Souvent, quand on m’interroge sur mes goûts en matière de série, je dis que je n’aime pas les séries policières. Les quarante-deux déclinaisons et succédanés des Experts, de Miami à Tombouctou, ont achevé de me dégoûter de ces cop shows* répétitifs qui offrent un parfait contrepoint à l’expression « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ».
En l’occurrence, on connaît tous la recette : Machin meurt en début d’épisode, de manière plutôt violente et contre son gré. Une équipe de détectives aux dents blanches fait irruption, composée d’un équilibre presque parfait entre hommes caucasiens et « minorités visibles » (femmes, hispaniques, afro-américains, asiatiques, robots). Ils relèvent les empreintes, canvass the area, interrogent un court instant le tueur sans savoir que c’est lui, accusent à tort une poignée de suspects sans savoir qu’ils sont innocents, font un tour à la morgue pour quelques trouvailles cruciales, et (re)trouvent enfin le coupable, dont l’aveu sous pression scelle le triste sort. Rideau, que justice soit faite, les méchants sont sous les verrous, même si The Good Wife nous affirme que les policiers se trompent en fait tout le temps.
Par ailleurs, je suis restée loyale tout au long des huit saisons de Dexter, j’ai regardé True Detective avec assiduité, et The Wire a changé ma vie. Cela pourrait sembler paradoxal, étant donné que ces trois séries ont pour cadre des services de police ; elles ont cependant le mérite d’offrir un angle et un traitement inédit d’une question rebattue. Finalement, aujourd’hui encore, trois séries policières qui changent des séries policières occupent mes visionnages hebdomadaires : Brooklyn Nine-Nine, Castle et Justified.
Lol enforcement
Dès ses débuts, Brooklyn Nine-Nine avait séduit Marion, comme on peut le voir ici. Aujourd’hui, il m’est possible d’affirmer que la première impression était la bonne : la seconde moitié de la saison est encore plus drôle que la première.
Dépeindre le quotidien d’un commissariat avec humour, cela a déjà été fait à de nombreuses reprises, surtout au cinéma. La difficulté principale réside dans l’équilibre à trouver entre les blagues et la réalité ; comment faire rire alors que les policiers sont a priori confrontés à des meurtres et à d’autres situations un peu rabat-joies de ce genre ? La série n’a pas fait le choix de représenter un commissariat idyllique, où les criminels seraient au pire de vilains voleurs de scooters, ni de traiter les intrigues sur un ton si déjanté qu’elles en perdent toute réalité. Par ailleurs, et à l’exception peut-être de l’épisode « M.E. Time », elle évite avec brio de tourner au scabreux ou au glauque, avec des blagues malvenues ou un humour noir trop inattendu dans ce cadre bon enfant. En fait, Brooklyn Nine-Nine est étonnamment « réaliste », dans la mesure où seule la fantaisie des personnages occasionne parfois des situations hors du commun.
De ce fait, on a non seulement l’impression de regarder une comédie, mais aussi une vraie série policière – réussite assez rare pour être soulignée. Le 99th Precinct est un commissariat de proximité, qui n’a pas à s’occuper des affreux serial-killers ni des trafics internationaux, mais des incendies volontaires et des conflits de voisinage. Les inspecteurs passent plus de temps à remplir de la paperasse administrative qu’à traquer les criminels l’arme au poing, ils n’ont pas un équipement technologique extrêmement perfectionné, les interrogatoires ne sont pas des chefs-d’œuvre de tension et de répartie… Finalement, le show offre une vision rafraîchissante de ce qui nous est toujours montré comme sacré et trépidant, et qui est ici un lieu de travail presque comme les autres.
Brooklyn Nine-Nine est avant tout une série à l’ancienne, qui suit le modèle traditionnel des workplace sitcoms, sans que cela soit ici un reproche. Les relations entre collègues occupent l’essentiel des épisodes. Les personnages sont d’ailleurs instantanément attachants, et oscillent toujours entre cliché et originalité, même Scully et Hitchcock, deux gros balourds aux noms parodiques et aux capacités intellectuelles limitées. Les policiers ne sont plus seulement efficaces, mais aussi éminemment sympathiques. Et si Brooklyn Nine-Nine était la meilleure des publicités pour la police new-yorkaise ?
Open Caskett¹
Malgré son concept original – un écrivain de polars aide la police de New-York -, la série Castle a pris le risque de tomber dans le piège des stéréotypes et de devenir un banal cop show de plus. Après tout, les épisodes sont des standalones*, la « détective » Beckett est hantée par un traumatisme qui est à l’origine de sa vocation, et les deux personnages principaux forment un tandem antagoniste qui hésite toujours entre chamailleries et tension sexuelle. « Quelle originalité ! », s’exclament en chœur tous les lecteurs de Séries Chéries. Certains regrettent par ailleurs peut-être le conservatisme latent de Castle, dans laquelle l’homosexualité n’existe pas et les couples ne sont jamais interraciaux, ABC oblige.
