Westworld : les androïdes rêvent-ils de colts électriques ?

Après l’annulation récente de Vinyl et alors que la fin de Game of Thrones se profile doucement, HBO se trouve remise en question. Pas de difficultés insurmontables à l’horizon, n’exagérons rien, mais nombre d’entre nous se demandent comment HBO fera à nouveau l’événement. Retrouvera-t-elle une série aussi populaire et acclamée que l’est GoT, ou bien va-t-elle se laisser déborder par Netflix, voire même -qui sait- par Amazon ? Dans un tel contexte, l’annonce d’une ambitieuse série de science-fiction mélangeant western et robotique, adaptée d’un film devenu culte, avait de quoi susciter une attente des plus fébrile. Dénouement ces derniers jours : le premier épisode vient enfin d’être diffusé. À la lumière de ce pilote, Westworld est-elle la série du renouveau que l’on attendait, ou mérite-t-elle le goudron et les plumes ?

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Le monde en vase clos

À l’origine de Westworld se trouve un film, Mondwest, réalisé par Michael Crichton en 1973. L’intrigue de cette œuvre originale nous plaçait en pleine dystopie au sein d’un parc d’attractions d’un nouveau genre, pour touristes fortunés en mal de sensations fortes. Dans un futur proche où la technologie a permis la création d’androïdes aux intelligences artificielles sur-développées, il est désormais possible, pour qui en a les moyens, de satisfaire toutes ses envies, des plus pacifiques aux plus innommables, au sein d’un parc reproduisant parfaitement trois époques du passé : l’antiquité romaine, le Moyen-Âge, et le Far West. Reprenant dans les grandes lignes cet état de fait, Westworld ne conserve pour l’instant que l’univers du western, en changeant la perspective par rapport au film originel. Si, chez Crichton, le héros était le touriste découvrant le monde artificiel, dans la série de Jonathan Nolan et JJ Abrams, les personnages centraux sont bien les créatures et les créateurs de cet univers.

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Deux univers coexistent dans Westworld. L’Ouest sauvage tout d’abord, avec tous les clichés qui lui correspondent. Saloon, shérif, joueurs de poker et fermiers sont au rendez-vous. Même les fusillades renvoient à l’image que l’on se fait de cette époque, mais surtout de ce genre cinématographique. Il ne manque plus que John Wayne apparaissant à l’image pour se croire en plein John Ford. Hommage ou clin d’œil, l’homme à l’origine de cet univers virtuel se nomme d’ailleurs Dr Robert Ford. Gageons que ses ambitions et ses motivations différeront légèrement de son prestigieux homonyme.

En parallèle, mais constamment présent, se trouve le monde réel incarné par les coulisses du parc. Surplombant les décors, la cité des créateurs ressemble à une sorte d’olympe de verre et d’acier où tout n’est que propreté clinique et froideur, en parfaite opposition au monde sale et coloré du Far West factice. Difficile de ne pas penser en voyant ces lieux au film Truman Show et à son studio de télévision camouflé dans la lune. Comme dans le film de Peter Weir, les auteurs, marionnettistes de ce monde, ne cessent d’observer leur création, de scruter au microscope le bon déroulement des schémas, selon leur volonté et leurs programmations. Changement d’époque : les démiurges ne sont plus producteurs de téléréalité mais aujourd’hui programmeurs ou scénaristes. Contrôle et manipulation n’ont peut-être plus tout à fait la même signification que dans les années 2000.

