Qui a parlé de période creuse ? Devant la nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie, votre dévouée se colle à un petit bilan des nouveautés estivales. Car en plus d’être nombreuses, les séries dont je vous parle choisissent toutes un parcours de haute voltige : sujets archi vus et revus, thèmes sensibles ou encore scénarios ultra complexes… Je vous les cite dans l’ordre histoire d’aiguiller votre lecture : Tyrant, The Honourable Woman, Outlander et The Knick. Mais aussi The Strain, The Extant et Manhattan, ainsi que les comédies Married et You’re the Worst en express.
Le JT du Proche et Moyen-Orient : Tyrant & The Honourable Woman
Tyrant : dans un pays fictif du Moyen-Orient, le dictateur Khaled Al-Fayed est mourant. Jamal (Ashraf Barhom), son fils sur le point de lui succéder, est un homme violent et dévoré par le poids de la responsabilité princière. Bassam (Adam Rayner), le cadet, revient alors au pays après avoir fait sa vie en tant que dentiste aux Etats-Unis, avec femmes et enfants Américains dans ses valises, et surtout en reniant profondément son héritage. Le choc sera brutal.
A l’issue du pilote, vous pouvez prendre votre grille de bingo spéciale clichés sur l’Orient et cocher au fur et à mesure avec moi : opulence décadente d’une monarchie tyrannique, viols et maltraitance des femmes, homosexualité latente des hommes orientaux, violence inhérente à la culture arabe, corruption et fatalisme… Le Point aurait voulu faire une série qu’il n’aurait pas fait mieux. Tyrant est un succédané d’Agrabah destiné à un public largement ignorant de cette partie du monde.
Essayant d’appréhender à la fois la logique tribale pluriséculaire des pays arabes et les récentes révolutions, FX reste malheureusement toujours en surface, abandonnant rapidement son propos à l’opposition caricaturale entre les deux frères. Ayant vécu dans leur jeunesse une guerre civile, leur manière de gérer le traumatisme est fort différente. Mais l’analyse psychologique qui en résulte est si grossière que ç’en est navrant. Jamal, l’aîné resté au pays, est un homme qui n’écoute que ses pulsions, noyé dans le vice et la violence, tandis que Bassam nous revient des Etats-unis comme l’homme le plus modéré et civilisé du monde, apportant un peu de compassion dans cet univers de brutes…
Oui, le népotisme, les abus sur les femmes, la corruption, l’autoritarisme patriarchique et le luxe scandaleux de ces royautés existent. Mais pourquoi ne choisir que cet aspect vu tant de fois, déformé, amplifié et mal compris car vecteur de fantasmes et de stéréotypes qui n’ont pas évolué depuis l’Antiquité ? L’Orient suave et décadent contre l’Occident modéré et éclairé ? J’attends autre chose qu’une vision réactionnaire vieille de 2000 ans sur un sujet aussi brûlant que celui des révolutions arabes. Le portrait erroné de la civilisation arabo-musulmane résumée dans un pilote correct au niveau de l’action rend cette enfilade de clichés encore plus insupportable car il se trouvera des gens pour apprécier cette caricature.
The Honourable Woman : Nessa Stein (Maggie Gyllenhaal) est à la tête d’un empire familial des télécommunications avec son frère Ephra (Andrew Buchan). Se démarquant de l’héritage de leur père, Nessa et Ephra oeuvrent pour développer les territoires palestiniens et ainsi obtenir la stabilité et la paix entre Israel et la Palestine. Cependant, l’ingérence des gouvernements, des services secrets et des intérêts personnels de chacun met à mal la volonté de fer de Nessa, qui cache un lourd secret.
