Après la production avec Antonin Ehrenberg et le journalisme avec Manuel Raynaud, Séries Chéries s’est penché sur le mécanisme de la création et de l’écriture d’une série en France. Pour nous éclairer sur le sujet, nous avons rencontré Clothilde Jamin, directrice de collection de Falco.
Comment êtes-vous devenue scénariste ?
Il n’y a pas un moyen unique de devenir scénariste. Tous les gens que je rencontre dans ce métier ont des parcours différents. J’ai toujours été passionnée par l’écriture, par la télévision, par le récit au sens large, mais j’ai commencé de l’autre côté, en faisant du conseil pour la télévision, fiction, magazine ou divertissement. Les chaînes venaient nous voir pour optimiser leur programme : qu’il plaise à tel ou tel public, ou alors pour comprendre pourquoi il marchait moins bien. Grâce à plusieurs rencontres, je suis arrivée chez Beaubourg Audiovisuel pour faire du développement. Et Falco est arrivé…
Falco est une commande de TF1 à Beaubourg Audiovisuel ?
C’est plutôt le fruit d’une envie commune. Beaubourg travaille depuis longtemps avec TF1, notamment sur Profilage, qui en est à la saison 5. On a entendu parler de Der letzte Bulle, la version originale de Falco, on a eu un coup de cœur. On s’est lancé sur ce projet et c’est devenu Falco.
Quelles sont les différences entre Falco et la série originale allemande, Der letzte Bulle ?
Elles sont énormes. Au début, quand on a vu la série allemande, on a tout de suite accroché au concept : un flic qui sort de vingt ans de coma. On voyait tout de suite ce que ça impliquait sur le décalage avec l’époque, sur les liens avec la famille… Mais si la série allemande est très axée sur la comédie, nous étions plus spontanément attirés par l’aspect tragique du sujet : un pan entier de notre vie qui disparaît. Le temps qui s’évapore. Un des plus grands drames qu’on puisse vivre, c’est qu’on nous vole du temps. Personne ne peut gagner ou acheter du temps. Cet homme se réveille et, en un clin d’œil, réalise que la vie des autres a continué, mais que la sienne s’est figée. C’est ça qui nous a interpellé. Du côté du polar pur, les publics ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. En France, en prime time, les enquêtes policières sont plus denses, plus corsées. On s’est donc retrouvé naturellement à faire quelque chose de beaucoup plus sombre que la version originale.
Quel est votre titre officiel sur Falco ?
Je suis directrice de Collection. J’étais seule pour la saison 1, Olivier Dujols m’a rejoint sur la saison 2. Nous sommes scénaristes, mais nous travaillons aussi avec le réalisateur, les comédiens, avec nos interlocuteurs chez TF1. On participe aux castings, on regarde les montages. On suit chaque épisode depuis sa naissance jusqu’à sa diffusion.
C’est un peu l’équivalent du showrunner américain ?
Ce n’est pas exactement la même chose. La structure n’est pas la même. Mais dans l’idée, peut-être un peu.
Vous avez l’occasion de travailler avec le réalisateur ? Vous assistez au tournage ?
Le travail avec le réalisateur est crucial dans la fabrication d’une série. Il y a cinq semaines de tournage pour deux épisodes (on les tourne souvent par deux). Avant ça, on a cinq semaines de préparation, de travail quotidien avec le réalisateur. On échange, on discute, on remodèle, on soumet le texte aux impératifs de production : c’est la rencontre entre le texte et l’image. Cette étape est primordiale.
Est-ce que vous avez l’opportunité de travailler les dialogues avec les acteurs ?
Oui, et même au delà des dialogues. Falco, c’est aussi une équipe formidable de comédiens, Sagamore Stévenin en tête. Ils connaissent la série et leurs personnages par cœur, ils vivent avec. On discute avec eux de leurs personnages, on écoute leurs propositions, on échange beaucoup.
Pour le travail de préparation, vous avez fait des recherches immersives sur la police, sur le coma ?
Les scénaristes de polar sont des gens qui connaissent bien le milieu de la police, même si Falco n’est pas un documentaire sur le travail policier. Pour le coma, nous sommes allés dans un hôpital avec le réalisateur, le premier assistant et le comédien -Sagamore Stévenin- pour discuter avec un médecin et respecter un sujet très difficile pour les gens qui y sont confronté. Mais on reste dans la fiction. Des gens qui se sont réveillés après un coma aussi long, c’est arrivé, mais c’est extrêmement rare.
Vous êtes combien de scénaristes par épisode ?
Il y a la direction de collection : Olivier Dujols et moi-même. Nous écrivons certains épisodes tous les deux, généralement les entrées et les fins de saison. Mais sur la majorité des épisodes, nous travaillons avec une équipe de scénaristes qui se concentrent sur le polar. Les arches (ce qui arrive aux personnages au sein de chaque saison) sont définies en amont par Olivier et moi, et c’est nous qui les écrivons dans chaque épisode. Au final, pour la majorité des épisodes, on est trois : la direction de collection et le scénariste.