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Ambitieuse, Westworld l’est assurément visuellement. Disposant d’un budget qui n’a rien à envier à celui de GoT, avec près de 100 millions de dollars pour 10 épisodes, la qualité de la production de la série saute immédiatement aux yeux. Espaces naturels à couper le souffle, usine de robotique impressionnante et force visuelle des images, nous ne sommes pas en train de regarder une série Syfy, aucun doute là-dessus. Cette ambition a son importance, car l’univers est sans aucun doute le personnage principal de ce premier épisode. L’installation du monde semble être le sujet même du pilote. Quelles sont les règles du jeu ? Qui contrôle qui ? Quelle temporalité s’applique dans ce vase clos ? Toutes ces informations doivent être assimilées par le spectateur dès le début et, si Westworld accomplit déjà un premier tour de force, c’est bien en parvenant à rendre cet apprentissage facile et presque naturel au fil des événements. Si le pilote de Game of Thrones avait eu lui aussi la charge difficile de dépeindre un monde pluriel avec sa multiplicité de personnages, Westworld parvient à rendre encore plus fluide son tableau d’un monde virtuel en ajoutant, petites touches par petites touches, les éléments qui viendront lui donner sens. Citons notamment la gestion du temps des androïdes, temps cyclique où chaque jour se reproduit à l’infini, qui reprend dans sa mise en scène le réveil musical en refrain continuel que l’on avait pu expérimenter dans le film culte Un Jour sans fin. Le jour de la marmotte est seulement devenu au passage un peu plus sombre et beaucoup plus violent.

Cowboys et androïdes

Que nous raconte le pilote de Westworld ? La première intrigue que l’on suit est celle de Dolores Abernathy (Evan Rachel Wood) et Teddy Flood (James Marsden), deux jeunes premiers au monde du Far West, amoureux transis cherchant à vivre leur romance loin de la violence qui les entoure. Deux personnages romantiques au destin tragique, invariablement condamnés à se redécouvrir chaque jour, selon le programme qui leur a été implémenté. Androïdes destinés à servir de distraction, ils ne peuvent dépasser ces quelques instants fugaces, quand leurs vies ne sont pas tout simplement brisées par des touristes en quête de destruction, de meurtre, ou de viol. Ces personnages semblent destinés à de plus grandes choses au fil des épisodes, mais ils permettent dès le pilote d’illustrer la cruauté qui régit le monde de Westworld. Seule la loi du plus fort prévaut, tant chez les robots que chez les humains. Tuer ou être tué, telle est la question.

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Parallèlement, nous apprenons à découvrir les metteurs en scène de ce théâtre avec Bernard Lowe (Jeffrey Wright), directeur de la programmation, Theresa Cullen (Sidse Babett Knudsen), responsable des opérations ou encore Lee Sizemore (Simon Quarterman), directeur narratif responsable des centaines de scénarios auxquels peuvent participer les invités du parc. Ce microcosme est confronté à un bug chez les androïdes, bloquant leur système et les rendant imprévisibles, jusqu’à provoquer des reflux de souvenirs oubliés. Ce petit univers de l’entreprise ressemble énormément à celui d’une entreprise de jeux vidéo : département techniques et narratifs, scripts, patch et versions différentes, on a l’impression d’être plongé chez les concepteurs de World of Warcraft ou autre MMORPG à la Second Life. Les disputes et conflits de pouvoir, typiques du monde de l’entreprise, tranchent brutalement avec la violence toute pulsionnelle du Far West. Pour autant, si les manières sont plus policées, le cynisme et la froideur rendent cet univers beaucoup plus angoissant que le monde virtuel. La violence des comportements et des attitudes se révéleraient-elles plus frappante que celle des armes ? À voir.

Nous découvrons également dans ce pilote le véritable créateur, le saint esprit de Westworld, le Dr Robert Ford, campé par Anthony Hopkins. Cette figure du dieu créateur, dont on ne sait pas encore si elle est positive ou négative, dégage en tout cas une aura toute particulière. Se révélera-t-il un sadique absolu ou un architecte dépassé par son œuvre ? Une chose est sûre, sa seule présence intrigue et nous donne envie d’en découvrir plus. Sur toutes ces existences plane également l’ombre de l’homme en noir (Ed Harris), touriste semblant mener une quête touchant aux origines mêmes du parc.

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On le voit, cette première heure se révèle riche en informations, mais l’heure est encore aux questions posées et aux amorces d’intrigues. Des personnages déjà très forts se dessinent, très marqués dans leurs attitudes, dans leurs croyances ou dans leurs oppositions. Des personnages qui donnent envie d’aller plus loin pour comprendre ce qui est sur le point de basculer dans ce huis clos mécanique. De là à prophétiser que l’on tient le successeur de Game of Thrones, ce serait beaucoup s’avancer, mais on tient en tout cas une série qui pourrait bien se révéler surprenante.

Une série philosophique ?

