Il y a des instants de joie dans la vie d’une passionnée de vieux feuilletons télé. Découvrir qu’une série introuvable (ou presque) est enfin mise à la disposition de tous est un de ceux-là. Jamais Le Secret des Flamands, diffusé en 1974 sur la deuxième chaine de l’ORTF, n’avait fait l’objet d’une édition DVD ou d’une mise en ligne sur une plate-forme Internet. Pour visionner les quatre épisodes que compte cette mini-série belgo-franco-italo-suisse, on ne pouvait qu’espérer dégoter un vieil enregistrement VHS ou aller puiser dans les archives de la télé française. Aujourd’hui, grâce à l’action d’une bonne âme, la voilà sur Youtube ! C’est l’occasion de faire connaissance avec une série ultra maligne (bien qu’un peu molle du genou) qui met en scène une des choses que l’autrice de ces lignes préfère au monde : la peinture flamande.
Le Secret des Flamands voit le jour durant une période faste pour les feuilletons « en costumes ». A la fin des années 1960 et au début des années 1970, les fictions historiques sont reines dans le paysage télévisuel français. Quelques créations originales de qualité se distinguent (Le Chevalier Tempête, La Maison des bois) sur une ORTF dominée par les adaptations littéraires, parfois prestigieuses (Jacquou le Croquant, La Dame de Mnsoreau, Les Rois maudits). Le Secret des Flamands est un inhabituel condensé des deux pratiques. Cette oeuvre qui doit beaucoup à l’imagination de deux scénaristes (L’Allemand Karl Heinz Willschrei et le Hongrois Andreas Rozgony) tire ses racines d’un bouquin monumental de 1550 qui a jeté les bases de l’histoire de l’art occidental et posé les codes du biopic d’artiste : Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari.
C’est dans l’histoire du peintre Antonello da Messina – une des nombreuses biographies aux airs de « légende dorée » brossées par Vasari – que Le Secret des Flamands tire son argument. Le Sicilo-Napolitain Antonello serait allé en Flandres pour percer le mystère de la peinture à l’huile inventée par Jan Van Eyck, et la ramener en Italie. Partant de cette anecdote vasarienne à prendre avec des pincettes (rien ne prouve qu’Antonello da Messina ne se soit rendu dans les Flandres et Van Eyck n’a pas inventé la peinture à l’huile même s’il en a perfectionné la technique et généralisé l’usage) le feuilleton raconte ce moment d’effervescence où, autour des années 1470, des marchands et des aristocrates florentins ont découvert la « manière flamande » (ah cette luminosité, ces effets de transparence, cet illusionnisme, ce sens du détail, ce réalisme des figures…) et l’ont fait connaitre en Italie. Par le biais ultra romancé de l’espionnage industriel (Mais QUI a donc volé le secret de fabrication ?), il donne une évocation stimulante d’une époque où la peinture flamande, marquée par l’empreinte indélébile de feu Jan Van Eyck et le grand talent d’Hugo Van Der Goes, exerça une séduction incomparable sur les artistes de la Botte. La série dessine des portraits bien sentis des acteurs et actrices du milieu artistique : des commanditaires d’oeuvres (on reconnait le banquier Tommaso Portinari, représentant des Médicis à Bruges) aux modèles en passant par les artistes. Certes, on est souvent loin de la véracité historique. Pour ne citer qu’une liberté prise avec les faits : la série fait de ce Portrait de jeune fille (ci-dessous) l’oeuvre d’Antonello da Messina alors qu’elle est un chef d’oeuvre du Flamand Petrus Christus. On peut cependant voir dans cette réattribution fictive un joli clin d’oeil à la patte artistique résolument flamande d’Antonello et les liens potentiels entre ce dernier et Christus. Dumas disait qu’on : «On peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants». La métaphore est atroce mais vous avez l’idée.
Portrait d’une jeune fille, vers 1470, Petrus Christus
Erudit, intelligent, inventif, Le Secret des Flamands l’est, sans aucun doute quand il s’agit de livrer une interprétation d’un contexte historico-artistique. Les costumes, conçus par Marie-Thérèse Respens, sont d’ailleurs d’excellente facture – proches des coupes, matières et couleurs de l’époque – et on ne peut que goûter le plaisir des nombreuses scènes tournées, de Bruges à Venise, dans les décors naturels où est censé s’exercer le récit (ce qui, précisons le, est loin d’être toujours le cas dans les feuilletons de l’époque).
Mais, malgré ces qualités, Le Secret des Flamands, qui s’inscrit dans les genres du feuilleton policier, sentimental et d’aventure, ne peut prétendre au statut de chef-d’oeuvre de l’ORTF. Il pâtit d’un manque de rythme soutenu, de cadrages décevants, de rebondissements parfois faciles, de scènes d’action mollassonnes (sans compter un thème musical de générique en forme de ritournelle troubadouresque beaucoup trop sirupeux.)
Heureusement, les acteurs s’en sortent avec les honneurs, en particulier une Isabelle Adjani qui fait là une de ses premières apparitions. Elle crève déjà l’écran en dépit d’un rôle plutôt limité : celui de jeune première pétrie d’amour pour le héros, rôle féminin (malheureusement) type dans ce genre de feuilletons. Tandis qu’elle volera vers une magnifique carrière, Le Secret des Flamands, lui tombera dans un relatif oubli dont il peut, on l’espère, un peu émerger aujourd’hui.
Flandres et Van Eyck n’a pas inventé la peinture à l’huile
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