Etude de pilote : Transparent

Après les séries Netflix, voici les séries Amazon ! La première saison de Transparent est en ligne et peut d’ores et déjà être binge-watchée* à volonté sur la plateforme de VoD* qui l’a produite. Sa créatrice Jill Soloway, scénariste du chef d’oeuvre télévisuel Six Feet Under et productrice de l’excellente United States of Tara, nous sert une nouvelle histoire de famille dysfonctionnelle, subtile et sans concession, autour de trois enfants névrosés et d’un père qui entame une transition. Rien à voir avec le Orange is the New Black de Netflix, qui surfe sur les questions de genre et d’orientation sexuelle pour attirer le chaland. Ici la question est abordée avec brio, et la mise en scène très soignée rappelle le cinéma indépendant américain.

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Jeffrey Tambor et Jill Soloway se font des câlins sur un canapé à rayures à côté d’une lampe à abat-jour mimétique.

L’épisode pilote s’ouvre sur une matinée comme une autre. Ali, Josh et Sarah (Gaby Hoffmann, Jay Duplass et Amy Landecker), deux sœurs et un frère, se réveillent et reçoivent un coup de fil de leur père Mort Pfeffermann (Jeffrey Tambor), qui a quelque chose à leur annoncer. Ce père, élément déclencheur de l’intrigue, tarde à apparaître à l’écran. Il se manifeste par des appels sans que l’on entende sa voix, ce qui attise notre curiosité et renforce l’idée qu’il sera le centre de gravité de la série. La famille semble de prime abord soudée, du moins très complice, et on comprend rapidement les problématiques liées à chaque personnage : l’aînée, Sarah, est prise au piège d’une vie conformiste, avec un mari absent et des enfants bruyants, le cadet, Josh, sort avec une fille bien plus jeune que lui, et la cadette, Ali, si elle témoigne d’une grande intelligence et d’un sens aigu de l’ironie, n’a pas vraiment l’air bien dans sa peau. Le père, enfin, veut faire une annonce difficile, se désiste et dit vouloir vendre sa maison. Bien sûr, il ne s’agit pas de la vraie raison qui l’a poussé à réunir sa progéniture : Mort va devenir Maura, il est transsexuel et s’apprête à faire une transition. A sa première apparition en tant que femme, Maura se demande comment elle a pu faire de ses trois enfants des êtres aussi égoïstes qui n’arrivent pas à voir plus loin qu’eux-mêmes. Car si le problème de Maura revient à faire son coming out et à se confronter au regard de sa famille proche, les véritables enjeux dramatiques se trouvent surtout du côté des enfants, qui se verront contraints de modifier leur façon de vivre et de penser une fois confrontés à la transition de leur père. Ali, Josh et Sarah devront trouver leur voie à leur tour, Mort/Maura ayant déjà parcouru une bonne partie du chemin. Ainsi la figure du père, comme dans Six Feet Under, où la mort du patriarche permettait de faire revenir durablement le fils aîné au bercail, fait office de catalyseur.

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La transsexualité est présentée d’une façon intéressante, loin des préjugés habituels. Les trois enfants, apprenant que leur père a quelque chose à leur annoncer, s’imaginent aussitôt qu’il s’agit d’un cancer. La transsexualité a longtemps été considérée comme une pathologie (ce n’est plus le cas en France depuis… 2012), mais l’annonce d’une transition est bien moins préoccupante que celle d’un cancer. Petite piqûre de rappel de la part de Jill Soloway : non, les trans ne sont pas malades. La transsexualité est ainsi d’emblée considérée comme rassurante et on comprend que la série va s’attacher à dédramatiser la question. Jeffrey Tambor, lorsqu’il incarne Maura, est sobrement maquillé et porte une perruque simple, un peu comme Melvil Poupaud dans le brillant Laurence Anyways de Xavier Dolan. Sa féminité subtile semble parfaitement naturelle, jamais caricaturée ni outrancière. Elle émane déjà du personnage avant qu’on ne le découvre en femme, lorsqu’il accueille ses trois enfants pour un dîner ou quand il déambule avec un long châle dans sa maison vide. Le jeu d’acteur ne consiste pas à singer des maniérismes -comme si les femmes devaient nécessairement être féminines- mais plutôt à instaurer un léger trouble entre les genres. Mort n’existe pas en dehors de ceux qui le nomment de cette façon et le perçoivent comme un homme : d’emblée il n’y a que Maura, une femme dans un corps d’homme, et la transition apparaît moins, dès lors, comme une transformation, que comme une libération.

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Comme Girls (où l’on retrouve l’actrice Gaby Hoffmann dans la saison 3) ou même Looking -dont j’ai fini par dire du bien, souvenez-vous, dans un article Mea Culpa– Transparent reprend les codes du ciné indé américain, avec une mise en scène simple mais léchée, un jeu d’acteur quasi naturaliste et franchement bluffant (j’évoquais plus haut la grande complicité entre les personnages, on croirait presque parfois à un documentaire sur une véritable famille ; le générique, montage de films familiaux, conforte cette idée), une immersion dans les gestes et les mots du quotidien, et une trame narrative discrète. Le scénario de Jill Soloway est à moitié autobiographique, d’où un grand luxe de détails qui permettent d’échapper à une caractérisation poussive des personnages, et les acteurs sont totalement investis dans leurs personnages. Le niveau social dans lequel évoluent les Pfeffermann, les intérieurs qu’ils habitent ainsi que leurs habitudes alimentaires (overdose de crème de tofu et autres mixtures chelou) témoignent non sans humour d’une boboïtude typique du ciné indé. Transparent aborde des thématiques fortes avec une grande sensibilité et on s’attache très vite à l’ensemble des personnages, des gens imparfaits et un peu paumés vis-à-vis de leurs genres, de leurs sexualités et de leurs corps : l’aînée, mariée à un homme, est émoustillée en retrouvant son ex petite amie perdue de vue après leurs études, le cadet, soucieux des apparences, sort avec une jolie fille n’ayant pas l’air d’avoir inventé la poudre, et la plus jeune, sans savoir encore ce que son père va lui annoncer, se questionne, s’observe dans une glace et demande à un coach de l’aider à changer de corps. Difficile de ne pas penser à Lena Dunham, dont la série a su parler de sujets difficiles avec simplicité et lucidité. Difficile également de ne pas penser à Six Feet Under, dont Transparent est la digne héritière, pour sa finesse, son refus du pathos, et sa grande causticité.

Il s’agit donc d’un véritable coup de cœur, un pilote vivifiant et une belle prise de risque pour Amazon qui se la joue HBO. A découvrir d’urgence.

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