Si vous vouliez de la subtilité, regardez The Honourable Woman, coproduction de la BBC et de Sundance Channel. Alors qu’enchaîner les séries à un rythme effroyable a eu pour effet de me rendre beaucoup plus exigeante en matière de thriller et d’addiction aux cliffhangers (je reste difficilement scotchée du début à la fin d’un épisode quel qu’il soit), The Honourable Woman me passionne par sa complexité, sa cohérence et son intrigue parfaitement maîtrisée. C’est un thriller comme j’en ai rarement vus. A lui seul, cet argument pourrait vendre la série mais ce serait oublier tous les autres aspects admirables de cette mini-série.
Le conflit israélo-palestinien, s’il est d’abord vu uniquement par le prisme d’une famille israélienne ayant grandi dans un environnement privilégié, prend consistance à chaque épisode, dévoilant de nouveaux enjeux dans cette machine aux rouages complexes qu’est la diplomatie proche-orientale. On constate vite qu’aucun personnage, arabe ou juif, n’est épargné par un conflit qui ne permet pas une dichotomie bons/méchants selon la frontière où l’on se place. L’enchaînement des crimes et des vengeances est trop inextricable et la série s’en sort habilement sur ce point.
La beauté formelle est également au rendez-vous. Dialogues touchants et scènes de silence pesantes sont alternés avec brio pour capter des moments que l’on prend rarement le temps de décrire dans un thriller aussi politique. Chaque épisode, par exemple, décrit toujours une scène de réveil aussi informative sur les personnages que poétique. Les acteurs sont à peu près tous formidables mais je mettrai un bémol sur Maggie Gyllenhaal dont je trouve l’accent anglais parfois terriblement forcé et les mimiques souvent agaçantes. Cela ne m’empêche pas de pleurer régulièrement devant cette mini-série profondément d’actualité.
Des pilotes prometteurs : Outlander & The Knick
Outlander : Six mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Claire (Caitriona Balfe), une infirmière, tente de renouer avec son mari qu’elle n’a pas revu depuis cinq ans, lors de vacances dans les Highlands (Ecosse). Au cours du séjour, elle se retrouve propulsée en 1743, au milieu du conflit qui oppose l’armée anglaise aux rebelles écossais et fait la rencontre de Jamie, un séduisant guerrier highlander.
C’est assez rare pour être dit mais j’ai trouvé ce pilote envoûtant. Réalisé avec un grand respect pour les spectateurs, il expose une histoire aux accents de contes de veillées d’hiver tout en tenant un propos multiple et complexe. Résultat : on y croit de bout en bout. Outlander est un fantasme d’enfant, d’adolescente et d’adulte. Qui n’a jamais rêvé, en lisant, en s’endormant, de visiter une autre époque, de vivre des aventures interdites par la nôtre ? C’est ce que propose cette adaptation télévisée qui me donne diablement envie d’enchaîner les livres de Diana Gabaldon. Mon coeur de fille (je ne sais pas si je devrais dire ça en tant que féministe en puissance) se réjouit de cette histoire d’amour à travers les âges réalisée avec talent. Du rêve, c’est parfois tout ce qu’on demande, et des intrigues merveilleuses proprement réalisées, avec du mystère et de la poésie. C’est bien rare de nos jours.
Outlander n’est pas une série nunuche, mais merveilleuse au premier sens du terme, en cela qu’elle met en scène les résidus légendaires de notre culture occidentale. Par touches, comme des aplats de peinture, nous rentrons dans la mythologie celtique, et celle qui deviendra propre à Outlander. Tout commence par la voix de Claire, l’héroïne, qui sera notre guide et notre conteuse lors de ce voyage à travers les paysages mystérieux d’Ecosse, nous amenant à Inverness en 1945. Des portes peintes de sang et de signes ésotériques en pleine ville, des sacrifices à des saints, des danses nocturnes autour de menhirs… Tout ce petit monde parle gaélique et évoque Samhain (l’ancêtre d’Halloween), c’est une réintroduction au paganisme qui contraste avec le désenchantement du XXe siècle. On sait qu’à l’égal des Irlandais, les Ecossais ont subi l’oppression anglaise, et ce avec une violence inouïe, menant à la fin des derniers clans des Highlands au XIXe siècle. Pourtant, il subsiste ces irréductibles croyances qui permettent de créer un pont avec le monde dans lequel Claire va être propulsée. Le tout est fait avec une grande cohérence. Nous entrons dans un monde typique des périphéries du monde chrétien, où la superstition est palpable dans tous les détails de la vie, un monde où l’on peut croire que tout est possible.
