Etude de cas : New York dans les séries (1)

Voici le premier épisode de notre étude sur l’image de New York City dans les séries : « 1989-1997 : I don’t care, I love it! »

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Le New York de Seinfeld

Notre histoire commence en 1989, année de la première diffusion de la série new yorkaise iconique Seinfeld, une sitcom qui a été tournée principalement à… Los Angeles. Elle nous sert de point de départ dans cette étude car malgré -ou plutôt grâce à- cette petite entorse géographique, la série est devenue dans les années 1990 l’emblème de ce que le critique Matt Zoller Seitz appelle la “New York-iness”, soit une version idéalisée de la vie à Manhattan. Voire même, dans la série autofictionnelle de Jerry Seinfeld, une image égocentrique assumée. Produite par une élite new yorkaise exilée à Hollywood, la sitcom joue avec des stéréotypes qui se revendiquent comme tels.

Si l’on examine les scènes d’exposition de Seinfeld, compilées ici dans une boucle vidéo qui devient rapidement insupportable, New York se résume à une collection de clichés déclinés sous forme de visuels trompeurs : l’immeuble de Jerry censé être situé dans l’Upper West Side (129 West 81st Street) dont même la façade est filmée à Los Angeles (757 S. New Hampshire Avenue – source) ; des taxis jaunes (on en trouve aussi à Los Angeles) ; une salle de sport New York Health & Racquet Club ; un building avec doorman ; et le fameux diner de quartier, Monk’s. Il s’agit en réalité du restaurant Tom’s, situé au niveau de 112th Street, ce qui fait une sacrée trotte pour notre héros en mal de soupe ! Personne n’est dupe, et cela n’a aucune importance. Les créateurs de la série, Larry David and Jerry Seinfeld, tous deux originaires de Brooklyn mais bien installés dans leur tour d’ivoire à Hollywood, n’ont aucunement l’intention de présenter dans Seinfeld une vision romantique de la grosse pomme en nous arrosant de prises de vue touristiques ou glamours. La série n’a même pas de générique à proprement parler. Les initiés trouveront leur chemin, les autres tant pis pour eux.

Seinfeld se définit comme “a show about nothing” : la série n’a pas vraiment d’arcs narratifs, ne développe pas la psychologie de ses personnages. Elle va directement à l’essence de la vie quotidienne d’une bande de bobos new yorkais. Chers lecteurs qui n’avez pas encore 30 ans, laissez-moi donc vous présenter le bobo des années 80-90 : le yuppie (diminutif de « young urban professional »). Jerry Seinfeld est le yuppie par excellence, un stand up comedian qui a les moyens d’habiter près de Central Park et qui aime se moquer de lui-même et de ses amis un peu losers, qui n’ont pas de vrais problèmes. En bons yuppies égocentriques, nos héros ne font rien pour être aimés et pourtant, ils sont bizarrement attachants.

L’autre slogan officieux de la série est « no hugging, no learning » (pas de câlins, pas de leçons de morale) : le message est clair et, encore une fois, assumé. Comme beaucoup de New Yorkais, les personnages de Seinfeld sont fiers d’être perçus comme cyniques. Serait-ce la seule façon de (sur)vivre confortablement à New York ? “If you can make it here you can make it anywhere” dit la chanson, c’est possible mais au détriment des bons sentiments. La scène de la mort de la fiancée de George est souvent utilisée en exemple, car très parlante, je vous laisse juger par vous-mêmes :

On y voit les quatre compères réunis à l’hôpital où ils apprennent la cause du décès : intoxication à la colle utilisée sur les enveloppes bon marché des invitations de mariage (les cartons d’invitation, symbole hautement yuppi-esque). L’indifférence du fiancé et de ses amis fait un peu froid dans le dos et nous fait rire en même temps, c’est l’esprit de la série résumé en une scène.

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Seinfeld est dans les années 1990 un vrai phénomène de société. Diffusée le jeudi sur NBC, elle est l’épicentre de la soirée “Must See TV” qui fait grimper les audiences de la chaîne. Alors pourquoi ça marche ? Parce que, en s’amusant avec les stéréotypes de la vie à New York, en bousculant le politiquement correct, la série nous offre un paradoxe accrocheur : le dédain complice, le repoussoir accueillant. Jerry Seinfeld n’est pas seulement self-centered (narcissique), il est self-aware (il le revendique). Alors on lui pardonne tout. La série est un clin d’oeil géant au spectateur, une inside joke perpétuelle. Et ainsi New York devient un méta-New York, un mode de vie intemporel. 25 ans plus tard Seinfeld est célébré et réapproprié par les yuppies d’aujourd’hui avec la mode du normcore (un style vestimentaire tellement banal qu’il en devient réfléchi), la série n’a donc pas fini de nourrir l’imaginaire new yorkais et de faire des émules. Avant même la fin des années 1990 son premier héritier direct s’invitait dans votre salon.

