Semaine d’un sériephile (7) : Masters of Sex, Peaky Blinders, The Newsroom

Il est toujours étrange dans la vie d’un sériephile de commencer plusieurs séries très différentes et de tomber sur un sujet commun. Mes explorations m’ont menée vers trois séries : The Newsroom, série sur les coulisses du journalisme, Peaky Blinders, qui traite des bas-fonds anglais après le choc de la Première Guerre mondiale et Masters of Sex qui, avec son vintage à la Mad Menévoque les recherches de deux scientifiques sur les comportements sexuels de leurs congénères. A première vue, on ne peut pas faire séries plus différentes les unes des autres. Pourtant, elles ont en commun de traiter de l’ambition et de la volonté de personnes d’entreprendre des projets fous et démesurés.

Masters of Sex

William Masters vous souhaite la bienvenue dans cet article.

The Newsroom : Journalisme et utopie

The Newsroom est la petite dernière d’Aaron Sorkin, le showrunner* star à l’origine d’A la maison blanche. La série produite par HBO est l’évocation des coulisses de la rédaction d’un journal télévisé. Il se concentre autour de deux personnages principaux : Will McAvoy, le présentateur républicain modéré, interprété par Jeff Daniels, qui a reçu l’Emmy Awards du meilleur acteur dans une série dramatique pour sa prestation cette année, et Mackenzie MacHale, la productrice du show, servie par la pétillante-mais-parfois-agaçante Emily Mortimer. Tout l’enjeu de la série peut-être contenu dans cette idée d’ambition. Will est un personnage cynique et égocentrique, très attaché à sa cote de popularité, qui un jour fait un faux pas. Il critique les Etats-Unis d’Amérique (c’était d’ailleurs notre réplique du jeudi, si vous voulez voir l’extrait, c’est ici). Suite à cette intervention, la moitié de son équipe de journalistes qui le déteste quitte la rédaction. La chaîne lui assigne une nouvelle productrice, Mackenzie MacHale, qui n’est autre que l’ex de Will à qui elle a brisé le cœur. Journaliste intègre, elle va tout faire pour réveiller Will et son éthique, qu’il avait mise de côté pour les feux de la gloire, et tenter de construire avec lui un vrai journal. Un journal qui parlerait du fond, qui créerait une nouvelle hiérarchie pour les informations, faisant passer la politique avant le fait divers, le traitement du sujet avant la petite phrase. Tous les deux, avec une nouvelle équipe jeune et motivée, ils vont tenter de créer une utopie. Ils ont l’ambition folle de renouer avec leurs idéaux de jeunesse et de faire ce qu’ils appellent du « vrai journalisme ».