Outlander est également l’histoire réussie d’un couple à la complicité perdue. Le rêve est-il une échappatoire suffisante au poids écrasant de la vie et de ses déceptions ? On pense au Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro : même époque, même appel au rêve fantastique. Le traumatisme de la guerre est également un des thèmes importants de ce pilote et une justification au voyage dans le temps. Le mari (Tobias Menzies) le pratique déjà à travers sa passion pour l’Histoire, parfaitement analysée par sa femme. Le passage tant attendu à l’autre époque est sobre et maîtrisé. On passe d’un univers édulcoré de petites fleurs, de vases en porcelaine de Chine et de gambades dans les Highlands, au même paysage en pleine embuscade anglaise, pluvieux et boueux. Le fantasme du highlander viril en kilt laisse place à la rencontre brutale entre Claire et un groupe de pauvres hères puants, entassés dans une maison trop sombre pour voir leurs pustules et leur absence totale d’hygiène. Ils parlent tous gaélique et la regardent d’un air menaçant. C’est ça être Outlander, étrangère.
The Knick : New York, 1900. La chirurgie est est encore à ses balbutiements au Knickerbocker Hospital, « The Knick », où la majorité des opérations se soldent encore par le décès des patients. Dr. John Thackery (Clive Owen) officie au milieu d’une foule de médecins et d’infirmières tous persuadés des progrès immenses auxquels ils sont sur le point d’accéder. Mais le succès à un prix, et pour Thackery, c’est la drogue…
C’est apparemment une tradition à laquelle il ne faut pas déroger de commencer un period drama dans les bas fonds des quartiers chinois. Deadwood a durablement marqué les esprits, certes, mais il faudrait passer à autre chose. L’introduction est parfaite, bien que classique au possible. Oui le médecin drogué, c’est du déjà vu, et oui encore les quartiers malfamés sur fond de musique contemporaine, on nous l’a déjà fait dans Peaky Blinders. Que les choses soient claires, Clive Owen plus séduisant que jamais, dans une scène introductive à la puissance virile exaltée, c’est tout de même fort appréciable. Mais ces stéréotypes colportés sur une époque de durs à cuire où tous les vices sont permis manquent cruellement d’originalité. J’ai l’impression d’un exutoire d’une partie des créateurs mâles de séries, se faisant l’écho d’un sentiment général d’émasculation dans notre époque où les femmes ne sont plus reléguées aux tâches subalternes, et où la loi aurait contraint la violence aux périphéries. On sait tous qu’il n’en est rien, et supposer un tel décalage entre notre époque et celle de nos grands-parents est tout simplement erroné.
Les affiches promotionnelles de la série ne promettaient pas autre chose, alors je prends mon mal en patience. Car The Knick est une série coup de poing aussi efficace que son titre. Impeccablement réalisé, ce pilote signé Steven Soderbegh m’a bien plus scotchée que ne l’avait fait le pilote de Boardwalk Empire. Cependant, il vaut mieux avoir une forte tolérance à la vue du sang et des entrailles humaines, car on assiste à des scènes chirurgicales d’anthologie : la première, où sans le moindre égard pour la vie d’une femme enceinte, son cas clinique est présenté à une assemblée, regorge de viscères. Cette boucherie se terminant par la mort de l’enfant et de la femme, l’équipe opératoire menée par le chirurgien en chef conclut que tout cela fut vraiment instructif. Le ton est donné. Mais ne nous fions pas aux apparences, car les personnages fortement virils mis en scène dans The Knick sont des passionnés, convaincus de la nécessité de ces sacrifices pour améliorer l’espérance de vie de leurs patients. Certes, ils l’expriment de manière maladroite, on n’a pas encore inventé les leçons d’empathie dispensées aux externes de nos jours ! Mais The Knick est tout sauf une série froide et cynique.
