Etude de pilote : Halt and Catch Fire

La chaîne AMC (American Movie Classics, l’équivalent de TCM chez nous), s’est fait connaître par des choix ambitieux de séries : Mad Men, The Walking Dead, Breaking Bad, Rubicon, The Killing et plus récemment Turn, pour ne citer que les meilleures. Halt and Catch Fire est la petite dernière d’une longue liste de prestigieux projets. La série raconte les débuts fictifs d’une entreprise d’informatique à Dallas au début des années 80, sur fond de guerres commerciales autour des innovations des PC. Pour son coté vintage, ainsi que par la volonté de dépeindre un monde particulier en pleine expansion, la série a tout de suite été comparée à Mad Men par la presse. Au-delà de la difficulté d’une telle comparaison pour une série qui comporte seulement quatre épisodes, peut-on néanmoins tirer quelques éléments indiquant un lien de filiation ? Le pilote marche-t-il sur les traces de sa grande sœur d’AMC ?

Des personnages caricaturaux
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Et qui portent des perruques ?

Le premier épisode introduit les personnages principaux : Joe MacMillan est un homme d’affaire, ancien employé d’IBM qui décide de se mettre au service d’une petite entreprise du Texas. Il y rencontre Gordon, technicien qui a abandonné son ambition de faire un jour l’ordinateur du futur. Ils seront rejoints par Cameron, la geek du groupe à l’esprit rebelle. Autant le dire d’emblée, ce premier épisode ne brille pas par la subtilité d’écriture de ses personnages. A l’inverse de Mad Men, dont le but était l’analyse sur le long terme de l’évolution des émotions des personnages, Halt and Catch Fire détermine dès le pilote les traits de caractères dominants de ses protagonistes ainsi que leurs failles, balisant les zones entre lesquelles la fiction évoluera. Joe est arriviste et manipulateur, animé d’un esprit conquérant et cache un secret. Gordon est un homme frustré qui a abandonné ses rêves d’étudiants pour faire vivre sa famille et Cameron est un cas typique de garçon manqué agressif. Rien de bien original jusque là, puisque ce sont des types de personnages qui jalonnent la fiction américaine (Joe ressemble comme deux gouttes d’eau à Harvey Specter de Suits, Gordon suit presque les traces de Lynette de Desperate Housewives et Cameron est l’égale de la surdouée Lisbeth Salander en plus sexy). Aucun détail du scénario ne vient vraiment faire bouger les ligne. Une fois ces personnages caractérisés, ils sont là plutôt pour servir le développement de l’intrigue, centré sur la révolution informatique des années 80, faisant en cela le schéma inverse de Mad Men dans lequel le milieu de la publicité est un outil supplémentaire pour atteindre la psyché de ses personnages.

Une mythologie de l’Amérique
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La nation des Grands Hommes.

L’autre différence majeure, c’est la volonté d’Halt and Catch Fire d’explorer pour de vrai sa thématique. A l’inverse de Mad Men, qui effleure le sujet « pub », l’informatique est au cœur de la série. Et même au-delà de l’informatique, c’est une certaine mythologie de l’Amérique qui va nous être contée : la figure de l’entrepreneur Joe, un visionnaire, un homme qui par son intelligence et son audace va porter des génies pour devenir un business florissant à lui tout seul, capable de rivaliser avec des firmes comme IBM. Mais à trop vouloir reconstruire la mythologie du self made man, Halt and Catch Fire brouille un peut trop les pistes. Il est difficile de s’y retrouver entre réalité historique, fiction et reconstruction du mythe. J’en veux pour preuve le choix du titre et l’explication qu’on nous en donne dans l’ouverture de l’épisode. Halt and Catch Fire est une référence à une ligne de code légendaire, qui aurait été développée chez IBM et qui permettrait de faire surchauffer les composants jusqu’à ce qu’ils prennent feu. Or, le panneau inaugural nous présente cela comme : « an early computer command that sent the machine into a race condition, forcing all instructions to compete for superiority at once. Control of the computer could no be regained. » (ligne de commande informatique provoquant une situation de concurrence critique dans laquelle les différentes tâches s’exécutent simultanément. Reprendre la main sur l’ordinateur s’avère alors impossible). Difficile pour un néophyte, qui n’aurait pas pris la peine de vérifier sur Wikipedia, de comprendre qu’on évoque ici un mythe propre au monde de l’informatique et qu’un tel contrôle n’existe pas. Cette entrée en matière symbolise bien l’un des problème en germe dans ce pilote, à savoir les liens trop étroit qu’entretiennent la volonté de parler d’une époque historique et celle de mettre en scène les valeurs américaines à travers ses mythes de construction. On ne sait donc jamais vraiment si la série propose une relecture glorifiante de son Histoire, ou si elle souhaite seulement proposer une agréable fiction vintage.

