À la loupe : la fin de True Blood [spoilers]

Après sept saisons de services plus ou moins bons et loyaux, mais toujours sanglants, True Blood a tiré sa révérence. Depuis deux ans déjà, son créateur Alan Ball s’en était partiellement détourné pour se consacrer à son nouveau projet Banshee, mais même sous la direction de Mr. Six Feet Under, le déroulement des épisodes et le développement des personnages n’ont jamais été au top de la cohérence. Le mélange de sexe, de sang et d’humour, parfois très réussi, fait toute l’identité de la série… Mais lui fait aussi souvent frôler l’hystérie aux dépends des intrigues proprement dites, qui sont de toute façon inégales. Les très bonnes idées de départ qui structurent les saisons, comme les dévots de la Fellowship of the Sun (saison 2), la question d’une religion vampire (saison 5) ou encore l’écho aux camps de concentration (saison 6) ont le plus souvent été entremêlées avec d’autres intrigues moins intéressantes et trop nombreuses. Signe que le travail d’écriture a parfois fait défaut, des personnages secondaires ont été complètement oubliés d’une année à l’autre, et plusieurs décisions scénaristiques ont paru complètement injustifiées. Alors, pour sa conclusion, True Blood s’est-elle rattrapée ? Attention, spoilers.

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Bill et Eric ont bien aimé la dernière saison

On avait quitté les habitants de Bon Temps sur un flashforward aussi perturbant que cliffhangeresque : quoi, des gens ont élu Sam Merlotte en tant que Maire ?! Ah, et sinon, aussi, des vampires atteints d’une maladie mortelle mettent le pays à feu et à sang parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. L’hépatite V leur a été transmise par les bouteilles de Tru Blood frelatées de Sarah Newlin ; elle est aussi passée dans le sang de certains humains qui n’en sont pas affectés. Pour la saison 7, on pouvait donc s’attendre à ce que la série joue avec les codes du zombie (des hordes de vampires affamés s’attaquent aux personnages) tout en filant de nouveau la métaphore de l’homosexualité amorcée dès le pilote. Les vampires ont dû « sortir du cercueil », affronter les bigots qui leur assènent que « God Hates Fangs« , se battre pour avoir des droits : ils sont désormais les principales victimes d’un mal incurable et sexuellement transmissible, pour lequel on ne recherche pas de remède, les vampires restant des créatures plus ou moins tolérées par la société. Le parallèle entre vampires et homosexuels est forcément limité, notamment parce que les vampires ont des pouvoirs surnaturels et tendent à massacrer avoir très peu de considération pour les mortels, mais l’écho à l’épidémie du SIDA reste clair sans être trop appuyé. Plus tard, Sookie culpabilise d’avoir contaminé Bill sans le savoir, et Arlene, en tant que porteuse du virus, ne peut consommer sa toute nouvelle relation avec un vampire. Une fois l’antidote trouvé, True Blood fait un dernier clin d’oeil à la cause LGBT avec le mariage de Hoyt et Jessica, qui n’est pas exactement légal mais reste une preuve d’amour comme une autre. Comme Andy Bellefleur, pourtant bourru, l’affirme lui-même :

The state of Louisiana, the United States of America may not recognize this union, but for my money, there ain’t a doubt in my mind that God does. The love you two share is beautiful. And love is love, plain and simple. / La Louisiane et les États-Unis ne reconnaissent peut-être pas votre union, mais je ne doute pas une seconde que Dieu, lui, si. Votre amour est magnifique et l’amour, c’est de l’amour, tout simplement.

Comme la pizza, Andy a toujours raison

La dimension zombie est beaucoup moins convaincante, d’autant plus lorsqu’on nous montre les habitants de Bon Temps ainsi que ceux d’une ville voisine être décimés en dépit du bon sens. Je sais qu’il est trop tard maintenant, mais j’aimerais rappeler aux personnages de l’univers alternatif de True Blood que pour survivre à des vampires-zombies, il leur suffit de rester chez eux dès que la nuit tombe. S’ils n’invitent pas d’étranger dans leur maison, et s’ils n’organisent pas de barbecue à la lueur des étoiles, a priori, tout ira bien, ils ne se feront pas séquestrer ou dévorer bêtement et pourront même faire une grillade quand le jour sera levé. Mais, forcément, tout comme Sookie ira toujours se promener seule dans les bois pour bouder, aucun des personnages n’apprendra jamais de ses précédents déboires surnaturels et le barbecue de Bon Temps tourne au fiasco meurtrier. Tara peut ainsi disputer à Terry Bellefleur le prix de la mort la plus gratuite et frustrante de la série.