Lorsqu’on regarde le pilote de Westworld, on pense à beaucoup d’influences et de concepts touchant à nombre de films ou de livres de science-fiction, voire mêmes à certains jeux vidéo. Des éléments qui sont autant de briques apportant de la profondeur à l’univers de la série, si ce n’est de pistes pour les thèmes susceptibles d’être abordés.

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Outre le Truman Show ou Un Jour sans fin pour la sensation de boucle et d’enfermement des personnages, on ne peut que penser à un autre film culte des années 90 : Jurassic Park. On retrouve en effet dans Westworld ce même questionnement sur le rôle de démiurge que l’Homme se donne pour contrôler la nature, cette aspiration à s’émanciper d’une nature s’imposant à l’être humain, cette envie de dépasser les limites de la vie et de la mort pour franchir la dernière frontière de l’humanité. Dans un contexte de western et de pionniers, de frontières et de renouveau, voilà qui peut faire sens. L’originalité de la série, c’est son renversement des perspectives, avec la place de la création au premier plan. Comme si les dinosaures de Jurassic Park devenaient les héros de leur propre récit. La question reste la même : l’Homme est-il une nouvelle fois allé trop loin ?

Évidemment on ne peut que penser à Blade Runner ou même à Real Humans dans l’interrogation sur l’avenir des machines et sur leur rapport à l’Homme, leur capacité ou non à dépasser le programme pour lequel elles ont été conçues, leur statut d’objet et le regard que leur portent les humains en tant que danger ou prolongement d’une humanité, le rapport homme-machine comme métaphore et continuation du rapport homme-animal… bref, autant de questions qui ont été déjà posées par nombre de fictions. La grande incertitude qui va désormais se poser, c’est celle de l’originalité du traitement par Westworld d’un sujet aussi souvent traité, de Terminator à Isaac Asimov en passant par Matrix.

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On revient à la question du monde également avec le rapport au virtuel. À l’heure où la réalité virtuelle n’est plus un fantasme mais s’apprête à conquérir les foyers, l’inscription dans une seconde vie débarrassée de toutes les règles et contraintes du monde réel pourrait être l’un des sujets de Westworld. L’univers de la série ressemble énormément à celui d’un jeu comme Red Dead Redemption, jeu vidéo qui nous permet d’incarner un cow-boy et de nous comporter comme bon nous semble, mais qui ne s’affranchit pas pour autant totalement des choix moraux. La question de la moralité traverse beaucoup de jeux ces dernières années, à commencer par exemple par Dishonored, dans lequel les actions du joueur, bonnes ou mauvaises, ont un impact scénaristique sur l’univers : l’action de tuer un personnage non joueur peut avoir des conséquences et créer des embranchements différents dans l’histoire. On retrouve ce rapport à la moralité dans Westworld avec une interrogation sur l’aspect défouloir du virtuel. Le jeu est-il un espace catharsique où le joueur peut exprimer tous ses instincts refoulés, ou bien est-ce un miroir dangereux du réel ? Jusqu’où peut-aller le réalisme ? Peut-on simuler des sentiments, des émotions et des douleurs pour donner plus de réalité ? Peut-on donner aux personnages une simulation d’âme pour stimuler nos instincts guerriers voire même nos pulsions à faire souffrir ? Voilà un questionnement qui devrait rendre les prochaines missions de GTA un peu plus difficiles à exécuter.

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Westworld continue d’intriguer même après son dévoilement. Si l’on est un tant soit peu sensible à la science-fiction, on ne peut qu’être titillé par cette série. La profondeur de son univers, la force de ses personnages et le nombre de questions qu’elle pose sont autant de promesses qu’une très belle série pourrait bien être en train de naître sur HBO – et d’être diffusée en France par OCS en US+24. Espérons qu’elle parvienne à trouver sa propre voie et sa propre originalité sur la question de la robotique, sans se retrouver dans des chemins battus et rebattus, par Real Humans notamment. Souhaitons que cette originalité ne passe pas simplement par un traitement plus violent ou plus sexuel, il en faudra sans doute beaucoup plus pour éviter d’être comparé à tout bout de champ à Game of Thrones. À suivre, mais les promesses sont diablement tentantes.

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