Reconstitution vs clin d’oeil
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Une meuf qui joue à des jeux vidéos, c’est pas banal.

Côté esthétique, on comprend bien ce que les créateurs ont voulu faire et le cahier des charges qu’ils ont donné à leur réalisateur semble suivi à la lettre : ambiance froide et couleurs désaturées restituant l’aspect vidéo des productions de l’époque ; énergie dans les mouvements de caméra soulignant le bruit et la fureur évoquée par le titre. La volonté de restituer l’ambiance « garage » de la naissance de l’informatique est une réussite. Malheureusement, même si c’est efficace, le rendu est triste, à la limite du moche. L’effet hachure donné par les mouvements de caméra et le montage peut même agacer. Le goût de la reconstitution vintage, même s’il appelle la comparaison à Mad Men, prend ici aussi une autre direction. Si dans le show de Matthew Weiner, les objets d’époque participent au décor et à l’ambiance en arrière-plan, ils sont plutôt traités comme des objets de curiosité et de collection dans Halt and Catch Fire. En effet, les objets typiques de cette époque (qui sont répertoriés ici pour l’épisode 1), ont tous le droit à leur utilisation par un personnage de manière insistante, et certains bénéficient même de la faveur du gros plan. L’insistance sur la nostalgie des 80’s est donc très forte, bien plus que dans Mad Men, sûrement parce qu’elle s’adresse à un public qui a vécu dans ces années là où à ceux qui fantasment sur une époque où tout était possible. L’insistance sur les souvenirs des spectateurs passe également par l’utilisation de la musique. On a plaisir à retrouver des morceaux de l’époque qui donne une ambiance bien particulière à la série. Mais eux aussi, comme les accessoires, sont là pour faire « clin d’œil ». Lorsque Cameron commence son premier jour de travail, on peut entendre The Magnificent Seven des Clash. Mais le montage coupe la chanson n’importe comment au milieu d’un couplet. Le morceau n’était donc pas du tout adapté rythmiquement à ce passage, il a été utilisé pour faire reconnaître trois notes au spectateur, recherchant le cool branché plutôt qu’une vraie démarche de reconstitution.

David contre Goliath
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Alors, on flippe ?

Après 40 minutes assez laborieuses et prévisibles, l’épisode montre enfin de bonnes choses. Lors de ce final très enlevé, une troupe d’avocats d’IBM débarque dans la petite entreprise pour asseoir sa domination. On assiste à un face à face entre notre petite équipe et la grosse artillerie, souligné par un montage alterné. La symbolique très forte de David et Goliath, même si elle s’inscrit dans cette démarche décrite plus haut de réécriture du mythe de l’Amérique, donne enfin à ressentir pour la première fois l’intensité que la série souhaite mettre en avant et l’embrasement de son titre. D’autant que pour la première fois, les personnages prennent de l’épaisseur et sortent de leurs carcans fictionnels pour nous donner une impression d’humanité : on peut voir la peur et le doute s’insinuer chez nos trois compères, et notamment chez Joe MacMillan, d’habitude requin sûr de lui. La fin réalise enfin le programme que la série s’était donnée, dépassant le simple appel au clinquant des années 80 pour nous faire vibrer face au destin et à la réussite de trois personnages attachants et flamboyants.

Le poids de la comparaison à Mad Men, modèle indépassable, est bien lourd à porter pour Halt and Catch Fire. Si elle ne semble pour l’instant pas à la hauteur, reconnaissons deux choses. Déjà que la comparaison n’est pas forcément très bonne, puisque comme on l’a vu, outre la diffusion sur une même chaîne et le fait qu’on se penche sur une décennie et un milieu passés, leurs démarches sont souvent contradictoires. Ensuite, comme on l’a dit plus haut, difficile de comparer une série qui comporte peu d’épisodes à un show qui en est à sa septième saison. Ce qu’on peut dire néanmoins c’est que le résultat est mitigé et ne laisse pas une très forte impression, mais que la fin donne envie de laisser une seconde chance au programme. Peut-être Halt and Catch Fire devrait-elle plus s’inspirer de la qualité de Mad Men pour la suite, qui comme l’a souligné Maguelonne, est un modèle de série réussie.

Attention, bonus mignon :

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