Nouvelle série phare d’HBO, Westworld vient d’achever sa première saison avec un final retentissant, après 10 épisodes à la fois longs et denses. Robotique et humanité, entre futur et far west, la série dont Serge vous parlait il y a quelques semaines n’aura pas tardé à diviser les sériephiles. Pour l’occasion, Yann K., Mathieu de Geekroniques et Arthur de Séries Chéries répondent à quelques questions.
Éclusons d’emblée la comparaison avec Game of Thrones, dont on a toujours voulu rapprocher Westworld : à tort ou à raison ?
Yann K : Les sujets des deux séries sont très différents, même si Fantasy et SF peuvent se rapprocher dans leurs enjeux. Ce qui est certain, c’est que Westworld venant après GoT, il est difficile de faire abstraction d’une volonté de reproduire une formule générale, celle d’un projet ambitieux avec un casting prestigieux qui crée l’événement, soit le graal recherché par le câble désormais. Difficile de ne pas penser à GoT lorsque Westworld se sépare d’un personnage clé, dans le cadre d’un twist savamment orchestré par exemple.
Enfin, les créateurs de la série (Lisa Joy et Jonathan Nolan) évoquent clairement leur souhait aujourd’hui de reproduire le modèle GoT pour la production, notamment dans l’idée d’écrire l’intégralité de la saison 2 avant de la tourner.
Mat : Si effectivement les deux séries n’ont pas grand chose en commun, on sent très bien que HBO cherche avec Westworld un successeur à GoT qui approche de sa conclusion. C’est quasi une question de survie, tout du moins de crédibilité pour la chaîne. D’emblée, avec le pilote, on sent (et on voit) que la chaîne a mis le paquet en terme de budget (100 millions de dollars annoncés, dont 25 rien pour le pilote). Que ce n’est pas non plus un hasard si la musique a été confiée à Ramin Djawadi, qui était déjà en charge des musiques de GoT, et dont le générique reste dans les mémoires de tous les sériephiles ! HBO tente de reproduire un certaine forme de “modèle” à la GoT. Les multiples intrigues de Westworld sont aussi un mode de fonctionnement très similaire, mais Westworld limitant malgré tout le nombre de personnages, j’ai été moins perdu que dans GoT.
Je n’ose imaginer la pression chez HBO condamné à réussir coûte que coûte ce nouveau succès ! Mais j’avoue qu’ils ont plutôt bien géré…
La robotique et l’humanité : des thèmes chers à la SF, d’Asimov à Real Humans. Quel héritage dans Westworld ? Quelles redites, quels dépassements ?
Mat : Pour moi, Westworld lorgne surtout du côté de Blade Runner et des questionnements de Philip K. Dick sur l’humanité des machines. Qu’est-ce qui fait un être conscient ? Est-ce que les androïdes de Westworld sont plus que des machines? On voit qu’ils peuvent êtres autonomes et faire preuve d’intelligence, voire être aussi retors que les humains. Mais est-ce vraiment du libre-arbitre ou du simple code qui donne cette illusion ? Une question à laquelle cette première saison se garde bien de répondre, soufflant tour à tour le chaud et le froid.
Ce qui est intéressant ici, c’est le point de vue des androïdes et de leurs relations avec les humains qui sont idéalisés comme des “dieux”. Un concept qui me semble assez inédit, même si cette dimension religieuse est aussi évoquée au travers des interrogations des Cylons dans le Battlestar Galactica de 2004 (et son préquel Caprica). Par contre, pas de clin d’oeil à Asimov et ses célèbres loi de la robotique, mais on comprends assez vite qu’elles auraient entravé considérablement le scénario vu ce qui se passe de ce côté-là !
Westworld pioche donc ici et là, mais avec son contexte particulier et son exposition réussie, parvient à ne pas lasser le fan de SF blasé que je suis !
Yann : Comme Mat, j’ai pensé à Battlestar Galactica. Même si je n’ai pas vu l’intégralité de la série de Ronald D. Moore, j’ai le sentiment que la comparaison est en défaveur de Westworld. On s’aperçoit notamment que cette dernière a bien trop peu utilisé l’ambiguïté entre humains et robots.
Plus généralement, on touche là au gros défaut de cette saison de Westworld. A mon sens, les auteurs ont très largement esquivé la notion de conscience des hôtes. C’est pourtant un enjeu récurrent mais jusqu’au bout, l’autonomie n’est jamais clairement établie. Alors, bien sûr, on aura beau jeu de dire qu’il y avait une volonté de faire passer l’idée que tout ça n’était qu’une construction narrative, certes, mais c’est au détriment de la robotique dans la série. Sans passer forcément par le test de Turing, il y avait certainement mieux à faire, dans la lignée d’Ex Machina par exemple.