La série est la voix d’Aaron Sorkin. On sent qu’avec son show ce sont ses idées qu’il tente d’insuffler aux téléspectateurs, son utopie, sa révolte militante contre une Amérique qu’il ne reconnaît plus. Il partage la même ambition que ses personnages : faire oeuvre de civilisation auprès du public. Evidemment cette ambition, présentée par les personnages eux-mêmes comme un idéal à la Don Quichotte, a été très critiquée par la presse. La série a été qualifiée d’arrogante, de purement rhétorique, de non-réaliste, de naïve et même niaise par certains. Il y a du vrai dans ces critiques. Mais il y a surtout une façon d’aborder la série. Si on la regarde en s’attendant à voir The Wire, c’est à dire une oeuvre qui déconstruit les rapports des journalistes au monde (dans la saison 5), une oeuvre qui montre la réalité du quotidien des journalistes, on se trompe lourdement. Elle est plutôt la mise en image d’une utopie avec tout ce que cette utopie peut porter en elle d’arrogance et de naïveté. La série ne montre pas des journalistes au travail mais l’image romantique que nous avons des journalistes, tels des chevaliers des temps modernes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, Aaron Sorkin a le talent pour éviter le piège du didactisme. Il maîtrise les dialogues comme personne. Les répliques sont débitées sur un rythme particulier qu’il est parfois un peu difficile de saisir, mais qui donne une dynamique aux joutes verbales entre les personnages. La série est aussi pleine de second degré. Elle arrive à mettre en avant les contradictions et la naïveté des uns et des autres par l’humour. L’autre côté positif de la série, c’est l’écriture de ces personnage, même s’ils n’échappent pas forcément au manichéisme. D’ailleurs, il m’est arrivé de penser qu’ils étaient tous un seul et unique personnage, comme des variations sur le même thème (ils maîtrisent tous le second degré, sont tous idéalistes mais lucides, malheureux en amour…) Mais cette manière d’envisager les personnages combinée aux rythmes des dialogues donne l’impression que la série est écrite comme une partition musicale, avec des motifs, des répétitions, des reprises. Et comme dans une pièce musicale, Aaron Sorkin parvient à insuffler vie et émotion. Il rend ses personnages hautement sympathiques et vivants, malgré une écriture très calibrée. C’est d’ailleurs dans cette série que l’on peut voir l’un des personnages féminins les plus attachants et réussis de l’année (avec Jenny de The League) : Sloan Sabbith, personnage toujours sur le fil entre femme forte et ambitieuse, et amoureuse fragile au bord du gouffre. Cet équilibre de la série, entre émotion et écriture didactique est mise au service d’une vision ambitieuse de notre société, partagée par les personnages et par Sorkin. Même si elle semble parfois un peu dépassée par les réalités contemporaines, elle reste une porte ouverte sur un monde plus romantique et utopique. Un monde peut-être naïf, mais un joli monde quand même.

The Newsroom

L’utopie c’est encore plus classe en noir et blanc.

Peaky Blinders : Mafia et ambition

Le monde dans lequel nous plonge Peaky Blinders n’a rien à voir avec la douce utopie prônée par The Newsroom. La série British prend place dans la ville de Birmingham, centre industriel plein de bruit, de fureur et de pauvreté, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Elle évoque le gang des Peaky Blinders, un groupe de criminels locaux qui portent une lame de rasoir cousue à leur casquette comme marque de fabrique. Dans la série, le gang est un groupe familial qui gère leurs affaires courantes : paris, contrebande, vol, corruption… Cillian Murphy incarne Thomas Shelby, un jeune homme doté d’un grande intelligence et d’une ambition démesurée, qui tente de maintenir la domination de sa famille sur la ville. Un jour, en raison d’un quiproquo, il se retrouve en possession d’une caisse d’armes appartenant au gouvernement. Ce même gouvernement, très soucieux de récupérer son précieux stock, envoie l’inspecteur irlandais Chester Campbell pour la retrouver en lui laissant carte blanche sur les méthodes à employer. Au lieu de faire réapparaître la caisse et d’essayer d’éviter les problèmes à son gang, Thomas, dévoré par son ambition folle, va décider de garder la caisse et d’en tirer profit.

Cillian Murphy incarne l’archétype du personnage de mafieux, celui du jeune loup au cœur de pierre et au regard dur, dévoré par le désir de réussite qui va s’élever dans le monde de la criminalité et s’opposer à son alter ego de l’autre camp. Alors qu’est-ce qui fait le sel de cette série ?  C’est que cette ambition folle semble poussée à son paroxysme pour se transformer en véritable hybris. On le sent dans le scénario : Thomas est un gangster sorti de son misérable quartier qui tente de subtiliser les biens de tout un Etat ; Chester Campbell, bien plus qu’un représentant de la loi, en utilisant des méthodes éthiques discutables, en choisissant ce qui est bien et ce qui est mal, devient l’incarnation de la loi. Cette démesure des personnages est surtout soulignée par l’esthétique de la série. Elle exploite toute la picturalité de la ville industrielle pour en faire un lieu infernal. Fumée rouge qui s’échappe des forges en contraste avec le noir charbonneux des lieux, attention aux corps des débauchés dans les rues sombres, autant d’éléments qui sont un écho visuel aux passions qui animent les personnages, qu’ils soient malfrats, syndicalistes ou policiers. La musique moderne et anachronique (dont Clara vous a donné un échantillon) est un élément de plus pour apporter de la démesure à la série. Même si on peut lui reprocher une omniprésence un peu dérangeante, elle permet de donner plus d’ampleur au classique thème de l’ambition dans le crime en lui donnant des accents de tragédie grecque.

