Une semaine après Séries Mania, il est temps de se sevrer. Pour passer la crise de manque, quoi de mieux que de revenir sur ce qu’on y a vu et de faire le point ? Après le motif du fait divers haineux, exploré hier par Serge, celui du ~mystère mystérieux~.
Il y a un constat qu’on peut faire quasiment à chaque fin d’édition, mais peut-être encore plus dans le crû 2016 : le polar tient la dragée haute de la programmation. Cette année, les comédies ont presque disparu au profit des enquêtes. Malheureusement, foisonnement n’est pas synonyme de diversité et l’on peut constater que la majeure partie des séries concernées sont traversées par des styles et inspirations similaires.
Il nous a semblé que les auteurs de séries s’étaient beaucoup tournés vers deux inspirations indépassables cette année, à savoir Twin Peaks et Top of the Lake (qui comme le rappelait Arthur, ont déjà elles-mêmes beaucoup en commun). Pour n’en citer que quelques-unes (que nous avons vues), Beau Séjour, Jour Polaire, The Kettering Incident, Ennemi Public, La Trêve, Cromo, Lola Upside Down, au-delà de leurs qualités et originalités, peuvent toutes cocher plusieurs des critères de la liste ci-dessous, érigés en poncifs par David Lynch et Jane Campion : l’importance du paysage qui participe à l’instauration d’une ambiance mystérieuse, troublante mais poétique, l’idée de la communauté isolée dans cette nature, l’arrivée (ou le retour) d’un personnage plus ou moins outsider ou étranger à cet endroit, la prédominance d’un mal inquiétant qui se cache et peut resurgir à tout instant. C’est aussi la tentation de dramatiser et de psychologiser un genre normalement très balisé, à l’image du mouvement lancé par les séries nordiques ou encore Broadchurch en Angleterre.
Deux séries américaines ont peut-être participé à remettre ces influences au goût du jour. Wayward Pines (l’année dernière en ouverture de Séries Mania) et True Detective mettaient elles aussi le paquet sur les symboles à la limite de l’ésotérisme (le bois de cerf de la Louisiane et le papillon de nuit de The Kettering Incident, héritiers de la chouette de Twin Peaks ?), brouillant la frontière entre réalité crue et fantastique – un mélange des genres très inspirant pour les créateurs cette année. Autre trait typique commun à tous les titres cités, c’est le fait que l’atmosphère et l’esthétique de ces programmes semblent plus importants et plus travaillés que leurs intrigues d’un grand classicisme, pourtant censées être le cœur bien ficelé d’une série policière. De même, à force d’accumuler les traumatismes et de garder leurs secrets, les personnages peinent à gagner en épaisseur et dépasser le stade d’ombres intrigantes qui hantent l’écran. Résultat : si l’attente est au plus haut pour beaucoup de ces fictions, une fois passé le pilote, ces ingrédients seuls, s’il ne sont pas assez puissamment dosés, ne parviennent pas toujours à maintenir l’enthousiasme. L’intérêt décroit assez rapidement car une fois passé l’univers, il n’y a plus grand chose à quoi se raccrocher, et un risque accru d’impression de déjà vu.
En 2016, si le mouvement s’est essoufflé outre-Atlantique, ces inspirations et ces thèmes sont repris massivement en Europe (et en Australie), plus que n’importe quel autre registre narratif. Que tirer comme conclusion de cette observation ? On peut faire une hypothèse. Peut-être que la série policière, qui demande un peu de moyens pour être réussie, n’est pas parvenue à trouver son public dans nos régions. En France, c’est même synonyme de vieillerie et de fabrication à la chaîne, sans originalité (Julie Lescaut, Navarro… ont été pendant longtemps nos seules productions) et il est particulièrement difficile de rivaliser avec l’Amérique sur ce terrain. Repasser par des modèles acclamés par la critique partout dans le monde, jouant sur le drame et l’atmosphère plutôt que sur l’action, est ainsi peut-être le moyen de conquérir un public qu’on croyait perdu et de se redonner une légitimité à moindre frais. Si ces modèles sont bien évidemment inspirants et ont effectivement donné un nouvel élan à la série policière, espérons que nous n’assistons pas à la formation d’un nouvel académisme et que les chaînes sauront promouvoir l’originalité dans tous les genres, sans délaisser l’efficacité d’une bonne histoire.
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