La démarche d’appréhender les tensions et dynamiques d’une ville aussi grouillante que New York City en 1900, à travers les différentes étapes de la médecine (ambulances, urgences, chirurgie, suivi des patients) est passionnante et très pertinente. Le spectateur est ainsi amené à naviguer entre divers milieux, populaires et privilégiés : la maladie et la mort touchent tout le monde, presque sans distinction. L’histoire de la médecine, déjà ébauchée dans Ripper Street, est très bien rendue dans The Knick où l’on peut constater que les ambulanciers n’étaient pas plus respectables hier qu’aujourd’hui (tous mes respects aux ambulanciers de France et de Navarre), que les chirurgiens sont des brutes et que les médecins méprisaient déjà profondément les infirmières.
Quelques mots pour la fin…
Au rayon des dramas, The Strain dont j’avais évoqué le pilote précédemment se laisse toujours regarder mais on est loin d’un chef d’oeuvre de mystère et de suspense. C’est presque pareil pour Extant : Halle Berry s’en sort très bien dans ce rôle de cosmonaute victime d’un vaste complot, mais trop d’éléments déjà-vus me désintéressent de cette histoire futuriste somme toute ultra classique. Quant à Manhattan, le pilote est bien trop simpliste et trop maladroit dans sa réalisation. Cette série, dont les personnages innombrables et brossés à la va-vite peinent à nous accrocher dans ce chaos que fut Los Alamos lors de la création de la bombe atomique, est déjà dispensable.
Un dernier mot pour les comédies car FX a fait une entrée remarquée dans ce domaine avec deux comédies calées le même soir : tout d’abord Married, puis You’re the Worst. La première s’intéresse à un couple essoufflé par la banalité et les contraintes du quotidien. Tandis que la seconde évoque la rencontre entre une jeune publiciste et un écrivain tout sauf romantiques. Les deux comédies ont en commun d’évoquer de manière très crue le sexe et la drogue, dans la lignée de comédies -de plus en plus nombreuses- qualifiées de « trash ». Le résultat est loin d’être aussi scandaleux que ne le promet cette description et je trouve les deux sitcoms particulièrement justes et attachantes sur de nombreux aspects. A découvrir !
Aah j’adore la chute de ton passage sur Outlander. Tu décris la série comme merveilleuse, romantique, je me vois déjà en Ecosse en plein délire bucolique, je me disais » Ma fille, tu as bien fait de l’ajouter à ton compte BetaSéries » là, soudain, je lis ta dernière phrase et je me réveille. Ce ne sera peut-être pas si élégant et mignon que ce à quoi je m’attendais. Mais bon. Rien ne m’arrête. Je passe sur le reste, même les comédies FX. Trop « trash » pour moi ?
Mouahahaha, non mais vas y tente Outlander, je veux dire qu’il y a du bucolique mais pas que, c’est pas crétin :) Et sinon oui Married et You’re The Worst définitivement trop trash pour toi !
Married,& You’re the Worst je vais tester cela très prochainement pour voir !
Je n’ai pas bien compris la référence à Deadwood dans ton passage sur The Knick, si tu peux éclairer ma lanterne. De souvenir, Deadwood ne débute pas son pilote dans les bas-fonds d’un quartier chinois, donc j’aimerais bien comprendre ce que tu as essayé de dire.
Pour Deadwood en effet ce n’est pas l’intro, mais visuellement ces séries empruntent pas mal de thèmes à )Deadwood qui est une de mes séries préférées) notamment les scènes de perdition en plein cœur du quartier chinois, et Ripper Street ainsi que Peaky Blinders font clairement partie de cette vague, ainsi queThe Knick. C’est un détail certes mais qui montre des similitudes d’approche plus larges quand on analyse tous les épisodes.