Le New York de Friends

Lancée en 1994, la série Friends est également filmée à Los Angeles et nous présente une autre version du concept de New York vu de loin, ou « New York-iness ». Les repaires géographiques, montrés brièvement, sont toujours hautement symboliques. Il suffit de quelques emblèmes de la ville pour poser le décor : le générique est filmé près d’une fontaine qui aurait pu être située à New York ; la façade de l’immeuble référant se trouve bien dans le West Village (au croisement de Bedford et Grove Street, encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage pour les fans) ; le Central Perk rappelle le Café Reggio, lieu historique de downtown Manhattan ; et le stock footage est plus varié et nous montre un New York conquérant (l’Empire State et le Chrystler buildings brillant de mille feux, l’Arc de Triomphe de Washington Square Park, des taxis qui filent le long de la 5e avenue).

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Les clichés de la vie quotidienne à New York sont similaires à ceux de Seinfeld : boire du café, raconter ses histoires de cœur, vivoter. Les yuppies de Friends ne sont pas non plus fondamentalement des personnes très recommandables : Rachel est présentée dès le premier épisode comme une petite fille gâtée qui va changer de vie en quittant son fiancé Barry à l’autel, mais reste une vraie peste (voir la compilation de ses pires méfaits).

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Et le reste de la bande ne s’en sort pas mieux. Si on y regarde de plus près, ils forment une brochette de trentenaires sans doute obligés de vivre à New York car c’est le seul endroit où ils peuvent se fondre dans la masse : Ross est un geek limite autiste, Phoebe une allumée qui chante faux, Joey profite intensément de l’hyper-choix qui s’offre à lui (femmes, sexe et nourriture), Monica est une version extrême de la New Yorkaise « type A » et Chandler, à l’inverse, un « underachiever » (manque d’ambition). Des travers peu enviables, mais on ne peut plus banals à New York.

Et pourtant, qui n’a pas rêvé de vivre en colocation avec Rachel et Monica ? Qui n’a pas rêvé de s’asseoir avec Ross et Chandler sur le canapé du Central Perk ? La série a laissé derrière elle un énorme quotient sympathie et, 20 ans plus tard, les commémorations ont été placées sous le signe d’une nostalgie fédératrice. Oh comble du bonheur pour les fans, il est même possible de s’asseoir « pour de vrai » sur le canapé du Central Perk. Pourquoi cet engouement ? Tout est dans le titre de la série (qui pour info a failli s’appeler « Insomnia Cafe ») : F.R.I.E.N.D.S.

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Si chaque personnage pris à part n’est peut être pas l’ami que vous auriez aimé avoir, l’alchimie qui se dégage du groupe est irrésistible. Nos héros sont tous égoïstes à leur façon, mais ensemble ils sont bien plus que la somme des parties. Si Seinfeld est une série paradoxale, Friends est un série holistique. Elle prône l’amitié comme valeur suprême. L’air qu’il faut fredonner n’est donc plus « If you can make it here you can make it anywhere », mais « I’ll be there for you » : quoi qu’il arrive, on peut compter sur ses amis. Et à New York, au moment du grand saut dans la vie d’adulte, on ne fait pas long feu sans un entourage solide. C’est exactement ce que Rachel est venue chercher en débarquant au Central Perk, hagarde dans sa robe de mariée. Elle n’a peut être pas invité Monica à son mariage, mais c’est la première personne vers qui elle se tourne suite à cette débâcle, son seul point de repère « in the city ».

Nos héros forment un cercle fermé (c’est presque impossible d’y entrer ou d’en sortir), voire même incestueux : dans ce petit monde les amis sont aussi les partenaires amoureux (Ross&Rachel, Chandler&Monica). Ainsi jusqu’à sa conclusion au bout de dix saisons, la série reste fidèle à son message et tourne en rond (littéralement), diront certaines critiques.

Central-Perk

Et puisque l’amitié est une valeur refuge, tout l’imaginaire new yorkais de la série découle de ce principe : visuellement, les tons sont chauds, les couleurs rappellent le foliage spectaculaire en automne sur la côte Est des Etats-Unis. Le Central Perk et l’appartement de Monica sont cosy jusqu’à l’excès, encombrés de bric et de broc, ornés d’affiches vintage. Au cœur de la grande ville, le cocon que les six amis ont construit est confortable, réconfortant, et un peu artificiel, comme un pumpkin spice latte de chez Starbucks (notons d’ailleurs que la chaîne de café la plus faux-friendly du monde, fondée à Seattle en 1971 ne devient profitable qu’au début des années 1990). Ce New York « villageois » où il fait bon vivre, c’est celui de l’avant 11 septembre, teinté d’innocence.

 Le New York des Working Girls

Pour finir je voudrais mentionner deux séries dont les héroïnes nous paraissent bien naïves avec le recul de l’histoire. Des jeunes filles qui débarquent du Queens ou de Staten Island (des bridge and tunnel comme on les appelle dédaigneusement aujourd’hui) pour conquérir New York, des étoiles plein les yeux et des rêves plein la tête.

Notre chère Miss Fine (Fran Dresher) croit encore au conte de fées dans Une Nounou d’enfer :

Quand à Tess McGill (Sandra Bullock qui reprend le rôle du film Working Girl pour la TV) elle va tous les écraser à Wall Street avec ses grosses baskets, ça ne fait aucun doute…

Femmes fortes, bling bling et pompiers vaillants, nous en parleront au prochain épisode : « 1997-2006 : And Then A Hero Comes Along ». See you then!

Lectures recommandées :

How Seinfeld Revolutionized The Sitcom
With Friends Like These

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