Quand vous écrivez pour TF1, est-ce qu’il y a un cahier des charges ? Est-ce qu’il y a un style TF1 ?
Un style TF1… oui forcément. C’est une chaîne grand public, donc il faut s’adapter à un public large (et ce n’est pas un gros mot). On a potentiellement des enfants devant la télévision, il faut le prendre en compte. Plutôt que sur le fond, ça influe sur la façon de raconter les choses : la violence, par exemple, on peut en parler sans la montrer. Tout est une question de dosage. On a une vraie relation de confiance avec la chaine, et c’est précieux.
Est-ce qu’il y a une volonté de rester dans une tradition ? De s’en détacher ? De chercher un peu ailleurs, vers les séries américaines, par exemple ?
A la création de la série, on a essayé d’avoir des références précises. On s’est dit par exemple : “ça va être un mélange entre Luther et Castle”. Mais rapidement, la série est devenue une entité quasiment vivante. Il y a le scénario, bien sûr, qui se développe, puis tout ce qui l’incarne, et particulièrement le héros, Sagamore. On se nourrit de lui, il se nourrit de nous. Et il y a aussi la réalisation, notamment Alexandre Laurent, qui est là depuis la naissance du projet et qui a apporté tout son talent à la série : le fait d’être proche des comédiens, de filmer caméra à l’épaule, la volonté de faire quelque chose de très subjectif, quasiment charnel, ça vient de lui.
Le succès de la série a changé quelque chose ?
Quand on travaille sur un tel projet, à long terme, on ne se réjouit jamais trop vite, c’est une aventure de longue haleine. Au début, on se lance dans l’écriture, sans certitude que cette série sera tournée. Quand le tournage commence, il faut attendre de voir le premier épisode, s’il est à la hauteur des attentes. Puis il y a la diffusion, et les audiences, etc. En fait, il y a toujours un nouveau défi à relever.
Quand vous avez commencé à écrire la série, est-ce que vous aviez déjà la fin en tête, ou est-ce que ça vient au fil des épisodes ?
On a des trames, mais elles bougent. Si on est trop rigide, ça devient intenable. Encore une fois, une série c’est vraiment quelque chose qui a une vie propre. Et les idées peuvent arriver au fur et à mesure. Disons que ces trames sont un cadre, une épine dorsale, mais malléables. On s’offre la liberté de s’adapter.
La saison 2 est en tournage ?
Il vient de se terminer. On a qu’une hâte, voir les épisodes montés !
Vous êtes déjà lancés sur la saison 3 ?
Oui, Olivier et moi venons de commencer l’écriture des deux premiers épisodes. On a déjà un fil à fil sur le premier épisode. On le retravaille demain. Pour probablement s’apercevoir que ça ne marche pas, et qu’on va devoir tout reprendre. Mais à chaque fois, on avance un peu plus. C’est le lot du travail de scénariste. Mettre ses idées à l’épreuve en permanence.
C’est quoi un fil à fil ?
Séquence 1 : le chat mange du poisson. Un chien arrive et vient lui voler. Séquence 2 : Course poursuite entre le chat et le chien. Le fil à fil c’est un mini-séquencier, un déroulé de l’histoire. Dans chaque séquence, on doit comprendre le cœur de l’intention. L’enjeu, comme on dit. Et chaque séquence doit être indispensable au fonctionnement total de l’épisode.
En combien de temps on réalise une saison ?
Ça dépend. Pour la saison 1, en deux ans, on a fait 6 épisodes ! C’est plus rapide pour la saison 2, et on espère que ça le sera encore plus pour la suite.
Qu’est-ce qui a changé entre la saison 1 et 2 ?
Une saison 1 est toujours plus longue à mettre en place. On définit ce qu’est la série, on en trouve l’ADN. C’est très important de prendre le temps à cette étape. Ensuite, quand les bases sont solides, ça va forcément plus vite. Les gens sont toujours très étonnés des temps de développement et s’attendent à avoir la suite dans 6 mois. C’est vrai qu’aux États-Unis les délais ne sont pas les mêmes.
Vous pensez que c’est amené à changer ?
Oui je pense. Par exemple Profilage ou RIS section de recherche font 12 à 14 épisodes par an. Ce n’est pas encore les 22 à l’américaine mais il y a une envie. Mais les systèmes sont organisés de manière tellement différente qu’il faudrait tout revoir pour en sortir 23 ou 24.
On sent qu’il y a quand même un appétit en France pour voir plus d’épisodes…
C’est vrai. On va le plus vite possible. Mais il faut avouer que c’est encore un peu artisanal en France.