Arlene, Holly et d’autres personnages se font enlever, et le début de la saison est plein d’action et de suspense. Mais il y avait tout de même de quoi s’inquiéter : est-ce que, pour sa dernière saison, True Blood voulait vraiment devenir The Walking Dead ? Est-ce que désormais on allait seulement y voir des shérifs traverser des villes désertes, avec certes un sens de l’humour autrement plus développé que celui de Rick Grimes, mais aussi avec davantage d’incohérences (sérieusement, pourquoi tous ces gens ont quitté leur maison) ? La série a par ailleurs l’habitude de mettre en place un grand nombre d’éléments tout au long d’une saison, et de les résoudre avec précipitation au cours du dernier épisode : dans le cadre d’un final, ce n’était pas très tentant de faire durer l’altercation avec des vampires malades pour ne réserver que quelques minutes au bouclage des différents arcs narratifs.

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Heureusement, à la moitié de la saison, les personnages séquestrés sont libérés et ceux qui semblaient être les principaux antagonistes sont éliminés. Ce choix permet à la série de se recentrer sur ses personnages ; or ceux-ci constituent l’atout majeur et immuable de True Blood. La saga littéraire originelle, La Communauté du Sud, multiplie les relations sentimentales et les créatures fantastiques… L’arrivée de fées et de panthères-garous a toutefois été plus difficile à gérer à la télévision. Soyons honnêtes, c’est à ce moment qu’on a tous envisagé de ne plus jamais entendre parler de la série, et les scénaristes semblent l’avoir suffisamment compris pour limiter progressivement l’apparition de ces nouveaux protagonistes. Dans la saison 7, plus de ménade, plus de sorcière ; le loup-garou est éliminé sans ménagement, le délicat sujet des faeries est évoqué furtivement et sans costume lamé  : on revient à l’essentiel.

La traque de Sarah Newlin, qui détient l’antidote dans ses veines, passe au second plan, ce qui donne aux intrigues individuelles des personnages une importance inédite et suffisamment de temps pour être réglées les unes après les autres, quitte à ce que cela ressemble parfois à un soap opera. À la clé, des moments émouvants, mais aussi des séquences écrites semble-t-il pour le seul bonheur de passer encore un peu de temps avec ces interprètes et leurs rôles, eux qui n’ont jamais failli. Les scénaristes capitalisent avec succès sur l’affection que l’on a pour les personnages après sept années de visionnage avec des séquences délirantes et gratuites, des morceaux de bravoure et des clins d’œil expressément mis en scène pour le spectateur. Une scène d’amour entre Jason et Eric, par exemple, semble relever du plus pur fan service*, tout comme la petite danse de ce dernier dans une voiture pleine de yakuzas morts. Lafayette et Pam ne s’expriment plus que par répliques mythiques, Jason est Jason, et je ne me suis toujours pas remise de l’accomplissement du fantasme de Ginger : la scène fait plus rire que n’importe quelle sitcom parce qu’elle survient après avoir été repoussée pendant plusieurs années, comme nous le rappellent de judicieux flashbacks.

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Chacun a donc droit à son moment de gloire, et à son épilogue. En fait, ceux-ci pourraient même se confondre tant la morale finale de la série semble reposer sur tous ces moments plus légers auxquels on a pu assister, intercalés entre de multiples scènes sanguinolentes. Les habitants de Bon Temps se sont battus et entretués, mais désormais, ils boivent et font la fête, trouvent et font l’amour, que ce soit chez Sookie lorsque celle-ci vient de perdre Alcide ou dans la séquence finale. Cette dernière saison indique clairement que tout le parcours des personnages, toutes les choses horribles qu’ils ont vécues ne doit pas les empêcher de faire leur deuil pour continuer à vivre et à se faire des câlins : même si les séries ont très peu de choses en commun, on retrouve le même cheminement dans la première saison de True Detective, et cela rappelle aussi l’obsession pour la mort d’Alan Ball, ainsi que les réflexions menées dans Six Feet Under. Bill refuse de guérir de l’hépatite V et Sookie doit, en quelque sorte, l’euthanasier pour rétablir une forme d’ordre métaphysique en même temps que la communauté se reconstruit. Finalement, Sookie et Jason renoncent tous deux à la tentation de l’immortalité qu’ont représentée la plupart de leurs relations amoureuses pour choisir d’embrasser le cycle de la vie, aussi court soit-il, avec un compagnon mortel, et des enfants en prime. L’important n’est pas de savoir qui a conquis Sookie, puisqu’on ne le voit pas, mais de la savoir heureuse ; la violence s’est déchaînée pendant des années, chaque personnage a perdu des êtres chers, mais ils sont à présent tous réunis, proches et joyeux.

Le showrunner Brian Buckner assume d’avoir choisi un happy end pour la série. Aussi réactionnaire que cette fin puisse paraître, d’autant plus pour une série d’ordinaire subversive, elle est aussi étrangement satisfaisante et réconfortante… Mais c’est peut-être grâce à son accompagnement musical idéal ?

C’était super ! (et je ne me lasserai jamais de cette photo)

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