Arthur : Même si je reconnais d’immenses qualités à Battlestar, je ne me souviens pas d’y avoir trouvé des réflexions approfondies sur la conscience des machines. Celles-ci y étaient présentées d’emblée comme très humaines, avec cette ambiguïté qui conduit à l’essentiel des intrigues de la série : qui sont les Cylons dormants parmis les humains ?
Westworld en revanche travaille avec acharnement la réflexion sur la naissance d’une conscience, en convoquant notamment les fondamentaux du cartésianisme. Par ailleurs, elle parvient à nous intéresser à une question qui me semble plutôt inédite dans le domaine, moins axée sur les robots que sur les humains eux-mêmes et leurs mécanismes intérieurs : quand Ford le créateur explique à sa créature machine que les humains n’ont rien d’enviables, en cela qu’ils obéissent eux-mêmes à une sorte de programmation, échappant difficilement à leur scénario quotidien, on peut légitimement s’interroger sur notre capacité à improviser, à sortir du cadre de notre personnalité : même si nous pensons en être capables, ne sommes-nous pas bloqués, comme les robots de Westworld lorsqu’ils doivent tirer sur un humain, au moment de passer à l’acte ? Ce qui m’a intéressé dans cette série, c’est donc moins la quête d’humanité des machines que l’exploration des limites du libre-arbitre et de l’idée que nous nous en faisons – en cela, les révélations concernant Maeve, le robot rebelle, dans le dernier épisode m’ont semblé particulièrement bienvenues – et la question hautement problématique : sommes-nous libre de vouloir ce que nous voulons ?
Que dire de l’écriture de la série, de son rythme, de sa densité, de sa complexité narrative ? Quelle évolution du pilote jusqu’à l’épisode final ?
Mat : Le rythme de cette première saison est pour moi l’un des seuls défaut de la série. J’ai trouvé la première partie trop lente : beaucoup d’exposition certes, mais un rythme vraiment paresseux qui est en plus accentué par la répétition des scénarios. Il faut attendre l’épisode 6, voire le 7, pour voir enfin surgir des événements qui vont mettre en branle l’intrigue et nous faire avancer. Ce qui est par contre remarquable, ce sont tous les “easter eggs” disséminés dans les épisodes et qui ont permis aux fans les plus hardcores de comprendre à l’avance les révélations faites autour de Bernard ou de l’homme en noir. Mais même si l’on connaît ces révélations à l’avance, elles sont assez bien amenées pour être savourées malgré tout. Et pour ceux qui, comme moi, sont passés à côté de la plupart de ces informations cachées, la surprise n’en est que plus belle (attention à ne pas se faire spoiler par les internets ceci dit).
Au final, malgré la complexité de la saison, tout devient limpide. Ce qui n’était pas évident, mais l’écriture et la mise en scène font que l’on n’est jamais perdus.
Yann : Le rythme aura paru effectivement un peu chaotique. Mais curieusement, il ne m’a pas plus gêné que cela. En fait, l’assemblage du récit par boucle est l’aspect le plus intéressant de cette saison, je trouve. La répétition des scénarios, progressivement soumise aux variations et autres impondérables (d’origine humaine) est assez fascinante. Elle participe ensuite adroitement à notre perception d’un fonctionnement possible d’une mémoire électronique. Comment une intelligence artificielle peut-elle assimiler des bribes de connaissances supplémentaires ou antérieures ? C’était ingénieux et en même temps très explicite, ils auraient même pu être un peu plus cryptique. Il ont sans doute eu peur de perdre du monde en cours de route.
Quels sont à vos yeux les personnages les plus attachants, les plus intéressants ?
Mat : Sans conteste, Maeve et Dolores (dans les derniers épisodes) sont les personnages phares de cette première saison côté parc. Côté coulisses, Ford se taille bien sûr la part du lion, tant on sent vite qu’il est le seul à tenir toutes les cartes en main. Bernard prend également une toute autre dimension lorsqu’il découvre – en même temps que nous – son statut de machine. Une surprise de taille que l’on subit de manière totalement empathique.
L’homme en noir intrigue, mais on ne sent pas en phase avec son obsession qui le pousse à flinguer à tout va de manière désordonnée. Si l’on comprendra son but plus tard, si la révélation de son identité reste un choc, on n’est pas pour autant lié au personnage, qui reste assez détestable.
