Sa bio
Dans Mad Men, il reconstitue avec acuité une époque qu’il n’a pas vraiment connue. Né en 1965 à Baltimore, Matthew Weiner vient d’un milieu fortuné et traditionnel ; son papa est un éminent professeur en neurologie, sa maman mère au foyer. Tous deux sont également très cultivés, ils encouragent le goût pour l’écriture de leurs aînés – Matthew, donc, et sa grande sœur Allison qui deviendra journaliste. La maison regorge de livres et les sorties familiales sont nombreuses : au cinéma, surtout, mais aussi à l’opéra. La famille Weiner déménage à Los Angeles lorsque Matthew a onze ans, mais il retourne à la côte Est pour faire ses humanités dans une université du Connecticut. Grâce à de généreux dons paternels, il intègre l’USC, une école de cinéma californienne. Sa carrière de scénariste décolle lorsqu’il a trente ans, après quelques années de difficultés financières qu’il a traversées grâce au soutien de son épouse architecte. Il écrit d’abord pour des sitcoms : Party Girl, Une fille à scandales (The Naked Truth), Le monde merveilleux d’Andy Richter (Andy Richter Control the Universe) et Becker. Entre tous ces récits décalés et ces personnages fantasques lui vient l’idée de Mad Men ; il écrit un scénario du pilote en 1999, et David Chase, impressionné, l’engage pour travailler sur Les Soprano. Matthew Weiner monte en grade entre la cinquième et la sixième saison, de directeur de production en 2004 à producteur délégué en 2007. Il participe directement à la création de douze épisodes qui lui valent de gagner deux Emmy Awards. Il interprète de plus le personnage de Manny Safier à deux reprises, et s’essaie à l’enseignement, de retour à l’USC pour donner des cours d’écriture.
Il a donc acquis une légitimité suffisante pour proposer son scénario à HBO, la chaîne des Soprano, mais celle-ci préférerait que David Chase soit à la tête du projet. Il se tourne donc vers Showtime, une autre chaîne du câble au ton très différent du show tel qu’on le connaît, qui n’est pas intéressée. Il s’entend finalement avec AMC, alors en quête de reconnaissance, de renouvellement et d’audience, elle qui n’avait jamais produit de série dramatique, et pour qui Mad Men a été un vrai jackpot. Dès sa première saison, la série a été acclamée par les critiques, louée pour ses qualités visuelles et narratives, et elle attire un nombre tout à fait honorable de spectateurs (2,5 millions pour la saison 6, un très bon score pour une chaîne câblée). C’est vraiment un projet personnel pour Matthew Weiner, qui s’entoure d’auteurs et de collaborateurs talentueux mais contrôle absolument tous les aspects de sa série. Il a écrit ou co-écrit 61 épisodes sur 78, et réalise tous les épisodes de fin de saison ; il est donc beaucoup plus engagé dans le processus créatif que la plupart des autres showrunners*. Ses efforts paient : dans la plupart des photos de lui que l’on trouve sur le web, il tient un ou plusieurs trophées, ce qui est très représentatif de l’armée de prix qu’il a reçus aux Emmy Awards et aux Writers Guild of America Awards*. Il a réalisé un long-métrage en 2013, qui n’a pour le moment été diffusé que dans des festivals : You Are Here, avec Amy Poelher et Jenna Fischer, que l’on connaît de Parks and Recreation et The Office US.
Son style
Il est le créateur d’une série dramatique vintage, et d’un road-movie comique qui n’est pas encore sorti en salles ni en VoD*. Les six saisons de Mad Men sont cependant assez riches pour distinguer un ton, des thèmes et une esthétique propres à Matthew Weiner.
Son ton : Il se dégage de Mad Men une aura de sérieux et de placidité très trompeuse. Effectivement, la narration est plus lente que dans la plupart des séries ; l’indolence des premiers épisodes a même pu en rebuter certains. Aujourd’hui, beaucoup d’autres séries prennent leur temps, un choix sûrement popularisé par le succès de Mad Men (True Detective, Top of the Lake pour ne citer qu’elles). L’intrigue s’attache à Don Draper, un homme en pleine crise, infidèle, alcoolique et dépressif, et à une époque où les droits des femmes comme les droits civiques étaient régulièrement bafoués dans l’indifférence générale ; l’humeur n’est donc pas à la gaudriole. Mais le ton de Matthew Weiner, aussi grave qu’il soit, a sûrement été influencé par son travail sur des sitcoms : le récit est émaillé de moments décalés, de touches d’humour inattendues, d’une certaine autodérision. Je pense notamment à un pigeon, et à une tondeuse à gazon. De manière générale, le ton de Matthew Weiner reste tout de même plutôt sombre, porté sur la réflexion et l’analyse, avec une écriture subtile et nuancée. Le drame coexiste avec la légèreté, ce qui est tout à fait cohérent avec un représentation plausible du quotidien.
Ses thématiques : Les années 1960 constituent l’une des principales caractéristiques de la série, mais elles sont surtout un écrin pour développer des thématiques creusées tout au long des six saisons. L’univers de la publicité, de la même manière, est utilisé comme un révélateur et non comme un simple thème. Matthew Weiner explore l’intime, la psychologie de ses personnages, leurs failles, leurs vertus et leurs émotions. Il n’explique rien, mais nous permet de comprendre beaucoup de choses simplement au travers des relations amoureuses et des rapports avec les collègues, à l’aide de scènes et de dialogues qui ne sont jamais anodins. Les clichés qui sont le point de départ de la série sont donc détournés à force d’être scrutés : le publicitaire talentueux et charmeur est un homme marié avec un passé trouble, la douce et belle femme au foyer n’est pas seulement désespérée mais aussi complètement névrosée, la secrétaire plantureuse qui cherche à être entretenue par un homme est en réalité tout à fait indépendante… Il est difficile de résumer ce qui se passe, au juste, dans un épisode, tant la vie et le quotidien semblent suivre leur cours de manière banale. Et pourtant, tous les micro-événements dépeints dans la série finissent par tisser un réseau complexe pour faire évoluer les personnages sans même que l’on s’en rende compte.