Malgré tout, cessez de lever les yeux au ciel ! Là où la série se distingue, c’est que les épisodes parodiques, métas* et pleins d’auto-dérision sont finalement beaucoup plus nombreux que les épisodes sérieux, qui constituent donc pour moi le maillon faible de la série. Le serial-killer 3XK, aussi peu charismatique que son surnom, le suspense artificiel et les intrigues larmoyantes : très peu pour moi. Par contre, un meurtre de Père Noël, une enquête dans le milieu des présentateurs météo, des ninjas, des références à Indiana Jones, Carrie et Star Trek… C’est tout cela qui fait le sel de la série.
Richard Castle, interprété par Nathan Fillion (Firefly), est un écrivain excentrique pour qui chaque meurtre est l’occasion d’inventer des hypothèses (et futurs romans ?) abracadabrantesques ; Kate Beckett est une inspectrice rigoureuse, qui attend toujours de trouver des preuves concrètes pour se prononcer. On retrouve donc le sacro-saint modèle de X-Files, l’opposition de la raison et de l’imagination, là aussi pimentée par une alchimie palpable. La romance et le charme des deux interprètes principaux font beaucoup pour l’attrait de la série, mais c’est le jeu constant des scénaristes avec les genres et les codes cinématographiques et sériels qui me semble le plus intéressant. Les meilleurs épisodes sont ceux qui utilisent notre imagerie collective et la pop culture pour mieux les détourner à travers le filtre de l’enquête policière. Le procedural n’est alors plus qu’un prétexte pour mettre à l’épreuve les poncifs connus de tous. Et au bout de six saisons, la qualité de la série reste étonnamment stable – spéciale dédicace à l’épisode 5, « Time Will Tell ».
Poulet façon Kentucky
Raylan Givens est US Marshal. Son statut est donc différent de celui des agents du FBI et des inspecteurs auxquels nous avons été habitués dans les séries ; les missions qui lui sont assignées aussi. Lorsqu’il enfreint une fois de trop le cadre de ses responsabilités, il est envoyé dans son Etat natal, le Kentucky, où il retrouve tout ce qu’il avait fui plusieurs années auparavant.
Le Marshal est une figure privilégiée du western, étant donné qu’il a fait régner l’ordre dans l’Ouest américain dès le 19è siècle, aux côtés du shérif. Justified exploite cette proximité thématique d’une manière à la fois surprenante et réussie. Avant de retourner dans le Kentucky, Raylan était en poste à Miami, et les Marshals existent bien sûr aussi dans les grandes villes et les Etats les plus « civilisés » des Etats-Unis… Mais tout l’intérêt de la série se joue dans ce retour aux sources d’un personnage qui lutte, justement, contre sa propre barbarie.
Le comté d’Harlan, dans lequel se passe l’essentiel de la narration, est présenté comme une contrée primitive, en dehors du temps et des lois. La Prohibition n’y a pas été levée, une guerre intestine fait rage entre différents clans, et la plupart des habitants ont pour seul moyen de revenus une activité criminelle. Raylan Givens est né dans ce milieu, connaît les habitants : son supérieur l’y renvoie donc constamment. S’il rechigne d’abord à devenir l’émissaire de la Loi dans ce comté qu’il abhorre, il se prend vite au jeu, et ne peut s’empêcher de se mêler des affaires qui ne le regardent pas pour essayer de faire régner l’ordre. Avec son chapeau de cow-boy et sa propension à dégainer plus vite que son ombre, il se fond finalement très bien dans le paysage. Même si les nombreuses fusillades dans lesquelles il est impliqué sont toujours « justifiées », elles posent la question de son propre attrait pour la violence et les règlements de compte.
Pour le spectateur français du 21è siècle, il est réellement difficile de concevoir que le show puisse refléter une quelconque réalité contemporaine. Et pourtant, le Kentucky est vraiment un Etat rural et l’un des plus pauvres des Etats-Unis, où est cultivée une majeure partie du cannabis nord-américain. Même si les enquêtes que mène Raylan concerne les trafics, crimes et extorsions d’aujourd’hui, l’ambiance générale, et la forte concentration en chapeaux au km², font de la série un western moderne au même titre qu’un cop show. Justified est la série la plus sérieuse de cette sélection, mais ne manque pas pour autant d’humour. C’est aussi celle que je vous conseille le plus chaudement.

Difficile de dire, parfois, si l’on regarde Deadwood ou Justified…
1. Jeu de mot ô combien subtil sur le petit nom donné au couple Castle – Beckett. (retour au texte)
Merci Maguelonne pour cet hommage à Brooklyn Nine-Nine et Castle :) ! En effet « Time will tell » restera dans les annales de cette dernière…
Justified une de mes série favorite (et number one dans les cop show, avec The Shield) !
D’accord pour Justified, mais aussi Longmire et US Marshals-Protection de témoins dont on parle moins…