Yann : J’ai vraiment aimé Bernard. Mais surtout pour la performance de l’acteur (Jeffrey Wright). Il est très juste dans chacune de ses scènes.
Sinon, je crois que j’aurais aimé voir un peu plus Lee Sizemore (l’anglais Simon Quaterman), le créatif expansif et frustré. C’est le seul personnage qui m’a fait rire dans la saison et Westworld, pour l’instant, se prend bien trop au sérieux. Un peu d’humour que diable !
Arthur : C’est vrai, les personnages côté coulisses sont un peu en dessous, Ford et Bernard exceptés. Le parti de ceux qui n’adhèrent pas à une reproduction trop exacte des comportements humains, mais s’attachent davantage aux narrations, n’a pas été assez représenté. Les robots rebelles, Maeve et Dolores, auront su en revanche capter notre sympathie, en suivant des trajectoires qui semblent similaires, mais se concluent de façons diamétralement opposées.
L’univers de Westworld repose sur des postulats d’anticipation compliqués, avec tout un panel de règles à intégrer. Avez-vous été gênés par leur manque de cohérence, voire de “réalisme” ?
Yann : De toute évidence, pour apprécier la série, il faut ignorer complètement toute notion de cohérence en matière de sécurité chez Delos. Westworld est visiblement une fantastique passoire qui ne répond à aucune logique de base en matière de sécurité des réseaux aussi bien au niveau de la surveillance que des droits d’accès aux différentes parties du code informatique des hôtes. Les auteurs ont manifestement emprunté tous les raccourcis qu’ils pouvaient sur ce point.
Mat : Les remarques de Yann sont tout à fait pertinentes, mais j’avoue ne pas avoir tiqué du tout sur ce point. Pourtant, les incohérences technique ont en général le don de m’agacer au plus au point ! On parle ici de programmation de machines, pas de centrale nucléaire.. Cela reste ici une facilité scénaristique mais plutôt secondaire à mon sens.
Arthur : Les armes à feu qui font voler les bouteilles (et la chair des robots) en éclats, mais ne blessent pas les humains, l’incapacité des visiteurs à distinguer robots et humains, la surveillance aléatoire du parc par le biais de caméras… ces points un peu bancals ont heurté mon visionnage de la série. La dimension technique du parc et de son fonctionnement, pour une série aussi ambitieuse, mériterait quelques explications !
Comment envisager la – si lointaine – saison 2 ? La guerre entre humains et robots ? L’explorations d’autres parcs (avec des samouraïs) ? Ou la découverte d’autres niveaux de perception, entre rêves, souvenirs, chronologie mélangée ?
Mat : Si en début de saison j’étais un peu inquiet sur la suite de la série (5 saison prévues tout de même), le final a ouvert de nombreuses portes ! Il faut je pense envisager plusieurs trames, car la série ne se contentera pas d’explorer qu’un seul sujet. La plus évidente et probablement la principale sera bien évidemment l’affrontement humains-machine. Je n’attends pas de la série un bête bain de sang, mais plutôt qu’elle continue son exploration de l’éveil des robots et de leur “humanité” (réelle ou programmée). L’autre trame sera celle de Maeve et la quête de sa fille. A mon avis dans un nouvel univers qui ne sera pas celui du western, ni celui du japon médiéval. La rome antique, comme dans le film ? Ce qui laissera de la place pour l’univers médiéval japonais.
Pour moi, les différentes trames temporelles n’ont plus lieu d’être dans ce contexte.. Les paris sont ouverts, on s’en reparle dans 2 ans…
Yann : Je crois que les auteurs ne le savent pas eux-mêmes ! Bon, aujourd’hui si, puisqu’ils doivent être en train d’écrire cette saison 2 mais au départ, ils ne s’étaient sûrement pas trop projetés. En même temps, ils devaient déjà être ravis d’embarquer avec des Hopkins, Wood et Harris même pour une seule saison.
Désormais, il sont plutôt libres. Westworld pourrait tout à fait être une anthologie et ça me convient parfaitement. A priori, je ne suis pas chaud pour repartir sur un principe à multiples trames temporelles mais un autre univers s’impose, peut être un peu plus subtil que des bonhommes jouant à qui dégaine le plus vite !
Arthur : Le Far West, espace-temps où les Hommes ont été confrontés à leur liberté, à la possibilité de réinventer leur destin, semble avoir été le meilleur choix d’arène envisageable pour cette série et les questions qu’elle soulève. Qu’on soit ou non féru de westerns, de cow-boys et de saloons, le far west doit rester le coeur de Westworld…
Excellente analyse les gars ! =)
Merci :)