Comment faire pour améliorer les choses ? Il faudrait travailler avec plus de scénaristes ?
Oui, mais pas seulement ! C’est toute une industrie à revoir. Nous on s’y attelle, mais ça reste un peu expérimental. Et puis je pense que le modèle ce ne sont pas les États-Unis, mais plutôt le système anglais ou nordique. Ces pays arrivent à faire des séries de qualité, originales, osées, et qui marchent dans le monde entier. Et leurs industries ne sont pas si différentes de l’industrie de la série française.
Selon vous, quelle est la différence majeure entre ciné et télé ?
Ce sont deux manières différentes de raconter des histoires. La série est une histoire au long cours. Elle offre la place pour développer des univers très forts, des personnages creusés et fédérer les téléspectateurs sur la durée. Elle génère aussi un vrai effet d’attente à la fin d’un épisode. Les personnages des séries font quasiment partie du quotidien des téléspectateurs. J’ai eu plusieurs fois l’impression de croiser les personnages de Six Feet Under dans la rue. Comme si c’était mes amis. C’est une des principales richesses de la série par rapport au cinéma. Peut-être aussi que la série est plus formatée. Pour chaque épisode de Falco, on sait déjà qu’on a que 50 minutes pendant lesquelles on doit faire exister le héros, les autres personnages, mais aussi une intrigue policière. Le tout dans une économie qui n’est pas la même que celle d’un long métrage. Donc effectivement, ça peut être un casse tête. Personnellement, j’aime bien ça. Je trouve qu’il n’y a rien de plus stimulant que de devoir rentrer dans des cases pour essayer de twister, de déformer…
Ce formatage il est dû à quoi ? A la nécessité de la diffusion télé ?
Encore une fois, le terme de formatage n’est pas un gros mot. Un format, c’est un format. Il est dû au fait que l’on n’a que 50 minutes par épisode. Divisés en actes et en cliffhangers. Les cliffhangers c’est quoi ? C’est naturel, on en met tous. Même pour une histoire racontée à la machine à café : “et là, tu sais pas ce qu’il m’a dit ?” Une série, ce sont des mouvements. C’était déjà pareil au théâtre il y a deux cents ans. C’est un mode de construction. Ça veut pas dire qu’on ne peut pas jouer avec, le déformer, mais c’est quand même une base solide.
Quelles sont vos séries préférées ?
Luther je crois.
Et en France ?
Je ne vais pas être originale : Les Revenants. Fais pas ci, fais pas ça, Profilage, c’est très bien, Les Hommes de l’ombre, c’est une bonne série… Il y a beaucoup de bonnes idées dans la fiction française, malheureusement, le résultat final n’est pas toujours à la hauteur, il peut être un peu broyé par la machine.
Pourquoi ?
On en a déjà parlé : une série, c’est une succession d’étapes. Donc d’intervenants. Donc de points de vue. Entre les auteurs, les producteurs, les diffuseurs, les réalisateurs, c’est primordial de respecter le rôle de chacun, mais aussi d’établir un rapport de confiance et une collaboration permanente. Sinon, le projet initial peut devenir une moyenne de plusieurs points de vue différents. Au risque de ne plus en exprimer aucun.
Est-ce que le manque de moyens peut aussi être une explication au fait que le résultat soit décevant par rapport à l’idée d’origine ?
C’est en train de changer, même si on est encore un peu coincés entre ce qu’était la série française de ces vingt dernières années et l’envie de faire du nouveau. C’est difficile de faire les deux en même temps, et c’est d’ailleurs le challenge pour une chaîne grand public : comment faire pour garder un public fidèle depuis vingt ans tout en innovant ? Plein de nouvelles fictions vont dans ce sens, mais c’est délicat.
Et en même temps TF1 a beaucoup misé sur des séries américaines comme Dr House ou Les Experts en prime time, habituant les spectateurs à de nouvelles formes de séries et faisant évoluant leur public, non ?
Oui, mais ce sont des séries américaines. Combien de personnes de moins de 30 ans regardent la fiction française ? Les jeunes pensent que ça n’a pas changé depuis 10 ans. Et le fait est que si, ça a changé. Mais s’ils ne regardent pas, ils ne peuvent pas voir que ça a changé, et comme ils ne regardent pas car ils pensent que ça n’a pas changé, c’est un cercle sans fin. Ce n’est pas évident de faire changer ces mentalités. Même si ça bouge de plus en plus.
Vous avez eu des retours de ce type sur Falco ?
Mes amis ont trouvé ça chouette ! (rires) Non je ne sais pas. Sur la saison 1, j’ai l’impression qu’on a réussi à toucher le public, à l’interpeller en lui proposant quelque chose de différent. On a envie de montrer qu’on peut faire des programmes grand public de qualité. Et on espère que la saison 2 sera à la hauteur des attentes !