Peaky Blinders

Cillian Murphy en pleine ambition christique.

Masters of Sex : Sexe et prix Nobel

La troisième série qu’on peut rapprocher du thème est Masters of Sex, petite nouvelle de chez Showtime. Elle s’inspire de la vie de William Masters et de Virginia Johnson, pionniers dans l’étude scientifique des comportements sexuels. La série est une héritière directe du traitement très glamour des années 50-60 inauguré par Mad Men. Elle démarre par la rencontre entre William Masters (Michael Sheen) et Virginia Johnson (Lizzy Caplan, sosie de Clothilde Hesme) et le début de leur projet d’étude, très subversif pour l’époque.

William Masters est traité comme le sont souvent les personnages de génies dans la fiction : un homme bien plus intelligent que la moyenne, mais qui a beaucoup de difficulté à dialoguer avec sa femme et le reste des individus. Il a donc dédié sa vie à la science. Mais, originalité de la série, le professeur ne tient pas à son sujet pour aider l’humanité, il y tient pour la gloire. Il le glisse lors d’une discussion avec le directeur de l’hôpital qui ne souhaite pas financer l’étude. S’il veut se pencher sur les comportements sexuels de ses semblables, c’est avant tout parce que le terrain est inexploré et qu’il souhaite recevoir le Nobel. Exit la recherche de la vérité ou la volonté d’aider ses patients, tout est question de reconnaissance sociale. Virginia suit également les traces de William. Au départ elle est seulement à la recherche d’un travail, mais on comprend au fur et à mesure qu’elle cherche plus que ça. Elle souhaite obtenir un diplôme et une place plus valorisante qui lui permettrait de sortir de sa simple condition de mère au foyer.

La série est pour le moment assez classique (3 épisodes sortis au moment de la rédaction de cet article). Les personnages sont très calibrés. Le scénario semble sous-entendre que si Masters souhaite obtenir la renommée, c’est avant tout pour compenser ses problèmes de fertilité, plus difficiles à encaisser lorsqu’on est surdoué pour aider les couples à concevoir. Néanmoins la série est plutôt efficace. Le rythme est enlevé, les acteurs toujours justes, la complémentarité entre les personnages sur laquelle repose la série parfaite. Le sujet lui aussi est passionnant. La manière d’envisager le sexe est toute nouvelle. En parler sous un angle plus scientifique que racoleur, plus généraliste qu’intimiste, est une piste rarement explorée à la télévision. D’autant que la sexualité est aussi et surtout un moyen de parler de l’émancipation des femmes dans les années 50. L’aborder à travers l’expérience de quelques-unes plutôt que comme un sujet politique global permet de mieux cerner le cheminement et le changement dans la société. Mais l’idée la plus intéressante est de confronter ce changement au regard des hommes, qui semblent souvent abasourdis ou perplexes face aux comportements et aux bouleversements qu’ils observent chez les femmes qui les entourent. Tout est résumé dans l’incompréhension de Dr Masters : « Mais pour quelle raison une femme simulerait-elle un orgasme ? » Interrogation qui va le pousser à se faire assister par un regard féminin pour approfondir son étude. Et c’est là que, peut-être, la série est la plus ambitieuse : parler des rapports complexes entre les hommes et les femmes en se servant d’une expérience scientifique pionnière pour le savoir de l’humanité.

Masters of Sex

William Masters ou le plaisir de s’entourer de femmes.

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