L’univers de sa série semble loin de lui, tant géographiquement qu’historiquement, mais il est en réalité très personnel ; Matthew Weiner avoue s’être inspiré de la vie de ses parents et de ses grands-parents. Ces derniers sont ceux qui lui ont fait découvrir New York lorsqu’il était enfant, et son grand-père travaillait dans le commerce de la fourrure, tout comme Don Draper avant d’être publicitaire. Sa mère et Betty Draper ont aussi des points communs : elles sont diplômées, mais ont choisi d’être femmes au foyer. Il n’hésite pas à faire jouer ses propres fils dans ses œuvres, ce qui est caractéristique d’une vraie proximité avec son récit ; Marten est Glen Bishop dans Mad Men, Charles est apparu dans un épisode, Arlo et Ellis figurent tous deux dans You Are Here. La famille, de fait, est un thème très important pour Matthew Weiner ; c’est aussi le sujet de son film.
L’agence de publicité Sterling Cooper (Draper Pryce) est au cœur de la série, à la fois parce que c’est le lieu de l’action et parce que les personnages que l’on suit y sont tous liés. Elle permet d’étudier à échelle réduite les changements historiques qui s’opèrent dans les années 1960, en particulier en ce qui concerne la condition féminine, autre sujet qui semble être cher à Matthew Weiner. Si les femmes sont plutôt maltraitées à l’écran, son show reste un exemple de parité : il passe haut la main le test de Bechdel, et quatorze scénaristes sur les vingt-huit qui ont écrit des épisodes de Mad Men sont des femmes. L’émancipation de Peggy et Joan, les difficultés de Betty et Megan sont aussi importantes dans la narration que les soucis de Don. Il s’agit à la fois de refléter les inégalités qui sévissaient à l’époque, et de faire apparaître en creux celles qui ont toujours cours aujourd’hui.
En s’attachant à créer des personnages masculins et féminins complexes, et en faisant apparaître leurs états d’âmes à travers leurs actions, Matthew Weiner a pu brasser une infinité de thèmes. Le mensonge en particulier semble être un sujet récurrent, mais on ne saurait résumer la série aux mensonges des différents personnages, tant cette représentation du quotidien à une époque et dans un lieu définis est, finalement, universelle.
Son esthétique : L’injonction de Matthew Weiner à ses directeurs de photographie était de donner une impression de cinéma, de film, et le pari est réussi. Mad Men a été l’une des premières séries à vraiment détonner dans le paysage télévisuel, avec une attention particulière portée aux plans et aux cadrages. Les séries sont habituellement très « montées », avec une multitude de plans plutôt courts et mouvants ; dans Mad Men, les plans s’étirent, durent parfois plus d’une minute, et sont statiques. La contrainte initiale d’un relatif manque de moyens a encouragé l’utilisation d’une seule caméra, de deux parfois : au tournage, les prises de vue sont donc peu nombreuses, mais correspondent exactement à la volonté du réalisateur, qui n’a pas à faire de compromis pour pouvoir placer une autre caméra. La série est également plus sombre que ce à quoi on est habitué sur le petit écran. Ensuite, son esthétique est bien entendu fortement influencée par les années 1960 qu’elle reconstitue, et a donc fortement évolué entre les saisons, au même rythme que le passage de 1960 à 1968. Les beiges, les marrons et les gris des premières saisons ont laissé place aux motifs colorés et aux imprimés psychédéliques.
Avec une seule série à son compteur, Matthew Weiner est un showrunner important, parce que son travail est unanimement acclamé et parce qu’il a fortement influencé les séries de ces dernières années. Il a non seulement mené à bien un projet extrêmement ambitieux, mais il en a fait un succès à la fois public et critique, ce qui a révélé l’exigence d’une audience prête pour des séries plus complexes. En avril débute la première moitié de la dernière saison ; dans deux ans, donc, il faudra dire adieu à Don Draper, et voir si Matthew Weiner confirmera son statut avec une nouvelle série géniale.
Ses séries
Sources et lectures complémentaires
« Mad Men has its moments« , The New York Times, Alex Witchel, juin 2008
« Mad Men Creator Matthew Weiner Explains Split Season, Says No to Spinoff« , Hollywood Reporter, Rebecca Ford, septembre 2013
« Mad Men‘s Matthew Weiner Talks Up His First Feature Film: ‘I am a Junkie for New Experience’« , Variety, Peter Bart, août 2013
« Mad Men’ Creator Matthew Weiner Explains How He Created Don Draper And Other Behind-the-Scenes Secrets At New Museum Event« , Indiewire, Aaron Dobbs, septembre 2013
« Mad Men Season 6 : Creator Matthew Weiner On Don’s Bold Moves And Conspiracy Theories« , Huffington Post, Maureen Ryan, juin 2013
Bonus
Arlo Weiner, à 8 ans, a été gravure de mode pour GQ. Oui, vraiment.
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