souvent d’une attitude auto-destructrice. On voit cela de manière récurrente dans la littérature policière, comme dans les livres de James Ellroy. Étonnamment, cette structure particulière a filtré vers d’autres genres que le polar pour devenir un cliché, que l’on retrouve dans énormément de séries, le meurtre en moins. On pense au mystère et au traumatisme secret de Don Draper dans Mad Men, l’obsession auto-destructrice de Dr House… On trouve aussi, dans le genre policier, la reprise de ce type de personnages, pour ne citer qu’eux, les figures de Ryan Hardy dans The Following ou de Will Graham dans Hannibal. De ce point de vue, le personnage de Cohle, interprété par McConaughey, n’est ni neuf, ni vraiment original. Pourtant, la série arrive à rendre le personnage fascinant, grâce à un retour aux sources du récit américain classique. On retrouve par exemple, de manière très prégnante, le motif de la déambulation en voiture, très présent dans la littérature noire.

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Il y a d’autres éléments, non plus empruntés à la littérature mais bien au cinéma, qu’on peut remarquer. Le plus frappant est la technique de narration. Comme évoqué plus haut, l’histoire est racontée par les protagonistes eux-mêmes, mais une dizaine d’années plus tard. Ce procédé, dans lequel le narrateur est le personnage qui se souvient, le rendant omniscient, est une technique narrative classique. On le retrouve dans Assurance sur la mort de Billy Wilder. Même si dans True Detective il n’y a pas de voix-off, les longs passages d’entretiens, où les personnages jugent leurs actions a posteriori, guidant les autres flics (et par voie de conséquence, le spectateur), vers ce qu’ils souhaitent qu’ils voient (pour éventuellement les tromper plus tard), rappellent les films noirs classiques des années 50. Cette filiation qui convoque toutes nos images et nos fantasmes d’un genre propre à la fiction américaine, sans les appauvrir, contribue à l’impression de voir une œuvre importante dès le visionnage du premier épisode.

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Une mystique du paysage

La grande différence qu’il y a entre True Detective et le polar classique, c’est le fait qu’il se situe en Louisiane. Normalement, le film noir est urbain, sombre. Ici, les paysages sont naturels et ensoleillés, typiques de la Louisiane. Nous sommes là dans un autre fantasme sur l’Amérique, celle qui est reculée et pauvre, très religieuse. Là encore, l’utilisation de ce paysage n’est pas très neuve. On a cité Mud plus haut, mais on peut également parler de True Blood dans l’univers des séries. De plus, l’ambiance est accentuée par la musique de T. Bone Burnett, musicien reconnu notamment pour son travail avec Bob Dylan.

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Cette imagerie classique a très certainement été transformée par de nouvelles influences. Une certaine lenteur, conjuguée à une nature froide, est une inspiration venue des séries du nord de l’Europe. Mais si la lenteur dans les séries nordiques, comme par exemple, dans The Killing, sert à ralentir l’action, nous faire vivre au rythme des personnages, restituer un réalisme dans le fait de les voir vivre leur quotidien, elle a un tout autre sens dans True Detective. Le show de Nic Pizzolatto a été très influencé par Top of the Lake. D’ailleurs, les deux séries partagent le même chef opérateur, Adam Arkapaw, et ce n’est pas un hasard. Je ne vais pas analyser à nouveau Top of the Lake, Arthur l’a déjà fait dans un article précédent. Il mettait en avant le fait que la série amenait une représentation de la nature presque symbolique et mystique. Selon moi, la lenteur du récit et des événements n’est pas étrangère à cet effet. Dans la même veine, True Detective réussit à rendre une ambiance particulière, grâce à un ralentissement de l’intrigue. On a l’impression que la nature, les hommes et les événements sont animés d’une même pulsation, dans un espace figé et atemporel. Dans cette nature de l’Amérique profonde, plus mystique que réaliste, nous ne sommes donc pas surpris de voir apparaître des éléments fantastiques de manière très naturelle. Dans un passage de l’épisode, le fantôme de la fille de Cohle surgit comme un événement normal. Cette ambiance mystique et fantastique est encore renforcée par les nombreuses allusions à la croyance, aux rites et à la religion : que ce soit les personnages qui dissertent sur leur philosophie de la vie, le meurtre mis en scène rituellement ou les quelques plans dans une église, tout conjugue à la construction d’une atmosphère de mystère, parfaitement réussie par la série.

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En conclusion, malgré un très grand classicisme, on a un sentiment de voir quelque chose de profond et d’important dès le premier épisode. Sensation plus forte encore puisqu’elle est chargée du magnétisme de Matthew McConaughey, l’un des acteurs les plus impressionnants aujourd’hui. Je ne peux donc que conseiller le visionnage de ce premier épisode, en espérant que le show prenne par la suite la destination qu’il semble prendre aujourd’hui : celle d’une grande série.

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6 réponses à “Etude de pilote : True Detective

  1. Juste pour relever un ou deux points de détail. D’abord il y a bien du roman noir en Louisiane (James Lee Burke en est le plus parlant exemple), en ce qui concerne le « paysage » (à la différence de Top of the lake dont la nature grandiose qui donne l’échelle de l’activité humaine par rapport ) on est ici dans les badlands, quasi péri urbains, avec en toile de fond les raffineries, ce qui change tout. ( Plutôt que dans les bayous ou les éternelles white trasheries appalachiennes) Nous sommes presque plus dans Badlands (Le movie) que dans Mud. Et je trouve que l’on ne rend pas assez hommage à la complexité , sombre et lumineuse de Rust, personnage dont on a certainement déjà vu ailleurs par bribes ailleurs (Life) mais qui est bien plus complexe que ça, la série reposera sur cette abime, si je puis dire. Et enfin pour conclure, la dimension qui n’est pas prise en compte mais qui est essentielle est celle du « mensonge » permanent que l’on voit dés le pilote. Tout le monde nous raconte une histoire, comme il veut. ce qui en fait une série autrement plus complexe que le « Whodunit » traité par dessus la jambe dans « Dimension série » d’Arte par Manuel Raynaud, qui est présent ailleurs sur votre site.

    • Merci de l’intérêt et de l’attention que vous avez porté à lecture de l’article.
      Pour vous répondre point par point, il y a une confusion. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de polar en Louisiane. Le terme polar classique était mal choisi et renvoyait plutôt aux films noirs des 50 qu’à la littérature. Il existe peut-être des films de l’époque dans ces régions, mais j’avoue n’en connaître aucun (excepté un très bon Fritz Lang).
      Concernant les paysages, vous avez raison, mais je trouve que les deux se côtoient. Il y a du péri urbain, mais également des plans sur l’étendue de la nature (que cela soit dans les champs de blés, sur les alentours) et cette insistance a un sens pour moi. C’est donner de l’ampleur au quotidien. Et je suis d’accord avec vous, dans une logique exactement inverse à Top of the Lake (mouvement de la nature vers l’homme alors que plutôt du quotidien et de la nature transformée par l’homme vers une immensité et une poétique mystique dans True Detective). Il n’en reste pas moins que dans les deux cas on a une réflexion sur l’homme dans son milieu, le tout filmé de manière très esthétisée.
      J’ai fait la comparaison avec Mud car l’étalonnage et la manière d’avancer dans la nature (travellings…) sont assez proches pour moi mais effectivement ce n’est peut-être pas la comparaison la plus pertinente.
      Concernant le mensonge, encore une fois je n’ai pas du être assez explicite et effectivement j’aurais pu le développer plus. C’est ce que je voulais évoquer dans le passage de l’article sur la technique de narration : on fait confiance directement à la voix qui raconte quitte à se faire complètement manipuler par elle et à le découvrir après.
      Enfin, sur Manuel Raynaud, l’idée est de le faire parler de la profession de journaliste série, tout comme nous avons interrogé un producteur et bientôt une scénariste et je crois qu’il le fait assez bien même si nous pouvons avoir des points de désaccord sur les séries elles-mêmes.

  2. Merci Sophie pour la clarté de votre réponse. je pense effectivement, mais vous en aurez surement l’occasion de le développer plus tard, que l’un des points centraux de TD est le mensonge, et l’idée que tout le monde « raconte des histoires »

  3. Pour les films tournés en Louisiane ou à New Orleans, le plus True Detectivien serait « Dans la brume électrique », en plus urbain Bad lieutenant, The big easy, et evidement le Flaherty «  »Louisiana story » mais c’est de l’antique.

  4. J aime bcp le fait que ce soit tourné en Louisiane, cela rappelle évidemment the big easy mais surtout Propriété interdite de Pollack, merveilleux endroit pour film sombre, glauque . Ton article est bien sur très travaillé. Perso suis fan inconditionnelle de cette série , l évolution psychologique des deux flics est très bien réalisée, quand à l’ enquete elle meme on s’ en fout un peu. Mc Conaughey est époustouflant. Cependant la saison 2 me laisse septique, à vrai dire je n’ y crois pas trop.

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